Si l’on savait regarder l’enfant sans la condescendance qui attribue a priori à l’absence des acquis de l’âge des comportements jugés à l’aune d’une « conscience adulte », on découvrirait - peut-être avec effroi ! – que dans ce qui semble n’être guère plus qu’un fœtus achevé et autonome, siège déjà le canevas d’un psychisme dont l’état adulte ne se différenciera que par les dessins du tissage et les couleurs des fils.
Or, il s’avère que le canevas psychique est formé, pour l’essentiel, par le « croisement » (intersection) de « tendances » (entendues comme tensions) issues de polarités antinomiques qui ne trouvent pas leur résolution dans une opposition, mais dans une complémentarité simple lorsqu’elles concernent des individus différenciés ou groupes d’individus distincts, et dans une complémentarité complexe lorsqu’elles agissent au sein d’un individu unique ou d’un groupe homogène.
Pour la compréhension de ce propos, je propose de l’illustrer par deux comportements qui se manifestent de façon particulièrement précoce chez l’enfant : l’obéissance et la transgression (on pourra se reporter pour rappel à l’article Certitude, doute et transgression, Livre 3 d’Avis de Tempête) ; puis, par une réflexion sur l’impact de la bipolarité sexuelle « masculin-féminin ».
Obéissance et transgression : péché originel et origine de l’histoire
Il est toujours intéressant, hors de toute approche religieuse, de se référer au récit de la Création dans la Genèse, en tant que représentation ancestrale de l’origine du monde. Toutes les civilisations ont produit de tels récits fondateurs appartenant à une protohistoire archaïque qui, au-delà de leur mode descriptif, ont une portée mythologique ayant agi durablement depuis des millénaires sur l’inconscient individuel et collectif des générations auxquelles ils se sont transmis sans discontinuer.
Dans le cas du récit judéo-chrétien, après les préliminaires des six jours de la Création qui s’achève par l’apparition d’un couple humain et la mise en garde divine concernant le fruit d’un arbre auquel il ne faut pas toucher, tout commence à se gâter avec la désobéissance d’Eve tentée par le serpent et tentant à son tour un Adam balourd qui partage avec elle le fruit défendu. C’est le péché originel. A cet égard, on remarquera que dans cet Eden où le couple semble n’avoir eu pour seule vocation que de « se laisser vivre », son premier acte témoignant d’une volonté propre a été une transgression. La sanction de la désobéissance est immédiate : chassé de l’Eden, Adam et Eve connaissent la chute qui les amène sur le plancher des vaches où ils devront se débrouiller pour vivre en « actifs ». En fait, il s’agit là du début de ce que nous appelons l’histoire.
Or, il semble que si l’histoire de l’humanité trouve son origine dans la transgression, il en est de même pour l’histoire individuelle de chacun. Pour tout enfant normalement constitué, celle-ci commence avec l’affirmation de son autonomie qui succède à la période d’assistanat complet post-natal : premiers refus d’obéissance, premiers caprices etc. (voir notre article Certitude, doute et transgression). Selon les caractères propres des enfants et les modes éducatifs des parents, la bipolarité « obéissance-transgression » va jouer en faveur de l’un ou l’autre pôle jusqu’à l’adolescence où se manifeste généralement une rupture plus affirmée de type « rébellion » (selon des modalités allant du soft au hard) actant l’entrée dans l’apprentissage de l’âge adulte.
Le masculin et le féminin : un héritage et sa transmission
C’est encore dans la Bible qu’on trouve une représentation fondatrice de la bipolarité « masculin-féminin ». Dès le début de la Genèse apparait une coloration patriarcale de la narration. C’est d’abord, dans le second récit de la Création (Gn 2 5à25) la manière dont Yahvé crée l’homme et la femme. Tandis qu’Adam est façonné à partir de la glaise, Eve l’est à partir d’une côte de l’homme : la femme est donc un sous-produit de l’homme ! Sans doute n’est-elle créée que pour la satisfaction sexuelle de celui-ci, et surtout pour assurer sa postérité. Ensuite, dans la présentation de la généalogie des patriarches antédiluviens (Gn 5 1 à 32), n’apparaissent que les noms des hommes, et à eux seuls sont imputées les naissances de leurs descendants : « Quand Adam eut cent-trente ans il engendra un fils à sa ressemblance et à son image et il lui donna le nom de Seth […] Quand Seth eut cent-cinq ans il engendra Enoch […] Quand Enoch eut quatre-vingt-dix ans il engendra Qénân etc., etc., etc. Il en va de même pour la généalogie des patriarches postdiluviens, de Noé à Téra (Gn 11 10 à 26). Ce n’est qu’à partir d’Abraham, fils de Téra, qu’apparait le nom d’une épouse : Sarah (Gn 11 29). Le comportement dudit Abraham témoigne d’ailleurs de la nature sans ambigüité d’un rapport de « maître » avec les femmes : Sarah se révélant apparemment stérile, il engrosse leur servante pour avoir un fils ; puis, lorsqu’enfin Sarah met au monde Isaac, il chasse la servante et son bâtard !
Cette primauté du masculin dans la bipolarité sexuelle et son impact culturel et social, est particulièrement affirmée chez les Juifs. Aujourd’hui encore, s’il y a des femmes rabbins, c’est surtout aux USA, et dans la synagogue les femmes sont toujours séparées des hommes et ne peuvent pas lire les textes sacrés, les offices étant exclusivement dirigés par les hommes. Par comparaison, on notera que dans l’Egypte antique il y eut des femmes pharaonnes et des déesses de première importance comme Isis. Chez les Grecs et les Romains les femmes occupaient des places importantes dans les rangs de l’Olympe (Athéna, Héra épouse de Zeus, Déméter qu’honoraient les Mystères d’Eleusis, Némésis, Aphrodite etc.). Le christianisme a été plus ambigu, du fait même de sa nature syncrétique qui a intégré une grande partie des traditions gréco-romaines et même celtiques à celles issues originellement des écritures vétérotestamentaires et évangéliques, assurant ainsi son assimilation par des peuples européens qui n’auraient pas accueilli favorablement une stricte hérésie judaïque. Ainsi, le christianisme a tantôt manifesté un mépris certain pour la femme (du fait d’une conception culpabilisante de la chair et de la suspicion à l’endroit de la complice du serpent satanique que nombre de « sorcières » payèrent de leur vie), tantôt honorant des saintes, souvent vierges et/ou martyres, à commencer par Marie mère du Christ par la voie de l’immaculée conception.
Tel est l’héritage qui a durablement impacté le monde occidental dont les racines européennes dites païennes (en fait polythéistes) se sont accommodées du monothéisme judaïque parce que le christianisme a subtilement substitué au culte des vieux dieux, celui des saints héritant de leurs attributs, sans oublier de conférer à beaucoup un patronage local assurant l’enracinement géographique de la nouvelle religion.
Comment le genre définit les fonctionnalités et attribue les rôles
Sur le fondement d’un genre binaire « masculin-féminin » s’affirment durablement des fonctionnalités propres à chaque pôle. Ainsi le masculin est-il actif, émissaire et dissociatif, tandis que le féminin est passif, réceptif et associatif. La représentation symbolique de la bipolarité s’inspire des caractères sexuels et des symboles astrologiques, eux-mêmes dérivés des figures divines : Mars pour le masculin (un petit cercle prolongé par une flèche), Vénus pour le féminin (un petit cercle au-dessus d’une croix). Tout aussi explicites sont les symboles des signes astrologiques : pour le masculin, le scorpion dont Mars est le « maître » (une sorte de M prolongé par une flèche) ; pour le féminin, le taureau (un petit cercle surmonté d’un arc couché dans lequel on peut voir des cornes, mais aussi un calice). Avec l’apparition de l’électricité on aura des prises males (des connecteurs mobiles dotés de deux broches) conçues pour s’adapter par pénétration à des prises femelles fixes (généralement murales, donc fixes) dotées de deux cavités destinées à recevoir les broches des prises males.
Dans le processus de fécondation, le spermatozoïde « dissociatif » pénètre dans l’ovule qui l’absorbe, la fusion des deux gamètes se réalisant dans le corps féminin « associatif ». En amont de ce schéma, on peut évoquer la phase de l’attirance des corps et les deux types de séduction : la femelle agit par attraction (notamment l’odeur animale dont le parfum sera le substitut chez les femmes « civilisées », et plus généralement les artifices d’érotisation du corps), tandis que le male va mettre en valeur des performances (parades nuptiales) et montrer sa force. La femme séduit, l’homme conquiert. Il n’est pas inintéressant d’observer que la séduction de la femme (c’est très net chez beaucoup d’espèces animales) recourt à une phase de dérobade où en se refusant au male elle attise son désir, réalisant ainsi une forme d’asservissement subtile, car en l’asservissant au désir irrépressible qu’il porte en lui-même, elle l’asservit à elle-même.
Nous avons dit du masculin qu’il était actif, émissaire et dissociatif ; on pourrait ajouter : mobile. Pour le féminin, passif, réceptif et associatif, on ajoutera donc : statique. La mobilité et la staticité induisent excentricité (au sens géométrique) et centralité, deux caractères dont l’importance apparait dans l’attribution des rôles. Ainsi, parce que centrale et statique, la femme est gardienne du foyer ; durant des siècles elle est « la femme au foyer » ; à elle échoit l’entretient de l’habitation (ménage, lessive, notamment), la préparation des repas, la conservation et la transformation des denrées, la confection des vêtements, tâches auxquelles s’ajoute dans le monde rural la responsabilité du petit bétail (animaux de basse-cour, chèvres). L’homme, de son côté, parce qu’excentrable et mobile s’éloigne de l’habitation pour assurer la subsistance de la famille ; il sera chasseur, pécheur, artisan ou salarié ; dans le monde rural il s’occupera du gros bétail et de sa transhumance ; par métier ou mobilisation, il sera aussi soldat. Ce schéma bifonctionnel s’applique aussi à la création : la femme tisse, brode, coud ; elle traite la laine, élève des vers à soie (ses outils emblématiques sont l’aiguille, l’écheveau, le rouet). L’homme est constructeur, se consacrant à des activités qui requièrent la force : il abat les arbres et extrait la pierre de la roche, il taille et sculpte le bois et la pierre, il forge le métal (ses outils emblématiques sont la hache du bucheron, le maillet et le ciseau du maçon, le marteau et l’enclume du forgeron).
Avec le développement des villes et du commerce et les prémices de l’industrialisation (fabriques, manufactures), puis l’essor industriel, des rôles nouveaux apparaissent mais s’appuient sur la même bipolarité fonctionnelle qu’a consolidé l’institution du mariage en faisant du couple le « noyau dur » de la famille. En unissant les époux devant Dieu et pour la vie, l’Eglise protège la femme qui dépend matériellement du mari, mais ce n’est qu’une conséquence de l’objectif principal de cohésion et de stabilité sociale. Qu’il s’agisse des règles coutumières, des édits, du droit canon et, plus tard, du code civil, l’attribution des rôles et des droits consacre la prédominance de l’homme. Dans ce type de société patriarcale, les seuls éléments de contre-pouvoir de la femme sont l’utilité domestique, la séduction physique et la maternité qui assure à l’homme une descendance. Gardons-nous des images d’Epinal présentant ces rôles « en gloire » : Epouses et mères aimées et respectées, épicentres de foyers heureux, héroïnes de grandes passions amoureuses, maîtresses flamboyantes d’hommes puissants, égéries influentes etc. La situation générale des femmes dans la société traditionnelle confirme bien le destin que lui a assigné le mythe fondateur judéo-chrétien : celui d’un sous-produit de l’homme !
Naissance du féminisme
Il y a toujours eu des féministes, mais il s’agissait d’individualités, non d’un rassemblement de femmes dans un mouvement collectif. Certaines figures sont demeurées célèbres, telles Marie de Gournay (1565-1645) ou Anne-Josèphe Trémoigne de Méricourt (1762-1817) qui ont réellement eu une vision sociale du féminisme. D’autres témoignent surtout d’une vision personnelle révélant un égo très affirmé, telles Madame de Staël ou George Sand. Le féminisme tel qu’il nous apparait aujourd’hui, revendiquant pour toutes les femmes des rôles traditionnellement réservés aux hommes au nom d’une égalité des sexes, semble avoir puisé son inspiration dans la philosophie émancipatrice et égalitariste des Lumières (sans doute, d’ailleurs, à leur corps défendant). Nous y voyons un indice dans l’évolution des « salons », ces réunions littéraires et artistiques d’une élite intellectuelle. Cantonnés dans cet objet au 17ème siècle où l’on y voit des figures féminines telles que Madame de Sévigné ou Madame de Lafayette, ils se politisent ouvertement dans la seconde moitié du 18ème siècle, avec des figures emblématiques du genre, telles que Madame Roland ou Madame Récamier. Autre indice, passant aujourd’hui plus inaperçu : c’est, encore dans la strate élitiste de la société, l’apparition d’une Franc Maçonnerie féminine ; d’abord subordonnée aux loges masculines (ce sont les loges dites « d’adoption »), cette Franc-Maçonnerie féminine s’émancipe ensuite de la tutelle des hommes et acquiert son indépendance. Sous la Révolution, les femmes s’imposent dans les manifestations et les instances, parfois avec violence ; il en émerge des leaders qui contribuent à la naissance d’un féminisme populaire et à l’appropriation des rôles réputés masculin (y compris le port et l’usage des armes). Les femmes joueront également un rôle important dans la Commune de Paris (on mentionnera évidemment Louise Michel).
Le consulat bonapartiste puis l’Empire mettront provisoirement fin aux aspirations féministes. Mars s’accommode mal des prétentions de Vénus ; (Napoléon, suprêmement agacé par Madame de Staël, la contraint à l’exil). Le code civil recadre les principes, redonnant vigueur au patriarcat. Il faudra attendre le milieu du 19ème siècle pour voir réapparaitre le féminisme qui se manifeste alors essentiellement, en Angleterre et en France, dans la revendication par les femmes du droit de vote (on les appela les « suffragettes »). Le développement de l’industrie et la Première Guerre Mondiale ont eu une influence déterminante sur la vision des rôles des femmes ; d’une part de nombreux emplois dans les usines sont dévolus à des femmes, d’autre part la pénurie de main d’œuvre masculine entrainée par la mobilisation a entrainé son remplacement par des femmes, y compris dans les tâches les plus lourdes (par exemple la fabrication des munitions). Au cours du 20ème siècle se règle peu à peu la question du droit de vote et un certain nombre de métiers s’ouvrent aux femmes.
Du féminisme de revendication au féminisme de combat
C’est dans la seconde moitié du 20ème siècle qu’apparait un féminisme qu’on peut appeler « de combat ». Il entend porter la voix de toutes les femmes ; mais comme dans les formes précédentes du féminisme, il émane d’un aréopage intellectuel et artistique. Est-ce le propre du féminisme d’être d’abord le fait d’une élite ? Certes, non ! C’est toujours d’une partie élitaire de la société que sont nés les courants novateurs et, le cas échéant, révolutionnaires. La conversion de membres du patriciat au christianisme a significativement contribué à son audience dans la société romaine, ce sont de grands seigneurs, des artistes et des savants qui ont fait la Renaissance, les prémices de la Révolution Française sont imputables à des écrivains et des philosophes mais aussi à une noblesse éclairée. Il serait donc injuste, et même spécieux, de prétendre que le féminisme est l’affaire d’une chapelle, comme n’ont pas manqué de le faire à l’époque ses détracteurs. Elitaire, il l’a été par nécessité, car il fallait disposer des moyens intellectuels et de communication pour s’imposer dans l’espace médiatique ; mais il n’était pas élitiste, s’engageant dans un combat pour toutes les femmes, y compris malgré elles, parce que c’est dans les classes moyennes et populaires qu’il rencontra réticences, oppositions et rejets encouragés par les défenseurs de la société dite traditionnelle, scandalisés par la contraception, l’avortement, la liberté sexuelle et autres atteintes à des règles de vie encore solidement ancrée dans les « bonnes mœurs » du peuple. Si la religion avait ses raisons propres pour voir dans le féminisme un danger pour la foi, le communisme avait les siennes pour y voir le risque d’une libération morale de nature à déstabiliser les superstructures nécessaires à la cohésion d’un ordre social « maîtrisable ». Or, dans les décennies 1960, 1970 et 1980, la religion et le communisme étaient encore des puissances non négligeables.
Cependant, peu à peu, l’argumentaire féministe atteint la conscience des femmes et d’un certain nombre d’hommes. La représentation des femmes a évolué depuis la Deuxième Guerre mondiale où beaucoup d’entre elles ont joué des rôles de premier plan dans la Résistance et sont honorées comme des héroïnes. Par ailleurs la féminisation des métiers s’accentue. Les premières femmes entrent à l’Ecole Polytechnique en 1972 ; en 1976 Valérie André, pilote de chasse, est promue au grade de général, c’est la première femme officier général ; en 1983 les premières femmes intègrent Saint-Cyr. Ensuite on ne comptera plus les femmes exerçant des métiers auparavant réservés aux hommes : pilotes de gros avions de ligne (Airbus, Boeing), astronautes (la première fut Claudie Haigneré qui effectua des missions sur la station Mir et sur l’ISS, station spatiale internationale), policières, gendarmes, pompières, conductrices de cars et bus, d’engins de chantier. Certains métiers se féminisent fortement, comme la médecine.
C’est donc fort de ces places acquises par les femmes dans les métiers et de leurs réussites parfois spectaculaires, que le combat féministe va exiger davantage. En politique s’impose la parité sur les listes électorales. Ce « forçage » est un précédent qui peut, à terme, en inspirer d’autres : par exemple des quotas ethniques… Mais les féministes obtiennent aussi des ajustements sémantiques avec la féminisation systématique des termes censés être porteurs de genrisme. C’est ainsi que l’on n’emploie plus de substantif « homicide » pour qualifier le meurtre d’une femme, ce qui témoigne d’ailleurs d’une méconnaissance de l’étymologie d’homicide où homo ne désigne pas l’homme en tant que male, mais l’être humain (en latin l’homme en tant que male se dit vir, d’où dérivent viril, virilité). Il est vrai que la langue française, en ne disposant que du seul terme « homme » pour les deux acceptions (le male et l’humain), offrait une faille propice à l’action révisionniste des féministes !
Le combat féministe s’attaque légitimement aux abus sexuels masculins (viols, harcèlement sexuel, gestes et propos déplacés). On peut néanmoins regretter que les cibles soient surtout individuelles : le comportement sexiste masculin n’est-il pas encouragé par toutes les expressions « culturelles » (?) d’une marchandisation du corps de la femme : dans la publicité, dans les spectacles, dans les affligeants concours de majorettes et de « Miss » ? Les féministes ne devraient-elles pas stigmatiser aussi les femmes qui se prêtent à ces pratiques qui ne sont rien d’autre qu’une prostitution visuelle de leur corps ?
Quel bilan pour le combat féministe ?
S’agissant des droits (vote, contraception, IVG notamment), de l’accès aux métiers, de l’égalité de traitement, de la représentation dans les instances des instituions politiques, économiques et sociales, le bilan est incontestablement positif. Encore faut-il évoquer la fragilité de certains acquis que des courants révisionnistes pourraient remettre en question ou restreindre dans le champ et la portée de leur application (comme on peut le constater aux USA). Pour ce qui est de la parité et du vocabulaire, les règles sont évidemment respectées, mais qu’en est-il de leur impact réel sur les mentalités ? Il est trop tôt pour le mesurer mais au vu des comportements ordinaires il ne parait pas à la hauteur des enjeux. Enfin, pour ce qui est des comportements sexistes, des violences faites aux femmes, les procédures de plus en plus nombreuses et surmédiatisées engagées à l’encontre de personnages célèbres, ne doivent pas être les arbres emblématiques qui cachent la forêt des délinquants et criminels anonymes que révèlent les statistiques : malgré certaines manipulations politiques des chiffres, il n’y a pas une courbe franchement descendante des violences conjugales et des féminicides. De surcroit comment ignorer le nombre de victimes qui ne déposent pas plainte et les suicides imputables aux violences subies ? Quant à l’issue des procès, elle est souvent incertaine car les plaintes, souvent tardives et ne s’accompagnant pas de preuves et de témoignages concernant directement la matérialité des faits, se heurtent aux dénégations des présumés auteurs, ce qui place la justice face à un « parole contre parole » conduisant à un non-lieu.
Mais une question plus fondamentale doit être posée, car si les mouvements féministes ont poursuivi un objectif d’égalité, de reconnaissance et de protection des femmes, ils n’ont pas vraiment procédé à une approche du concept de féminité. Selon nous, la contribution capitale qui aurait pu servir de repère et de base à une telle approche est la magistrale analyse philosophique, historique, sociologique et en quelque sorte globale de Simone de Beauvoir dans Le deuxième sexe (Gallimard, 1949). Le féminisme ne l’a néanmoins pas ignoré dans la réalité de sa pratique qui a été, en effet, volontairement ou non, inspirée par une vision existentialiste et par les grands axes du combat que Simone de Beauvoir préconisait : liberté sexuelle (contraception, avortement), liberté économique (égalité d’accès aux métiers et égalité de salaire), égalité des droits civiques. La vision existentialiste revient à réfuter le concept d’une féminité essentialiste au profit d’un concept phénoménologique (« on ne nait pas femme, on le devient »). Le féminisme a intégré la notion, mais ne l’a pas « proclamée », par exemple dans un manifeste. Peut-être s’agissait-il de ne pas heurter trop frontalement une opinion qu’il fallait « éduquer » en faisant sans dire. Car la marque du féminisme tel qu’il s’est développé depuis maintenant plus d’un demi- siècle, c’est, en fait, la négation de la féminité ! Et là encore on retrouve Beauvoir pour qui, en quelque sorte, la femme doit être un homme comme les autres.
Ceci ne doit pas être mal interprété. Il ne s’agit pas de prôner une masculinisation de la femme, mais de faire en sorte que la femme s’approprie les caractères que l’homme a monopolisé au seul profit de la définition de son genre. Cela revient donc aussi, dès lors que l’homme et la femme partageraient les mêmes caractères, à concevoir une société sans genres !
Refuser une conception essentialiste de la féminité, pourquoi pas ? Mais il reste la réalité physiologique des sexes, et il n’est pas certain qu’elle n’a pas une influence sur le psychisme des individus. Mais là encore les choses ne sont pas si simples, car on peut opposer à cette proposition l’exemple de la transsexualité où l’on constate que les caractères du genre désiré et les comportements qui en résultent, précèdent la transformation physiologique de la personne, infirmant le postulat d’une prédétermination des caractères par le sexe biologiquement acquis. Pour toutes sortes de raisons, notamment les freins éthiques et les impératifs actuels de la déontologie médicale, on ne peut envisager à court terme la possibilité pour tout individu de choisir son sexe physiologique. Cependant, on ne peut l’écarter pour un avenir plus lointain où elle s’inscrirait d’ailleurs dans le contexte d’une révolution éthique plus considérable dont l’évolution actuelle du regard sur la transsexualité et les réflexions sur la fin de vie sont sans doute des prémices.
Au vu des avancées du féminisme, y compris celles qui ne sont pas visibles parce qu’elles « travaillent » l’inconscient collectif et les consciences masculines, on mesure la pertinence des analyses beauvoiriennes. Prenons pour exemple la démonstration de la « fuite de liberté » qui caractérise la femme dont le comportement la condamne à l’immanence d’un état où elle est vouée à représenter la matérialité de la gésine et de la servitude : c’est la femme narcissique qui se fait esclave d’elle-même, la femme amoureuse qui se fait exclave de l’homme, la femme mystique qui se fait esclave de Dieu. Autant d’illusions ! La femme narcissique entretient l’illusion qu’elle « donne la vie » et qu’elle est matériellement et moralement indispensable à l’homme ; la femme amoureuse entretient l’illusion d’une domination tout autant que de l’accomplissement d’un devoir quasiment sacrificiel ; la femme mystique est « l’épouse du Christ » en qui elle voit le crucifié dont elle veut partager la douleur. Trois attitudes qui sont des « mirages de transcendance » alors qu’elles l’enferment dans l’immanence. Le féminisme dénonce l’imposture : la femme a droit au plaisir, au libre choix de l’usage de son corps (contraception, avortement) ; la femme n’a ni à dominer l’homme, ni à s’en faire l’esclave, elle lui est en tous points égale ; la femme doit s’affranchir de l’image d’une féminité aliénante que lui impose une éducation visant à la persuader de sa faiblesse et de la nécessité d’un tutorat masculin.
Le rejet d’une féminité supposée participer de son essence alors qu’elle n’est qu’une construction sociale qui lui assigne un rôle passif et conservateur, est résumé par la formule de Simone de Beauvoir : On ne nait pas femme, on le devient.
Et l’homme ?
Le féminisme a fait valoir des revendications et a engagé un combat. L’homme, de son côté, occupait une position dominante acquise de longue date et entretenue par une tradition patriarcale. Dans la trifonctionnalité religion-politique-économie, le pouvoir était aux mains des hommes. Lorsque le féminisme, sortant des salons et des petites chapelles, commença à se manifester dans la sphère publique, il ne fut pas pris au sérieux, y compris par une majorité de femmes. Cela s’explique, évidemment, par la solidité du socle moral, juridique et social sur lequel reposait la domination des hommes. Mais cela s’expliquait aussi, notamment en ce qui concerne les femmes réfractaires au féminisme, par le fait que l’image de la féminité « essentielle » était si bien peaufinée par une transmission ininterrompue depuis des millénaires, que tout le monde, ou presque, avait fini par y croire sincèrement, aussi surement qu’à l’axe de la Terre et au retour des saisons.
Imaginez les éclats de rire qu’aurait encore provoqué en 1950 un prétendu voyant annonçant que dans moins d’un demi-siècle il y aurait des femmes chefs d’Etats et des gouvernants ouvertement homosexuels. Aussi grotesque, n’est-ce pas, qu’annoncer dans le même délai à des Américains qu’ils éliraient un président noir, et à des Russes que le communisme allait se dissoudre dans l’histoire et que les cendres des Romanov assassinés retourneraient à Saint Pétersbourg pour y être inhumés après une cérémonie religieuse solennelle à laquelle assisterait le président de la Russie.
Ce que n’avaient pas vu les hommes, ce n’est pas tant le féminisme lui-même, qu’un ensemble de faits sans rapports apparents entre eux mais convergeant pour former une lame de fond sociétale remettant en cause repères et valeurs dans une société en mutation profonde. De ce fait, les hommes n’ont perçu que l’écume de la vague et n’ont pas développé de parade face au féminisme. D’ailleurs qu’auraient-ils pu faire ? Mais deux constats peuvent être faits sur « le monde des hommes » durant la montée du féminisme.
Le premier constat porte sur la résistance passive de la majorité des hommes. Ils ont pu donner l’impression qu’ils ignoraient les acquis officiels du féminisme, se contentant d’en limiter l’efficience en ne modifiant pas leurs comportements dans les rapports avec les femmes. Il pouvait difficilement en aller autrement avec les héritiers de générations culturellement, donc aussi psychologiquement, imprégnées de la certitude d’une supériorité de l’homme légitimant lesdits comportements. Même la rupture générationnelle manifestée par mai 68, n’y a rien changé. L’imperméabilité au féminisme procède de quelques convictions transmises en particulier par l’éducation :
- La femme est plus faible que l’homme et sa maturité sociale est limitée, ce qui légitime qu’elle soit écartée de certains métiers et de certaines fonctions (notamment les fonctions électives).
- La femme, parce qu’elle est faible mais représente aussi « le beau sexe », doit être protégée et respectée ; C’est ce qu’on appelait la galanterie (qui n’est peut-être que le masque trompeur cachant la réalité d’une condescendance).
- La femme a une vocation maternelle et domestique : Elle donne des enfants à l’homme et les élève jusqu’à l’adolescence où le relai est pris par les hommes ; elle veille à la tenue du foyer, seule où secondée par des domestiques.
A ces principes éducatifs qui s’adressaient aussi bien aux garçons qu’aux filles, s’ajoutaient pour les garçons une transmission d’ordre plus « initiatique » les amenant à considérer comme allant de soi que la femme était aussi faite pour satisfaire leurs pulsions sexuelles et que leur virilité devait s’affirmer dans leur capacité à l’exprimer dans les rapports de cette nature. Un père pouvait être fier de son fils quand il pouvait confier à des amis : « c’est un sacré queutard » ! Du reste beaucoup de jeunes hommes avaient connu leur premier rapport avec des prostituées (ou des servantes dans les maisons bourgeoises), ce qui leur permettait d’aborder ensuite les « vraies » relations pseudo amoureuses avec des « amies respectables » munis de l’assurance d’une expérience acquise, renforçant ainsi aux yeux des jeunes filles l’impression d’une supériorité naturelle. Avant la fermeture des « maisons closes », il était fréquent que les pères y conduisent leurs grand garçons pour leur dépucelage !
Bien entendu, il y avait aussi des hommes ayant une plus haute idée de la femme et allant même jusqu’à l’idéaliser. Nous pouvons penser, par exemple, à Romain Gary, juif immigré élevé par sa mère et qui vouait un culte à « la femme » au point de penser que leur action en politique pouvait changer radicalement les choses en contribuant à apaiser les pulsions dominatrices des hommes. Mort en 1980, il n’a pas eu l’occasion d’être déçu, car la suite de l’histoire montre que les femmes politiques sont effectivement « des hommes comme les autres » ! Au demeurant, une attitude comme celle de Gary, quoique favorable aux femmes, est aux antipodes du féminisme, car elle s’appuie sur une conception essentialiste de la féminité supposée s’exprimer dans des « valeurs féminines ».
Conclusion : le comportement dominant et sexiste des hommes n’a pas majoritairement changé comme en témoignent la persistance des violences conjugales, du harcèlement sexuel au travail, de la marchandisation du corps féminin. La menace, maintenant effective, des poursuites judiciaires, malgré leur multiplication ne semble pas avoir un rôle dissuasif.
Le second constat qui peut être fait sur le monde des hommes concerne une minorité d’entre eux mais dont le nombre à tendance à grandir. Il s’agit de ceux qui intègrent des caractères que le genre binaire attribue ordinairement à la femme et que les irréductibles « machos » considèrent comme une féminisation. Nous ne pensons pas spécialement aux homosexuels, car si leurs revendications et leur combat ont pu trouver un point d’appui dans le précédent du féminisme et un allié tactique dans celui-ci, la majorité d’entre eux ne sont pas « féminisés » ; il y a même, à l’origine de leur orientation sexuelle et de leur comportement, un culte de la virilité qui, sans être hostile à la femme, ne témoigne d’aucun besoin de celle-ci dans leur vie. Quant au bon accueil que font souvent les femmes aux homosexuels, il ne procède pas tant d’un supposé partage de féminité, mais du fait qu’elles peuvent établir avec eux de franches relations de camaraderie, voire d’amitié, sans le risque de subir une emprise sexuelle assez systématique chez les hétérosexuels. En évoquant l’intégration par les hommes de caractères réputés féminins, nous pensons donc davantage à ceux qui sont enclins à prôner et pratiquer la non-violence, la mixité, la parité, le partage des taches domestiques dans le couple etc. Ce qui est intéressant dans ce cas, c’est le fait que si on rapproche cette intégration par l’homme de caractères considérés comme féminins, de l’appropriation par la femme féministe de caractères considérés comme masculins, on constate ni plus ni moins une négation des genres ! Ce qui est alors en perspective pour un avenir dont le terme reste encore à définir, c’est la fin du genre binaire et une sorte d’hybridation de l’humain. Il ne resterait de la différenciation sexuelle, que les caractères proprement biologiques.
Vers l’androgynie ?
Dans notre article Surhumanité de l’androgyne (livre 1 d’Avis de Tempête), nous avions évoqué l’androgyne comme réalisation du surhomme, ce dernier terme ne désignant pas un degré dans une échelle de valeur, mais une phase historique de l’évolution de l’espèce, comme l’homme conscient succédant à Sapiens (voir notre article Rencontre avec Vahe Zartarian, Livre 3 d’Avis de Tempête). Quant à l’androgynie, il s’agit de l’androgynie psychique et non biologique. Ce que nous avons appelé ci-dessus « fin du genre binaire » ou « hybridation de l’humain » et qu’on pourrait aussi appeler « l’homme total » (réalisant la complétude de l’homme incomplet que sont la femme et l’homme d’aujourd’hui héritiers d’une tradition révolue) acterait l’entrée dans cette phase.
Cependant, une telle évolution ne pourrait pas procéder d’une seule vue de l’esprit, aussi pertinente soit-elle. L’histoire nous montre que tous les changements qui ont marqué des étapes décisives dans l’évolution des sociétés, se sont caractérisé par la convergence de pensées philosophiques en rupture avec un ordre acquis en déclin, et de progrès scientifiques et technologiques significatifs. Car si la pensée peut peiner à s’imposer aux peuples toujours enclins à se garder de ce qui bouscule le confort intellectuel de leurs certitudes et à n’accepter un futur différent que si la dégradation du présent atteint les limites du supportable, les avancées des sciences et des technologies, quoique pacifiquement, finissent toujours par s’imposer parce qu’elles comportent également -parfois pour le pire, il est vrai- certaines retombées qui servent les pouvoirs en quête permanente de survie, et d’autres qui apportent au peuple des avantages qui occultent les inconvénients.
Lénine a dit : Le communisme c’et le gouvernement des soviets plus l’électricité dans tout le pays. Nous pensons pouvoir dire : Le troisième millénaire sera l’homme total plus l’Intelligence Artificielle (IA), la biologie moléculaire et l’exploration de l’univers.
Explications
En 1970 l’essayiste futurologue américain Alvin Toffler, publie un ouvrage, Le choc du futur (édition française chez Denoël), dans lequel il affirme que le stress et la désorientation qu’on peut constater dans le monde occidental, sont imputables à trop de changements en trop peu de temps. Cette précipitation des changements est due à une accélération du remaniement de la société qui est cependant une constante de l’histoire. Il prévoit que les changements du futur qui se précise affecteront l’espèce humaine que la science pourrait même combiner avec des machines (un demi-siècle avant qu’on commence à parler de l’IA et du transhumanisme, c’est bien vu !). Dix ans plus tard il publie un autre ouvrage, La troisième vague (Denoël, 1980) dans lequel il estime que trois vagues successives ont marqué des changements profond pour l’humanité : la première est le néolithique, avec l’apparition de l’agriculture et de l’élevage, et qui se prolonge à peu près jusqu’au 18ème siècle ; la deuxième est la révolution industrielle qui marque par ailleurs une accélération du changement parce qu’elle ne dure que trois siècles environ ; la troisième, qui se précise au milieu du 20ème siècle, est celle de la cybernétique.
La pertinence de l’analyse de Toffler prouve qu’on n’a pas besoin de boule de cristal pour esquisser des scénarios du futur, dès lors qu’on s’en remet à l‘enchainement logique des faits. Partant de ce constat, nous pouvons donc prévoir la poursuite d’une accélération de l’évolution, notamment en considérant que la troisième vague a atteint son apogée avec l’informatique avancée et le numérique, et que l’IA n’en est pas seulement le prolongement mais constitue une nouvelle vague (la quatrième) qui pourrait être suivie rapidement d’une cinquième marquée par la révolution biologique, la fin des mythes et une éthique « rationnalisée ». C’est précisément en esquissant ce qui pourrait caractériser cette cinquième vague qui impacterait fortement les premiers siècles du nouveau millénaire, que nous avons associé l’homme total (l’humain hybride), l’IA, la biologie moléculaire et à la recherche spatiale.
Mais avant d’aller plus loin, il nous faut avertir le lecteur que pour « entendre » ce qui va suivre, il lui faudra faire preuve de la plus grande ouverture d’esprit et se replacer dans la perspective historique objective de l’observateur du temps, pour ne pas qualifier d’abomination les hypothèses futuristes que nous allons envisager. En effet, il va se trouver dans la même situation émotionnelle que celle d’un homme de l’Antiquité, du Moyen-Age ou de la Renaissance (et même du début du 19ème siècle) que l’on confronterait au spectacle de la société actuelle au travers de quelques scènes pour nous banales et pas fatalement anxiogènes: des autoroutes où des véhicules se déplacent à 130 km/h, des trains à grande vitesse, le trafic d’un aéroport, un quai de métro à une heure de pointe et la prise d’assaut des rames par les voyageurs, la projection de films à effets spéciaux saisissants, une zone industrielle pétrochimique, un grand complexe de logements que nous appelons sociaux dans une banlieue, l’activité d’un hypermarché, le paysage urbain d’une mégapole, un fastfood, l’intérieur d’une discothèque un samedi soir, l’espace de travail paysager du siège d’une entreprise etc., etc., etc. C’est ça « le choc du futur » ! Si vous vous sentez prêt après cet avertissement, vous pouvez poursuivre la lecture.
Un monde entièrement nouveau
1492 : l’Europe découvre l’Amérique, mais sans le savoir car Christophe Collomb a cru aborder sur les rives orientales de l’Asie. C’est le navigateur italien Amérigo Vespucci (dont on donnera le nom au continent) qui comprend neuf ans plus tard qu’il s’agit d’un autre continent qu’il nommera « le Nouveau Monde » expression qu’on emploiera encore longtemps pour désigner l’Amérique.
Peut-être y aura-t-il un nouveau Vespucci pour baptiser le monde nouveau issu de la cinquième vague. Quelqu’un qui aura compris la réalité de ce qui se passera durant la période de gestation de ce monde entièrement nouveau émergeant d’une véritable métamorphose des mentalités et d’innovations scientifiques et technologiques dont nous pouvons concevoir la possibilité des applications (car tous les ingrédients sont déjà là, embryonnaires, et nous les savons perfectibles), mais dont nous refusons la probabilité car elles heurtent trop violemment nos mentalités et notre éthique.
Passe encore pour le clonage partiel permettant de remplacer un membre ou un organe défaillant ; mais que penser de la procréation non issue de rapports sexuels et de la gestation hors du corps de la femme (c’est-à-dire une procréation totalement in vitro, issue du prélèvement des cellules reproductrices dans les corps des parents et de leur fécondation dans des matrices extra-humaines) ? Pire encore, la possibilité de ne pas limiter ce type de procréation à des gamètes parentaux mais à offrir à des couples, voire à un parent isolé, le choix de combinaisons à partir d’un « catalogue tarifé » de donateurs de cellules reproductrices qui seront confiées dans des établissements spécialisés à des techniciens de la génétique !
On peut aussi imaginer l’application de cette technique ou celle du clonage intégral à l’élevage animal et à la culture des végétaux (c’est le cran au-dessus de l’OGM, l’organisme « microbiologiquement généré »).
On notera au passage l’impact de la dissociation de la sexualité hétérosexuelle et de la fonction de reproduction, dédiant le sexe au seul plaisir des sens.
Et pourquoi se gêner et ne pas envisager le clonage en série pour produire des soldats ou de la main d’œuvres en n’hésitant pas à modifier les gènes pour obtenir et garantir l’obéissance et la performance ? Vous dites « monstrueux » ? Mais sans doute ignorez vous que cela a déjà été fait au 20ème siècle, certes pas au moyen du clonage et de la manipulation génétique, mais avec les moyens pharmaco-chimiques de l’époque ? En effet, on sait aujourd’hui que le IIIème Reich a « dopé » ses combattants en les gavant de métamphétamine (la pervitine produite par millions de pilules dans des laboratoires pharmaceutiques qui ont d’ailleurs fait l’objet de bombardements ciblés par les Alliés qui connaissaient la pratique des Nazis). L’Armée américaine a également eu recours à ce type de boostage chimique, quoique plus modérément, avec les troupes du Débarquement. A côté de ça, le dopage des sportifs, tant au regard du nombre des intéressés que de la morale, c’est de la franche rigolade. Aux politiques et aux hauts gradés faisant bouffer des amphétamines aux soldats je dirais : saligauds ! Aux compétiteurs sportifs qui se dopent, j’ai envie d’employer l’apostrophe qui était chère à Darry Cowl (1) : petits canaillous !
Ceci amène d’ailleurs à une réflexion sur le rôle des régimes politiques dans le recours à des moyens qu’une étique naïve qualifie de « déloyaux » mais qui contribuent significativement à « gagner ». La réussite de la blitzkrieg allemande en 1940 doit beaucoup à la pervitine. Mais ce qu’une dictature peu soucieuse de morale peut faire, est-ce possible en démocratie ? Aujourd’hui, malgré le cynisme dont peuvent faire preuve les pseudo-démocraties occidentales (voir, par exemple le bombardement nucléaire d’Hiroshima et Nagasaki par les USA alors qu’ils n’avaient pas besoin d’y recourir pour obtenir la capitulation japonaise (2), ou, plus récemment, les mensonges de Tony Blair pour justifier l’engagement du Royaume Uni dans la guerre d’Irak) ce sont les régimes autoritaires qui se sont affranchis depuis longtemps ne nos principes éthiques et humanitaires, qui auront le plus de facilité pour user de tous les moyens que leur offre la science.
Pour en terminer avec les perspectives d’une possible cinquième vague, considérons que les manipulations génétiques succédant aux implants cérébraux promis par le transhumanisme et aux performances d’une IA « dominatrice », risqueront d’ouvrir une voie royale à l’asservissement de l’humain par un collège invisible de « maitres » d’une techno-gouvernance.
Par ailleurs, si nous avons évoqué l’exploration de l’univers c’est parce que celle-ci (de la même manière d’ailleurs que l’exploration du passé au travers des archéodisciplines, et ce n’est pas un hasard) (3) est en fait une exploration des futurs possibles. En 2016, deux ans avant sa mort, le célèbre astrophysicien Stephen Hawking a déclaré que l’homme devrait quitter la Terre d’ici quelques siècles, car à l’horizon du quatrième millénaire il ne pourrait plus y vivre en raison des conséquences extrêmes du bouleversement climatique. Si l’on prend en compte l’hypothèse que les gouvernements des principales puissances spatiales (USA, UE, Chine) partagent cette conviction, cela pourrait expliquer le regain d’intérêt pour Mars et la Lune, et celui manifesté pour les exoplanètes maintenant bien connues mais si lointaines que des théories s’ébauchent déjà sur la manière de les atteindre rapidement (voir les « trous de vers »).
Evidemment, pour en arriver là, il faut d’abord qu’avec la disparition du genre binaire apparaisse « l’homme total » réalisant la synthèse des caractères dudit genre, et que les consciences se libèrent des fondements irrationnels, notamment religieux, des barrières éthiques. Ces dernières sont encore très solides parce qu’on est loin d’en avoir fini avec les croyances et les mythes qu’elles engendrent, comme on peut le voir aux USA où des religions aussi intransigeantes que l’islam fondamentaliste réussissent, entre autres velléités rétrogrades, à remettre en cause le droit à l’interruption volontaire de grossesse et l’enseignement des théories évolutionnistes en défendant le créationnisme (4). En Europe la montée politique des courants l’extrême-droite est aussi un risque pour l’IVG et freinerait certainement les projets relatifs à la gestion de la fin de vie. Cet archaïsme peut profiter à la Chine où de telles questions ne relèvent ni des croyances, ni de la morale, mais de l’appréciation des nécessités sociales et/ou politiques. Seul l’homme total de la cinquième vague pourra mettre fin au règne des croyances et des mythes, car hors de toute théologie, sa pensée et son action se fonderont sur le factuel, le rationnel et le pragmatique.
Si la lecture de cet article vous a décoiffé, rasez-vous la tête avant de le relire pour vous assurer que vous avez bien compris !
***
- Darry Cowl, né André Darricau (1925-2006), était comédien, musicien et humoriste. Orienté vers le cinéma par Sacha Guitry, il devient dans les décennies 1960 et 1970 une des grandes vedettes comiques du cinéma français. Son addiction au jeu le conduit ensuite à prêter son talent à des « nanars » et à des spots publicitaires, mais il demeure reconnu comme un grand comédien qui s’est révélé en fin de carrière dans des rôles « sérieux » au théâtre et au cinéma. Il a reçu plusieurs Césars dont un César d’honneur pour l’ensemble de sa carrière.
- C’est aujourd’hui avéré. En fait, le président Truman voulait envoyer un message clair à l’URSS : « voilà ce que nous pouvons faire à nos ennemis » ; bien inutilement d’ailleurs car l’URSS allait rapidement devenir elle aussi une puissance nucléaire.
- Comme le révèlent de nombreux et passionnants documentaires récents, les nouvelles technologies ont permis à l’exploration archéologique terrestre et sous-marine de multiplier des découvertes qui remettent en question les connaissances acquises sur la préhistoire et l’Antiquité.
- Le créationnisme se fonde sur une interprétation à la lettre des textes bibliques, réfutant notamment le darwinisme.