Terme multivoque, fascinant par ses significations apparemment différenciées et ses apparentements étymologiques.
Si je dis le mot « correction » ou « corriger », cela fera frissonner le masochiste et évoquera pour lui une « bonne trempe » source de plaisir. Pour des lycéens cela signifiera l’évaluation des copies qu’ils ont remises au professeur, source d’attente un peu anxieuse. Hors milieu scolaire, les mêmes mots rejoindront pour l’enfant ce qu’attend le maso, désir et plaisir en moins : une « bonne correction » ou « je vais te corriger », annonçait la fessée, à la main ou au martinet, à l’époque où elle n’était pas interdite et assimilée à de la maltraitance, car ainsi entendue la correction est toujours physique. Mais, en fait, au-delà de la différence de signification, ces sens se rejoignent dans une même source sémantique que révèle l’étymologie.
Celle-ci est particulièrement riche. A partir de la racine indo-européenne reg-droit, diriger, maintenir droit-on trouve quatre familles fondamentales, trente-quatre séries dérivées, plus d’une centaine de mots « parents ». Ainsi reg a donné right en anglais, recht en allemand (droit), rex en latin et raja en sanscrit (celui qui dirige), régula (la règle de droit), puis diriger, régiment (commandement), ériger (dresser en hauteur) érection, direction, insurrection, suggérer etc.
La correction, c’est donc ce qui est droit, conforme à la bonne direction (être correct), ou bien le fait de rétablir la rectitude (corriger). Ce mot, qui jusqu’à ces dernières décennies était cantonné au domaine des enseignants, des typographes et des pères fouettards, s’est maintenant imposé dans les domaines politique et sociétal : il y a ce qui est « politiquement correct », « socialement correct » et ce qui ne l’est pas. Et il y a particulièrement tout ce qui est non-dit, sous-entendu, suggéré, sous-jacent, peut-être inconscient dans le recours à ce terme qui échappe à la banalité qu’il avait acquise et manifeste quelque chose d’inquiétant pour les libertés.
Les pouvoirs religieux, politiques, économiques, moraux, invoquent la correction pour maintenir les peuples, parfois trop remuants à leur goût, à l‘intérieur des digues millénaires qu’ils ont érigées, entretenues et renouvelées autant que de besoin. Le remous indésirable dont les bulles viennent insolemment éclater à la surface de la mer étale où glissent les embarcations des puissants, est celui de la pensée libre, de la création libre, de la libre expression. Tant que ces manifestations demeurent marginales ou empruntent les formes prudentes et parfois cryptées de l’art, on les tolère. Au besoin on les édulcore on les caricature, on les détourne ou on feint de les ignorer. Sachant qu’ils ne peuvent plus dresser des bûchers, renouveler la Saint Barthélémy et le massacre des Albigeois, ou rouvrir les geôles de l’Inquisition, les pouvoirs actuels agissent plus sournoisement, soucieux de ne pas offrir des martyres à la contestation : on étouffe, on discrédite, on tend des pièges.
Cependant, durant les décennies qui ont suivi la Deuxième Guerre Mondiale, le remous s’est lui-même adapté à la nouvelle donne, évitant les attaques frontales, recourant même à la non-violence, choisissant d’agir en profondeur sur les esprits. Avec Internet sont apparus les réseaux sociaux, incontrôlables et eux-mêmes manipulés. La crise sanitaire dont les origines ne sont d’ailleurs pas très claires, a offert aux pouvoirs essoufflés du système capitaliste-libéral une occasion inespérée d’imposer les contraintes d’un nouvel ordre mondial justifié par les circonstances et de tester l’obéissance civique dans un cadre réglementaire suspensif de libertés fondamentales. Mais sous la surface de cet ordre respecté par les habituels troupeaux moutonniers apeurés, sagement masqués (muselés !) et se ruant vers les centres de vaccination où l’efficience du produit qu’on leur injecte n’est pas entièrement garantie, y compris dans la durée faute de recul, bouillonne une contestation où se rejoignent le scepticisme des conspirationnistes et les réflexes viscéraux des populistes. Ces deux postures (suivisme apeuré et contestation) vont de plus en plus se radicaliser et préfigurent probablement les affrontements à venir, car il s’agit d’une fracture sociétale qui a toujours été latente et l’histoire la révèle épisodiquement.
Du côté suivisme, il y a la grande masse des moutons naïfs mais parfois sournois (la police et la gendarmerie ont été destinataires de messages anonymes dénonçant des infractions au port du masque ou à l’interdiction de se réunir nombreux pour des soirées sans contrainte) ; mais il y a aussi des notables s’autorisant des passe-droits (par exemple tel commissaire de police déjeunant clandestinement avec un magistrat dans un restaurant fermé). Les premiers ne sont pas sans évoquer les lettres à la Kommandantur sous l’Occupation, et les second les privilégiés du « marché noir » qui se gobergeaient pendant que le petit peuple se serrait la ceinture et mangeait des topinambours. Du côté des contestataires il ne s’agit pas de voir les héros d’une nouvelle Résistance, mais les cabochards et les « têtes brûlées » qui en refusant par principe l’adhésion à un ordre liberticide, contribuent à défendre les libertés de tous. Il y a aussi, bien sûr, ceux qui agissent par idéologie (religieuse, philosophique, politique, morale) ou simplement par conviction intime.
Pendant cela deux puissances peuvent se réjouir : la Russie post-impériale et post-communiste, avec son complexe obsidional, sous la conduite de l’habile Poutine ; la Chine résolument hégémonique, anti-américaine et europhage. Quels beaux spectacles nous attendent ! Il n’est pas question de brosser ici un tableau complet de la situation et d’annoncer avec certitude tel ou tel avenir (une seule chose est à peu près sûre, c’est que l’illusion démocratique se dissipera en Occident, laissant apparaitre des gouvernances crypto-fascisantes surfant sur les crises à répétition (économiques et financières, climatiques, sanitaires, sociétales). Nous évoquerons simplement quelques constats. -Le conspirationnisme a encore de beaux jours devant lui. Notons pat exemple que ce qui a été suggéré à propos de L’Institut Pasteur (développement du Covid, accident de labo etc.) peut s’appuyer sur le fait qu’existe depuis 2004 un Institut Pasteur à Shangaï, associant chercheurs français et chinois dans la recherche biologique. On n’en a peu parlé… La communication, souvent lamentable, des pouvoirs européens laisse le champ libre au doute et au scepticisme. La culture du secret, du « moins-dire » et de l’enfumage persiste à décrédibiliser un discours officiel qui n’a pas encore compris qu’elle était complètement dépassée. Nos Etats doivent apprendre à cacher et à mentir autrement !
- la forte résurgence des partis et organisations populistes d’extrême-droite en Europe centrale et plus ou moins en Europe occidentale. Entre nostalgie nazie et néofascisme décomplexés ces forces s’appuient sur un certain atavisme culturel comme l’antisémitisme ou l’antilibéralisme. Réponses simples, faciles à comprendre, à la question « qu’est-ce qui est à la source de tous nos maux ? ». Dans des sociétés déstabilisées, ça marche ! Belles planches pour des rusés en quette de support pour surfer sur les vagues situation.
-Il y a une marge d’incertitude concernant l’UE qui n’est ni à l’abri de départs de membres, ni des coopérations bilatérales « en solo » de certains membres avec des puissances émergentes : les relations privilégiées de l’Italie avec la Chine ou les très importants accords franco-Chinois signés début 2019 (passés un peu inaperçus pour cause d’irruption du Covid sur la scène mondiale) en témoignent. Le comportement peu « amical » de l’Amérique trumpiste à l’égard de l’UE a-t-il influencé ces rapprochements ou s’agit-il d’opportunisme teinté de pragmatisme, ou les deux ? L’Italie machiavélienne est coutumière des ruptures d’alliances. Elle rompt avec la Triplice (Allemagne, Autriche-Hongrie, Italie) juste avant le déclenchement de la Première Guerre Mondiale ; elle rompt avec l’Axe en plein deuxième conflit mondial. La diplomatie française est plus stable, mais De Gaulle, en n’hésitant pas à sortir de L’OTAN, à prendre ses distances avec les anglo-saxons, à dialoguer avec l’URSS et ses satellites, à prendre le contre-pied de la politique américaine en Asie du sud-est (voir discours de Phnom Phen, 1966) a donné le ton d’un réalisme politique autorisant l’ajustement de variables dans les alliances.
-Contrairement à la Russie, à la Chine et même encore aux USA, l’Europe n’a plus de chefs d’Etats mais des gestionnaires politico-économiques. Macron en est très représentatif : intellectuel brillant, il se trompe constamment car n’ayant aucune expérience de terrain, il ne connait pas en profondeur le pays qu’il dirige, il ignore les réalités humaines d’une nation qu’il n’a approchée que dans les livres d’histoire et de géographie. Il est « acharismatique ». Lui et ses homologues européens sont focalisés sur leurs problématiques internes, l’œil rivé sur les sondages (quoiqu’ils disent) et les arrivées rapides d’échéances électorales que précipitent des mandats courts. On est loin des visions stratégiques planétaires et de leur mise en œuvre qui nécessitent du recul et du temps.
-Les Etats européens ne sont plus de grandes puissances et l’Europe n’en est pas devenu une. Il est donc probable que L’UE aura davantage vocation à fournir aux puissances majeures de rands vassaux qui devront choisir leur camp, comme doivent le faire aussi les Etats d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du sud. C’est une constante de l’histoire : il n’y a aucune viabilité, à terme, pour les petites et moyennes nations ; tôt ou tard, soit elles sont absorbées par la force (modèle impérial napoléonien, empires coloniaux britannique et français) soit elles se rallient en vassaux ou dans une alliance où un « grand » exerce son leadership (modèle Commonwealth).
JUNIUS
11 Mars 2021