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FATALITAS !

(À la recherche des facteurs déterminants des destinées)
10 décembre 2024 par
Simon Couval

Depuis que s’est développée chez l’homo sapiens une pensée consciente, les humains s’interrogent sur le sens de l’existence individuelle et collective (la dimension collective étant entendue comme tout groupe identifiable, depuis les plus restreints comme la famille, jusqu’aux plus vastes comme les nations ou les grands ensembles fédéraux).

A ce questionnement dont le champ peut s’étendre jusqu’à la métaphysique ou se limiter à la philosophie ordinaire, les réponses s’articulent autour de concepts tels que le déterminisme et la contingence, le hasard et la nécessité, l’inné et l’acquis, le tout étant dominé - et en quelque sorte « arbitré » - par le clivage entre un mode de pensé strictement rationnel et un mode de pensée sous influence de la croyance religieuse.

Croyance et déterminisme

Pour les monothéismes il y a un « plan divin » qui ordonne le cours de toute existence. Commençant son exécution par la Création, il la poursuit jusqu’à la fin des temps. Rien n’advient qui ne soit pas contenu dans ce plan, y compris ce qui dépasse l’entendement humain et peut sembler résulter du hasard. Il n’y a pas de hasard, tout est voulu par Dieu, y compris ce qui apparait en contradiction avec son infinie bonté (par exemple la persécution des fidèles, la souffrance des innocents etc.). Ce sont les mots du Notre Père chrétien : « que votre volonté soit faite sur la Terre comme au Ciel », le Amen hébreux (C’est ainsi ! Qu’il en soit ainsi !) ou le « Inch’Allah » du bon musulman.

Pour les polythéismes, notamment celui des grecs et des romains qui a imprégné notre culture européenne, la volonté des dieux est plus aléatoire. Pour la connaitre il faut donc s’adresser à eux par l’intermédiaire de prêtres ou prêtresses qui vont obtenir une réponse, l’oracle, par diverses méthodes : les Augures pratiquent les auspices, notamment l’ornithomancie (interprétation du vol des oiseaux) ; les Aruspices et les Extispices, quant à eux, observent les entrailles d’animaux sacrifiés ; les pythies et les Sybilles pratiquent la divination.

Les monothéismes condamnent les mancies et autres procédés divinatoires, car la volonté de Dieu est tout entière dans les saintes Ecritures et l’enseignement des docteurs de la foi et des prêtres. Le catholicisme a même inventé le « directeur de conscience », prêtre à qui le croyant s’en remet pour savoir comment il doit penser et se comporter. Néanmoins, les pratiques de divination païennes ont survécu et sont toujours vivaces. Aux augures, aruspices et pythie ont succédé les astrologues modernes, les cartomanciennes, les voyant(e)s extralucides. Thèmes astraux, Tarot et boules de cristal sont leurs principaux supports. En France, pays prétendument cartésien, le chiffre d’affaires annuel de la voyance est évalué à 3,5 milliards d’euros !

Raison et déterminations

La croyance conduit à la conception d’un déterminisme transcendant. C’est « la volonté divine », manifestation d’une planification dans le monothéisme, et des humeurs des dieux dans le polythéisme. Mais est-ce à dire que si l’homme se détourne de la croyance au profit de la raison, rien dans sont destin ne peut apparaitre déterminé ? Certainement pas ! Il n’y a que changement de source et de modalités : pour celui qui choisit une approche rationnelle, le destin individuel et collectif est en grande partie de fruit de déterminations immanentes résultant d’une « dynamique historique » rationnelle et logique. Explications.

S’agissant des facteurs exerçant une influence déterminante sur le comportement des individus, on distingue souvent ceux qui sont présents dès la naissance, donc « innés », et ceux qui interviennent ultérieurement par toutes sorte de voies : transmission familiale, éducation, enseignement, observation personnelle, expériences etc. on les dit « acquis ».

Pour ce qui est de l’inné, nous rejetons les prétendues influences astrales, mais aussi l’idée d’une hérédité psychologique. En fait, le seul élément incontestablement inné, c’est le corps. Si l’on a pu imaginer une hérédité comportementale, c’est qu’on oublie la faculté de perception et d’assimilation de l’enfant dès la phase intra-utérine prénatale de son développement, puis dans les premières années qui suivent la naissance. On croit à tort que l’acquis nécessite une transmission orale ou écrite et un entendement suffisamment rationalisé de l’enfant (le mythique « âge de raison » !). Or, l’acquis est précoce, et les psychiatres sont unanimes pour reconnaître le rôle « fondamental » (au sens premier du terme) de la « petite enfance ». Et quoique la science soit plus réservée sur les perceptions intra-utérines et encore plus sur leur intelligibilité par le cerveau de l’être en formation, le champ spéculatif reste ouvert sur la question.

Quoi qu’il en soit, les choix raisonnés de l’humain n’interviennent véritablement qu’une fois celui-ci délivré de la tutelle parentale qui s’exerce durant l’enfance. Au demeurant, l’influence des parents et des éducateurs ne sauraient être assimilés à un effet de ce qu’on appelle « destin », n’ayant pas une source transcendante et insaisissable. Durant toute sa vie, malgré son statut d’adulte a priori autonome, il sera l’objet d’influences extérieures agissant fatalement sur sa destinée : décisions de sa (ses) hiérarchie (s), dispositions légales et réglementaires, situations accidentelles etc. Toutefois, quelles que soient ces influences et leur poids, le champ de son libre arbitre demeure très vaste et les déterminations de sa destinée dépendent surtout de l’usage qu’il fera ou pas de sa raison. C’est pourquoi nous affirmons le caractère subjectif, et parfois quasiment idéologique, des analyses et commentaires relatifs à ladite destinée, faisant la part belle à « la faute à pas de chance » qui n’est que la variante agnostique de la prétendue volonté divine.

Nous affirmons aussi que si la nature-même d’une collectivité (qui est agrégation) peut incliner à considérer que la responsabilité y est morcelée, voire s’y dilue, il n’en demeure pas moins que la responsabilité collective existe lorsqu’on peut l’inférer d’une adhésion collective massive au choix d’un modèle d’organisation institutionnelle et aux orientations de la gouvernance. Ainsi a-t-on trop tendance à exonérer de leur responsabilité ou à l’atténuer, les peuples qui ont approuvé et soutenu la politique de dictateurs. L’argument du recourt à la terreur ne tient pas. Ainsi, Hitler est parvenu au pouvoir par les urnes, et si les nazis ont fait régner la terreur c’est sur des minorités (Juifs et « ennemis intérieurs » divers), non sur l’ensemble des citoyens dont on peut encore constater sur les archives cinématographiques la spontanéité des manifestations hystériques de soutien au Führer.

Les mensonges de la religion…

Les réponses de la religion aux interrogations des victimes de « coups du sort », sont bien connues. Elles visent à éviter que le doute érode la statue bien polie du Dieu « Tout-puissant et infiniment bon ». Dans le cas des grandes catastrophes naturelles ou des grandes pandémies, à la question « pourquoi Dieu permet-il cela ? », les « représentants de Dieu sur Terre » ont longtemps répondu en avançant l’explication du châtiment de l’impiété et des dérives morales. Moins effrontément péremptoire aujourd’hui, cet argument n’a pas vraiment disparu : il est insinué. Certains prêtres inspirés de la fin du 20ème siècle, n’ont pas hésité à présenter le Sida comme la punition de « l’abomination » homosexuelle, oubliant (peut-être volontairement) que quantité d’hétérosexuels ont été contaminé, y compris des femmes, des enfants et des bénéficiaires de transfusions sanguines. Considérant le nombre impressionnant de prêtres homosexuels et pédophiles on pourrait d’ailleurs rétorquer à ces brillants moralistes, qu’à ce compte, il est étonnant que Dieu n’ait pas exterminé une bonne partie du clergé catholique !

Quand le mauvais sort frappe un enfant innocent, le clergé ne peut pas s’autoriser le mauvais goût d’invoquer la punition divine. Il explique alors que Dieu a choisi de « rappeler à lui » ce cher ange, et qu’il s’agit, en fin de compte, d’une grâce particulière qui lui est faite, sous-entendant qu’il échappe à l’inévitable souillure de l’âge adulte.

En fait, rompu depuis des siècles à la pratique de la casuistique, le clergé a réponse à tout, y compris, lorsqu’un argumentaire à peu près logique (à condition d’avoir la foi) est impossible, par l’évocation du mystère de la volonté de Dieu. Le mystère c’est ce qui explique tout en n’expliquant rien, mettant fin à tout questionnement forcément vain : circulez, il n’y a rien à voir !

Il reste que le discours religieux est extrêmement pernicieux pour la pensée. En effet, jusqu’où le principe de soumission inconditionnelle à la volonté de Dieu (telle, en tous cas, que la formulent ses représentants sur Terre autoproclamés) peut-il conduire l’individu ? On peut répondre sans hésitation : à l’idiotie (au sens pathologique) et au fanatisme. L’Eglise, institution à peau de caméléon, a mis beaucoup d’eau dans son vin depuis les Croisades, l’Inquisition et le massacre des Amérindiens, mais elle a l’impudeur de condamner aujourd’hui les pratiques de fanatiques contemporains tels que les islamistes, alors même qu’elle n’a jamais exprimé de repentance pour les avoir elle-même exercées au temps de sa toute-puissance. Par ailleurs, elle donne toujours en exemple l’image de débiles mentaux comme Job qui accepte un véritable suicide sacrificiel ou l’idiot Abraham qui n’aurait pas hésité à immoler son fils Isaac, si Dieu, sans doute partisan des plaisanteries les plus courtes, n’avait pas envoyé un ange pour mettre fin à cette farce sadique et sinistre. Car c’est bien de cela qu’il s’agit.

Ceci serait simplement navrant si la foi que nourrissent ces élucubrations ne participait pas à un formatage des esprits qui, au travers d’une psychologie de la soumission et de la déresponsabilisation profitant également aux pouvoirs temporels, a entretenu une violence constante sur la Planète. Les criminels de guerre (et pas seulement ceux qu’on a jugés à Nuremberg) qui disent pour leur défense « j’ai obéi aux ordres », sont autant d’émules d’Abraham dont aucun ange n’est venu arrêter le bras.

Quant à l’exemple de Job que nous avons qualifié de « suicide sacrificiel », il incite à une résignation funeste érigée en vertu. L’affirmation de la primauté de l’Au-delà sur l’Ici-bas fonde une attitude de sous-estimation et de mépris de la vie « sur Terre » et de placement de toute espérance dans « la vraie vie » qui suit la mort. Car il ne faut pas s’y tromper : l’espérance telle que l’entend l’Eglise, n’est pas une vision optimiste d’un avenir dont il n’y a rien à attendre (la vie, « vallée de larmes ») mais la perspective d’une vie éternelle ailleurs, assortie de l’alternative Paradis vs Enfer, version métaphysique de la carotte et du bâton, méthode éprouvée, parait-il, pour la conduite des ânes. On ne peut mieux respecter la dignité de l’être humain !



Et ceux de la société civile

La société civile n’est pas en reste dans la contribution idéologique à l’interprétation des facteurs agissant sur les destinées individuelles et collectives. Son approche « laïque » de la question repose sur ce qu’on pourrait appeler un « sociologisme » se partageant entre moralisme et victimisation.

Très prisé au 19ème siècle et dans la première moitié du 20ème siècle, le moralisme tend à imputer l’orientation des destins individuels et collectifs au comportement moral de la personne ou du groupe : quand ce comportement est conforme aux règles morales communément admises, l’individu ou la collectivité connaitront un destin favorable ; quand ce comportement ne respecte pas ces règles le destin sera défavorable. A ces époques, les élèves des écoles de la République bénéficiaient de « leçons de morale » enseignées dans des « cours de morale » comme les autres disciplines. Cette vision des choses n’était, ni plus, ni moins, que la transposition terrestre du Paradis et de l’Enfer. Certes, elle était un vecteur important dans la transmission des valeurs d’un ordre social donné dans les consciences, donc d’un formatage mental. Cela explique le souvenir qu’on peut avoir d’une société relativement pacifiée et stable. Mais cela explique aussi la docilité et même l’enthousiasme (au début tout au moins) avec lesquels les mobilisés de 1914 sont partis au combat. Toutefois, le moralisme laïque a au moins le mérite, même s’il le doit en partie à un incontestable « bourrage de crâne », de placer l’individu devant ses responsabilités, donc de lui reconnaître un libre arbitre et des choix conscients.

La victimisation -dont le wokisme d’aujourd’hui est une variante- consiste à exonérer, au moins en partie, l’individu de la responsabilité de sa destinée en rejetant celle-ci sur la collectivité. Il y a même eu, dans la seconde moitié du 20ème siècle, une thématique récurrente de la victimisation dans l’argumentaire des avocats défendant des délinquants ou des criminels. Pour les « victimistes », beaucoup d’entre nous seraient des victimes de la société. Certes, les atouts sociaux sont inégalement répartis et nous avons déjà évoqué la fausse égalité des chances au départ de la vie. Cependant, on peut répondre à l’argumentaire victimiste des plaidoiries défensives, qu’il n’y a pas une fatalité qui frappe les plus défavorisés pour les conduire à un comportement anti-social. Certains, même, comme relevant le défi de leur condition originelle, connaissent de brillantes réussite. Des auteurs sont allés jusqu’à théoriser sociologiquement cette idée du « défi stimulant » en analysant l’effet de celui-ci sur des minorités contraintes à plus d’effort que les groupes dominants et devenant à leur tour dominantes par les effets d’un plus grand investissement dans l’étude et /ou le travail, de la prise de risque de ceux qui n’ont rien à perdre, de la solidarité communautaire. On peut citer à cet égard les exemple des « immigrés français intérieurs » (Auvergnats ou Savoyards à Paris) ou des Italiens et des Irlandais aux USA. Bien entendu, tout ceci est à nuancer, mais l’idée d’un « prise en charge de soi » est pertinente, s’opposant à celle de l’inéluctabilité d’une passivité conduisant, par la faute présumée d’un ordre social injuste, à glisser sur la pente fatale de la déchéance dans la clochardisation, l’alcoolisme ou la criminalité. Les argumentaires s’opposant à la victimisation rejoignent finalement le moralisme sur fond de défense de l’ordre social. Là, on touche du doigt la réalité d’une fracture sociale qui n’est pas seulement une opposition de la richesse et de la pauvreté, mais oppose deux conceptions des fondements de l’organisation sociale : d’un côté un principe hiérarchique qui s’appuya sur l’hérédité par le sang durant l’Ancien Régime, puis ensuite sur l’hérédité par la transmission de la propriété ; d’un autre côté une hiérarchie fonctionnelle fondée sur le seul mérite et excluant la propriété privée des biens de production (aussi bien industriels que fonciers), la limitant à des acquis mobiliers non transmissibles. On peut comparer cette conception, mutatis mutandis, au système institutionnel qui fut celui de Sparte et qu’on peut considérer, toutes choses étant égales, comme une forme de communisme avant la lettre.

Causes et effets : l’implacable logique qui dément la fatalité

Il serait sot de nier tout rôle du hasard et tout poids d’influences déterminantes dans la destiné des individus. Cependant, durant le quasi-siècle que peut durer maintenant une vie humaine, l’intervention du hasard et des influences déterminantes demeure évidemment exceptionnelle. Ce qui régit le cours des destinées, ce sont bel et bien les choix et les décisions des individus et des collectivités. Mais pour que ces choix et ces décisions soient réellement le fait du libre-arbitre, il faut que les uns et les autres s’exercent en toute conscience de la logique de l’enchainement des causes et des effets. Et cette logique doit être anticipée. Cela s’appelle la réflexion et s’oppose à l’impulsivité à laquelle peuvent à la rigueur s’autoriser de céder les individus dotés d’une très grande et très fiable capacité d’intuition, une qualité rare et ne garantissant pas à tous les coups la réussite de ce qu’elle inspire.

Par ailleurs il faut bien comprendre que chaque effet n’est jamais la résultante d’une seule cause, et qu’une cause n’a rarement qu’un seul effet ! Cela rend donc complexe la logique présidant à l’orientation des destinées. L’homme qui souhaite exercer une maitrise raisonnée de sa destiné doit donc intégrer à sa réflexion, non seulement l’anticipation des effets de sa décision, mais aussi ceux de volontés extérieures à sa personne et de situations conjoncturelles potentiellement déterminantes. Il s’agit là d’une réflexion qui s’apparente au raisonnement tactique d’un chef militaire.

Il apparait donc que dans beaucoup de cas d’échecs, ce que l’on impute à la fatalité (la faute à pas de chance), est d’abord le résultat d’une absence de réflexion anticipatrice ou d’une réflexion biaisée par la subjectivité (cette substance affective ayant un effet hallucinatoire sur le mental) qui fait perdre le sens des réalités sur le mur desquelles vont se fracasser tant de naïfs, d’orgueilleux, de rêveurs, de casse-cous et autres losers prévisibles. On pourrait multiplier les exemples navrants de cette « irréflexion », depuis les commerces ouverts sur un coup de cœur pour un produit, en quelque sorte « pour se faire plaisir », jusqu’à l’étudiant qui opte pour une filière pour laquelle il n’a aucune disposition mais dont le débouché qu’il en escompte correspond à « l’idée qu’il s’en fait ». On retrouve là les ingrédients dont nous avons souvent dénoncé la nocivité dans nos articles : ignorance délibérée des réalités, illusion séductrice des idées.

On ne peut pas davantage mettre sur le compte de la fatalité la conséquence d’une prise risque : par exemple, on ne peut pas dire d’un étudiant qui dans ses révisions avait fait un impasse sur une partie du programme, « il n’a pas eu de chance, il a été interrogé sur un des seuls chapitres qu’il n’avait pas révisés ». Car il y a aussi chez les perdants une tentation de fuir leur responsabilité. Outre la faute à « pas de chance », il y a le transfert de responsabilité sur autrui : « Untel m’a mal conseillé ! » ; certes, mais son conseil a été suivi, sans doute sans recul critique, peut-être par reddition à la facilité qui dispense d’une analyse personnelle et fait accepter l’intervention d’une influence.

Nous pensons aussi à des configurations où des personnes qui se présentent en victimes occultent leur responsabilité propre d’adulte dans leur engagement dans un processus qui leur a été ensuite dommageable. Il y a quelques années, des escrocs habiles avaient obtenu les placements substantiels de souscripteurs au cours de « réunions d’information » dans les salons de grands hôtels, avec beaux discours, buffets raffinés et remise de brochures luxueuses, en promettant des rendements d’environ 20% ! L’appétence pour le gain avait sans doute aveuglé les boursicoteurs au petit pied, mais pas au point d’incapaciter leur faculté de raisonner. Ils étaient donc moralement condamnables et si leurs plaintes étaient légalement recevables, elles témoignaient en revanche de beaucoup d’impudeur car leurs souscriptions n'étaient, ni plus ni moins, que de la complicité d’opérations plus que douteuses, un rendement de 20% ne pouvant être obtenu dans des conditions orthodoxes sur le marché financier.

Il reste donc que tout individu conscient qui suit la voie de la raison et se donne la peine et les moyens d’anticiper l’enchainement logique des conséquences de ses choix et décision, peut, dans la grande majorité des situations, demeurer maître de sa destinée et même la prévoir.

En effet, prévoir l’enchainement logique des causes et des effets dans le temps à venir qui suit un passage à l’acte déterminant, n’est pas impossible. Le génial Isaac Asimov (1920-1992), brillant esprit scientifique et auteur de remarquables ouvrages de science-fiction, a créé dans les cinq volumes de sa saga Fondation, le personnage de Hari Seldon, né au 120ème siècle de l’ère galactique, mathématicien et statisticien, qui invente la « psychohistoire », une méthode d’analyse de la psychologie individuelle et collective basée sur la logique qui lui permet de prévoir sur des siècles la destinée de l’Empire. Après sa mort les protagonistes des évènements qui suivent pourront trouver dans des hologrammes qu’il a enregistrés et où il s’exprime avec concision, les éléments de pistes susceptibles de guider leur action conformément à ses prévisions.

Cette fiction devrait inspirer les géopoliticiens et les stratèges de notre monde réel où l’on pourrait éviter beaucoup d’erreurs d’analyse et de choix tactiques inappropriés, si l’on accordait la place qu’elles méritent à la psychologie individuelle et collective (qui suppose évidemment une connaissance objective des sujets concernés, hors des préjugés communs) et à la logique des enchainements factuels (en ne confondant pas le résultat pouvant en être escompté avec celui qu’on souhaite). Les échecs et les chaos propices aux islamistes des politiques occidentales au Proche et Moyen-Orient, en Afghanistan et en Afrique, et leur part de responsabilité dans le déclanchement du conflit russo-ukrainien sont les preuves patentes de ce que nous avançons. Sur cette thématique, voir nos articles : Exo perspective et Demain l’Eurasie.



La maîtrise raisonnée de sa destinée : l’ascèse auto-subversive

La maîtrise raisonnée s’acquiert par l’appel à la raison et par l’appui sur la logique factuelle des enchainements des causes et effets. Cela suppose l’absence d’emprise de l’irrationnel des croyances et de l’illusoire des idées. Or la vie ordinaire dans une société où l’emprise des religions et des idéologies, comme de la confiance faite à leurs représentants de tous ordres, sont, hélas, très fortes, favorise au contraire une telle emprise. Par conséquent, celui qui veut maîtriser sa destinée doit en permanence se débarrasser des adhérences qui parasitent la pensée, car on ne s’en défait jamais une fois pour toutes : tels les virus mutants, les parasites de l’esprits s’adaptent aux résistances de la raison et de la logique, et empruntent de nouvelles voies de pénétration des esprits, souvent inattendues et très subtiles et trompeuses, servies en outre par les technologies mises à la portée des manipulateurs.

La vigilance de l’homme conscient n’a pas droit au sommeil car il peut être létal pour la liberté de son esprit. La maîtrise raisonnée de sa destinée exige donc une discipline rigoureuse qui est comparable à ce qu’est le lavage fréquent, minutieux et régulier du corps pour l’hygiène. Il s’agit d’une remise en cause permanente et sans concession sous la forme de ce que nous appellerons « l’ascèse auto-subversive » (ou subversion intime).

Sur le concept de maîtrise il y aurait beaucoup à dire, et un article ultérieur pourrait utilement lui être consacré. Pour l’instant, nous nous bornerons à retenir l’importance du préalable d’une connaissance de soi complète, lucide et sincère, par l’introspection et le regard d’au moins un tiers (voir à ce sujet notre article La parole du miroir et l’écoute du regard comme voie d’accès à la connaissance intuitive). Cette connaissance de soi aboutit à un profilage personnel dont la prise en compte est déterminante dans le discernement des choix en tant que causalités premières de l’enchainement logique subséquent et de son impact sur la gestion des effets et des causalités secondes qui en résultent.

Pour ce qui est du concept de subversion et de sa version « intime », nous renvoyons à notre article La subversion. Cependant, nous préciserons que l’auto-subversion atteint a pleine efficacité lorsqu’elle procède d’un véritable rituel de « déconstruction-reconstruction » qui, au-delà de sa perception sensitive consciente par le sujet, agit en profondeur sur le subconscient par la voie du symbolisme (symbolisme des éléments, symbolisme des matières, symbolisme du corps, symbolisme de la gestuelle et des postures etc.). Dans toutes les traditions on retrouve ce symbolisme du « lavage », mais dans le contexte religieux il a une connotation purificatrice (le baptême pour les chrétiens, qui se faisait initialement par immersion, les ablutions rituelles pour les musulmans, l’immersion des Hindous dans le Gange « fleuve sacré »), tout en signifiant aussi le « déparasitage » de l’action des esprits hostiles (Satan pour les religions du Livre), ce qui le rapproche du schéma de l’auto-subversion. On peut mentionner aussi le symbolisme des rituels sadomasochistes (voir notre article Le sadomasochisme). Evoquons aussi le rasage et la flagellation qu’on retrouve aussi bien dans des pratiques d’ascèse religieuse que dans le sadomasochisme !

Il n’est pas inintéressant d’observer que les pratiques purificatrices destinées à extirper les influences néfastes -et l’auto-subversion en est une- quoique recourant parfois à des pratiques violentes (par exemple la flagellation) conduisent l’adepte sincère à des états extatiques ou ataraxiques qui témoignent de leur effet libératoire et de virginité retrouvée.



Le Kali Yuga, Age de Fer

Revenons au plus implacable déterminisme qui est celui de la vision cyclique du temps, car en évoquant des rites répétitifs (c’est presqu’un pléonasme car tout rite a vocation à se répéter), nous ne pouvons faire moins que de rappeler ce qu’évoque Guénon dans Formes traditionnelles et cycles cosmiques, et Nietzsche dans ses développements sur L’éternel retour. Mais commençons par préciser que si l’humanité est probablement déterminée à l’échelle du temps cyclique, l’individu demeure en grande partie maître de sa destinée à l’échelle de son existence, comme nous venons de l’expliquer. Il n’y a là, ni contradiction ni paradoxe.

Dans l’ouvrage cité, Guénon rappelle l’articulation des cycles (Kalpas, Manvantaras, yugas) et l’enchainement des quatre yugas qui correspondent dans la tradition occidentale aux quatre âges évoqués par Ovide dans le livre 1 de ses Métamorphoses : l’âge d’or, l’âge d’argent, l’âge de bronze et l’âge de fer. Le kali Yuga hindou, c’est notre âge de fer. Il est assez remarquable qu’Ovide trace un portrait de l’âge de fer dont l’analogie avec ce que nous connaissons aujourd’hui est frappante : exploitation abusive de la Terre, appropriation abusive du sol et tracé des frontières qui divisent, criminalité, guerres incessantes et violences en tous genres.

Voilà un contexte qui n’est pas de nature à susciter d’autre énergie que celle de l’engagement dans les combats qui offrent leurs fausses perspectives de solution aux crises qui les provoquent. Dans le désarroi général et la désespérance, les temps sont à s’en remettre aux croyances et aux idéologies, en abandonnant raison, logique et esprit critique.

Si l’on veut sauver ce qui peut l’être pour refonder plus tard une autre Terre, il faut préserver l’essentiel d’une culture viable et faire en sorte que la faible lueur entretenue par une élite de l’ombre, se transmette au milieu des ténèbres d’une époque néfaste. Tel est le devoir humain impératif de ceux dont l’intelligence et la force d’âme les ont dotés des moyens de cette mission. Ce sont les maîtres clairvoyants qui, au prix d’une ascèse exigeante, ne laissent pas les parasites de la pensée envahir leur esprit.

A bon entendeur (c’est-à-dire bon lecteur de notre article) salut !

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