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Imposture démocratique et illusion électorale

18 août 2020 par
Simon Couval

Les démocraties dites « occidentales », en particulier européennes, ont adopté un type de régime politique qui consiste, grâce à l’artifice d’un système électoral faussé à la base, à confisquer le pouvoir citoyen au profit d’une oligarchie parlementaire s’appuyant sur des partis.

Il est difficile d’obtenir des chiffres fiables sur les effectifs de ces derniers, mais on peut estimer au mieux à 1% du corps électoral ceux des principales formations représentées au parlement. De surcroit les adhérents ne sont pas associés effectivement à l’élaboration des programmes, des « bureaux politiques » s’en chargeant. Quant à ces programmes qui sont censés éclairer le choix des citoyens, ils consistent surtout en des « menus uniques » non amendables énonçant grands principes et axes majeurs qui, en l’absence de mandat impératif donné aux élus, n’engagent pas formellement les gouvernants. On pourrait parler d’engagement moral si l’on ne savait ce qu’il en est de leur moralité ! On notera également qu’au sein des partis, le principe de « discipline de parti » s’oppose à toute liberté de vote des représentants. Au total, la gouvernance du pays est devenue l’affaire d’une minorité dans une minorité. Cela représente en France, à peine quelques milliers de « décideurs ».

Depuis la création de l’Ecole Nationale d’Administration, après la Deuxième Guerre Mondiale, lesdits décideurs sont de moins en moins issus de la société civile, cette école étant devenu le vivier politique de la République. Crédités d’une aptitude supérieure à gouverner, ils se réclament du professionnalisme de la politique présumé hors de portée de la masse des citoyens, ce qui creuse encore un peu plus l’écart entre la souveraineté théorique du peuple et le fondement réel du pouvoir.

A cela il faut ajouter le fait que ces dirigeants, isolés de toute expression réelle de la « volonté générale » et ayant entrainé le pays dans le néfaste ultralibéralisme mondialiste, sont assujettis aux diktats des pouvoirs financiers et économiques internationaux ainsi qu’aux conséquences peu maîtrisables d’une dépendance d’autres pays qu’ont permis la dérégulation commerciale et les délocalisations et sous-traitances laissées à l’initiative des grandes entreprises avides de profit. Nos politiciens font donc semblant de gouverner démocratiquement, et font semblant d’exercer un pouvoir souverain dont ils ne tiennent plus seuls les rênes.

Enfin, dans le cas de la France, on pourra observer qu’à l’imposture qui pare un régime oligarchique des vertus de la démocratie en recourant à l’inusable enfumage du verbe politicien, l’Etat français a ajouté depuis une soixantaine d’années, celle d’un présidentialisme bien accueilli dans un pays dont l’inconscient recèle une trouble nostalgie monarchique (on ne se débarrasse pas si facilement de 1500 ans de royauté) et qui entretient le mythe orgueilleux de sa superbe supposée reconnue par le reste du monde. Les institutions de la République siègent à Paris, mais le cœur de la France battrait-il à Versailles où l’on s’empresse toujours d’épater les « barbares » en visite officielle, à coup de dîners de gala servis par des laquais en livrée d’époque dans la Galerie des glaces, de Grandes Eaux et de feux d’artifice royaux, sans oublier le concours de la Garde Républicaine (!) en tenue d’apparat ?

Mais laissons cela à la fatuité pseudo-républicaine, et revenons à l’imposture présidentielle pour rappeler que si le régime oligarchique a dominé sans partage la vie politique durant les soixante ans et dix mois de la IIIème République et les onze ans de la IVème République, il a dû composer depuis octobre 1958, avec des présidents-monarques élus pour sept puis cinq ans au suffrage universel. Ils disposent de pouvoirs étendus prévus par la constitution, et s’en sont arrogés d’autres par « usage », appelés « domaine réservé », telle la politique étrangère. Président et oligarchie parlementaire ont adopté, après quelques à-coups sous De Gaulle, un sage régime de croisière où se sont succédé des parodies d’alternance et de cohabitation, quelques gesticulations de surface ayant permis de masquer aux éternels cocus du suffrage universel, la réalité d’une continuité gardant son cap sous la brise légère de quelques faux changements. François Mitterrand (1981-1995) qui fut l’auteur du terrible et juste réquisitoire antigaulliste Le coup d’Etat permanent, se garda bien, une fois président-monarque de changer la constitution. De surcroit, aussi bien lui que Lionel Jospin, Premier ministre socialiste (1997-2002) par la grâce d’une balourdise chiraquienne, ont activement contribué à la construction d’une Europe ultralibérale.

Tout ceci peut paraitre complexe et décourager le citoyen, même lorsqu’il pressent qu’on l’abuse, de rechercher les informations démontant les mécanismes de l’imposture. Il existe pourtant des analystes politiques indépendant et sérieux, citant leurs sources et donnant de telles informations. A cet égard, retenons à titre d’exemple l’excellent rapport de Youssef Hindi qu’on trouvera référencé en fin d’article.

Si l’imposture démocratique ne respecte pas les modalités d’expression de la volonté générales exprimées par Rousseau, elle ne respecte pas davantage le principe de séparation des pouvoirs exposé par Montesquieu. Dès lors que les juges sont nommés et non élus, que leur carrière est gérée par le ministère de la Justice, que le parquet reçoit des directives de la Chancellerie, l’indépendance du pouvoir judiciaire est une fiction. Quant au pouvoir législatif, les décrets-lois puis les ordonnances lui ont toujours rogné les ailes en transférant à l’exécutif le pouvoir de légiférer au-delà de l’espace réservé au pouvoir réglementaire, et les votes bloqués limitent le travail législatif en ne retenant que les amendements acceptés par l’exécutif. Une telle prépondérance de l’exécutif s’oppose à toute idée d’équilibre des pouvoirs dans une saine séparation. L’oligarchie parlementaire s’accommode de ces entorses car exécutif et législatif n’obéissent qu’à une loi qui est celle des partis. De Gaulle qui fustigeait les partis a bien dû, malgré ses tendances plébiscitaires, s’appuyer sur un parti ; et lorsqu’il s’est attelé à un projet attentatoire au jeu oligarchique, il a été mis en échec.

L’imposture démocratique repose en grande partie sur l’illusion électorale, car celle-ci entretient le citoyen dans l’idée que ses votes ont une influence effective sur la gouvernance et que le corps électoral est bien le détenteur de la souveraineté du peuple. On vient de voir ce qu’il en est de cette influence supposée et de l’exercice d’une souveraineté théorique. La question qui se pose est de savoir combien de temps encore cette illusion perdurera.

Les scandales mettant à mal la crédibilité des institutions ne sont pas une nouveauté. Dans les dernières décennies de l’Ancien Régime, ils ont miné la monarchie, un des plus connus demeurant « l’affaire du collier de la Reine ». Encore la reine était elle innocente. Moins innocents furent les scandales d’Etat jalonnant la IIIème République, depuis le scandale de Panama (1892) révélant la corruption des politiques, jusqu’à l’Affaire Stavisky (1934) qui faillit l’emporter dans la tourmente. La IVème République connut « l’affaire des piastres ». Sous la Vème République, le pouvoir gaulliste fut secoué par « l’affaire Ben Barka » (opposant marocain enlevé et assassiné en France avec la complicité des services français de contre-espionnage). Valery Giscard d’Estaing fut « plombé » par « l’affaire des diamants de Bokassa » (joyaux offerts au président par ce dictateur africain sanguinaire). L’assassinat du Prince de Broglie et celui du ministre Robert Boulin complètent avantageusement la rétrospective des années 1970. Les septennats et quinquennats suivants (de Mitterrand à Macron) furent le théâtre de si nombreux scandales qu’il serait fastidieux d’en dresser la liste exhaustive. Citons parmi ce palmarès boueux, « l’affaire du Rainbow Warrior » (navire de Greenpeace coulé avec un mort à la clé par des Pieds Nickelés des services français du contre-espionnage ; avec accumulation de mensonges d’Etat), « L’affaire du sang contaminé » (transfusions avec du sang infecté par le virus du SIDA), le suicide de l’ancien Premier Ministre Pierre Bérégovoy, celui (à l’Elysée) du trouble conseiller François de Grossouvre, « l’affaire Urba » (financement occulte du Parti Socialiste par le biais de marchés publics manipulés et de fausses factures), l’affaire du financier occulte du parti présidentiel, Jean-Claude Méry et d’une gênante cassette enregistrée, affaire que Chirac, inspiré peut-être par son rimbaldien conseiller, Dominique Galouzeau de Villepin, qualifia d’abracadabrantesque ; l’affaire des emplois fictifs et des fausses factures de la Mairie de Paris (qui fera lourdement condamner Alain Jupé, le féal fusible. Pour clore cette écœurante et révoltante énumération, évoquons pour comble d’une affaire d’Etat, le cas de Jérôme Cahuzac, ministre des finances socialiste en exercice, délinquant fiscal et parjure devant l’Assemblée Nationale !

Conclusion : et il y a encore des citoyens qui croient que le bulletin qu’ils déposent dans l’urne pèsera sur le destin du pays alors qu’aucun des partis entre lesquels il est invité à choisir n’a échappé à l’un ou l’autre de ces scandales !

Mais il y a aussi des citoyens qui n’y croient plus. Quelques chiffres parlant tirés des résultats de la dernière élection présidentielle (et qu’on ne présente jamais de cette façon) : au premier tour, le total des abstentions et des votes blancs et nuls (11,5 millions) dépasse de 2,9 millions le total des voix obtenues par le candidat arrivé en tête (E. Macron, 8,6 millions°. Au deuxième tour, le total abstentions, blancs et nuls (16,2 millions) représente seulement 4,5 millions de moins que les votes en faveur du gagnant (20,7) pour qui s’étaient mobilisées toutes les forces politiques se disant « républicaines » pour faire barrage à Marine Le Pen. Si aux 16,2 millions d’abstentions, blancs et nuls on ajoute les 10,6 millions de voix de Marine Le Pen (vote essentiellement populiste et protestataire) on arrive à l’effarent total de 26,8 millions ! De quelle légitimité peut peser un président élu dans ces conditions ? Notons que les suffrages obtenus par Macron au premier tour, c’est-à-dire ceux qui représentent vraiment une adhésion à sa candidature, représentent à peine plus d’un cinquième du corps électoral (47,58 millions). Au second tour les 20,7 millions obtenus représentent moins de la moitié de ce corps électoral. A suivre…

JUNIUS

18 Août 2020

Montesquieu, L’esprit des lois

Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social et Discours sur l’économie politique

François Mitterrand, Le coup d’Etat permanent

Youssef Hindi, Géopolitique du coronavirus Chine versus USA

Louis Foisneau, Gouverner selon la volonté générale : la souveraineté selon Rousseau et les théories de la raison d’Etat (Les études philosophiques n°83, texte intégral)

Philippe Broussard et Jean-Marie Pontaut, Les grandes affaires de la Vème République

Roger Faligot, Jean Guisnel et cinq autres auteurs, Histoire secrète de la Vème République

Source des chiffres du scrutin présidentiel de 2017