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La bêtise politique

11 mars 2025 par
Simon Couval

  A dire vrai, c’est la bêtise de trop d’hommes et de femmes politiques qui rend la politique bête. Car le terme « politique », dans son sens restrictif de politike, désigne un domaine de pensée et d’action et, par extension l’art de gouverner, qui, en soi, n’appellent pas de jugement de valeur en tant que concepts.

L’étymologie du terme est formée les racines grecques polis (cité) et ikos (relatif à). Littéralement la politique est donc ce qui se rapporte à la cité. Dans un sens plus large le terme désigne l’art de gouverner la cité, et dans un sens plus large encore, les modalités concrètes de ce gouvernement. Mais le terme a pris aussi un sens « personnalisant » désignant les acteurs et actrices de cette gouvernance, dont l’usage se substitue maintenant fréquemment à celui d’hommes et femmes politiques.

Pour ce qui est de la bêtise, elle se définit comme de défaut d’intelligence, de bon sens, de jugement (dictionnaire de l’Académie Française) et l’étymologie du terme est claire, considérant que ledit défaut est le propre des bêtes, ce qui est d’ailleurs leur faire injure, tant les animaux font souvent preuve de plus de bon sens et même d’intelligence que les humains.

Voilà pour les préliminaires sémantiques. Il nous faut maintenant rappeler un peu d’histoire pour comprendre la situation actuelle de la politique.

Fondements et principes de la politique

Si la politique est l’art de gouverner, c’est-à-dire de diriger (donner une direction), de conduire (fixer un objectif et les moyens de l’atteindre), et d’organiser (structurer méthodiquement), elle ne peut pas être réduite à un mécanisme dont la seule justification serait son fonctionnement. Elle doit donc avoir un fondement et être régie par des principes.

Sans remonter une fois de plus à la préhistoire puis à l’Antiquité, et en s’en tenant à l’histoire d’un pays comme la France, on peut constater que durant une première période (de 481, accession de Clovis au trône, à 1792, proclamation de la 1ère République, soit 1311 ans) le fondement politique du pays a été la monarchie héréditaire régie par les règles de primogéniture et de masculinité, et la religion d’Etat, chrétienne puis seulement catholique. Son organisation eut pour principe le droit féodal, durant environ quinze siècles, puis, après que Louis XI (1423-1483 ; roi de 1461 à 1483) eut maté les grands féodaux, la monarchie centralisatrice et absolutiste avec l’apogée du règne de Louis XIV, dit « le Roi Soleil ».

Si aujourd’hui personne n’envisage sérieusement la possibilité d’un retour au régime politique monarchique, on doit cependant constater que celui-ci a duré plus de mille ans sans être remis en cause. Cela est incontestablement dû à la solidité de ses fondements : la foi chrétienne et l’essence divine du pouvoir royal actée par le sacre du monarque. Il faut évidemment essayer de se replacer dans le contexte de l’époque pour comprendre l’une et l’autre. En effet, pour l’immense majorité du peuple, au moins jusqu’aux prémices de la Révolution, la vérité religieuse et la vérité politique étaient ressenties comme des réalités intangibles, au même titre que la course du soleil et la succession des saisons. On les acceptait, y compris dans leurs manifestations les moins plaisantes, parce qu’ainsi était l’ordre des choses : on peut ne pas aimer la nuit ou détester l’hiver, mais on admet qu’on ne peut rien y changer. Seule l’instillation du doute dans les esprits a pu commencer à ébranler cet édifice sacralisé. C’est ce qui s’est produit avec la percée de l’humanisme, la redécouverte des auteurs de l’Antiquité, les scandales de la papauté, l’apparition de l’imprimerie comme vecteur de pensées plus diversifiées, l’amorce d’une opinion publique avec les premières « gazettes », le choc de la Réforme, entre autres facteurs. Le doute est devenu scepticisme avec les Lumières. La monarchie absolutiste de droit divin reposant sur le socle de la foi, les fissures affaiblissant celui-ci ne pouvaient que la déstabiliser.

Avec la république le pouvoir politique changeait de fondements, s’appuyant sur les nouvelles valeurs proclamées par la Déclaration des droits de l’homme, en particulier l’égalité et la liberté. La souveraineté des sujets devenus citoyens succédait à celle du roi. Il se produisit là quelque chose d’irréversible que le 1er Empire, la Restauration, la monarchie dite « de juillet » et le Second Empire ne firent que mettre en veilleuse et qui s’imposa avec la Troisième République en assurant son imprégnation et son rayonnement grâce aux véhicules efficaces que furent l’école publique, l’université et les sociétés de pensée. La IVème république et la Vème république continuèrent à s’appuyer sur ces mêmes fondements auxquels s’est ajoutée une révolution culturelle agissant en profondeur sur les mentalités : un matérialisme induit par une formidable avancée des sciences et des techniques, inspirant le désir bourgeois d’enrichissement, et le désir ouvrier d’obtenir une plus juste part des retombée du progrès.

L’accélération de l’histoire et l’usure des valeurs

On peut incontestablement imputer à la Première Guerre Mondiale le rôle déclencheur d’une accélération de l’histoire. Les pseudo-démocraties occidentales qui ont mené la danse macabre du calamiteux traité de Versailles qui mit à profit le contexte de sortie de guerre et d’instabilité interne pour consacrer l’effondrement de quatre empires : L’empire allemand, l’empire austro-hongrois, l’empire russe et l’empire ottoman. Elles ont cru ainsi assurer leur leadership sur le monde et faire triompher leurs valeurs idéalistes dont la SDN pour l’Europe sera le relai institutionnel emblématique. Raté ! L’idéalisme sourd et aveugle qui croit qu’il suffit de chanter des hymnes et de tracer des cartes sur du papier pour imposer un ordre fondé sur des valeurs faisant fi des réalités, n’a fait que permettre la naissance de deux autres idéalismes européens redoutables, le communisme et le fascisme, Tandis que le Moyen-Orient déstabilisé par la disparition du « régulateur » ottoman, entrait dans une période de troubles endémiques à la recherche de nouveaux maîtres que ne pouvaient espérer être l’Angleterre et la France.

Pour ce qui concerne les valeurs, le microcosme français est représentatif d’un déboussolement. Entre les aspirations à la restauration des valeurs traditionnelles (chrétiennes et monarchiques) et celles qui s’imposaient chez de puissants voisins (Fascisme en Italie et en Allemagne, communisme en URSS), l’usure de la démocratie « droit-de-l’hommiste » devenait patente.

Après la Deuxième Guerre Mondiale ce fut pire, car derrière la victoire apparente des démocraties, apparaissaient de cruelles réalités : une reddition de l’Allemagne obtenue au pris d’une alliance avec la si peu démocratique URSS, alliée de circonstance par nécessité mais devenant la nouvelle menace ; une reddition du Japon acquise au prix du recours à la si peu humaniste arme nucléaire qui fit en quelques minutes plus de 200 000 morts et des centaines de milliers de blessés horriblement mutilés. Dans le même temps commençaient pour la France les guerres d’Indochine et d’Algérie, tandis qu’au Moyen-Orient était donné le coup d’envoi de l’interminable conflit israélo-palestinien.

Résultat de tout ce gâchis : le « citoyen lambda » comme aiment à l’appeler nos élites pensantes, avait beaucoup de difficulté à croire encore à quelque chose. Mais l’habitude de croire, c’est-à-dire de s’illusionner, étaient encore profondément ancrée depuis des millénaires dans les mentalité, induisant par la puissance de l’addiction à la croyance, une incapacité à observer la réalité et à raisonner logiquement. C’est une fumisterie de parler d’un prétendu cartésianisme français.

Une chose a échappé à tout ce beau monde enferré dans ses querelles idéologiques, guerres de religion politique et pseudo-philosophique : la part déterminante de la science et de la technique dans l’accélération de l’histoire. C’est que, tellement persuadés du primat de la politique et des valeurs sur lesquelles elle se fonde, nous avons une vision complètement erronée du rôle historique de la science et de la technique (disons d’ailleurs plutôt : des technologies). Les savants ? Ah ! Oui ! Ces types un peu fous qui de temps à autre inventent des truc géniaux qui vont du fil à couper le beurre aux télescopes qui explorent l’univers, en passant par la poudre à canon, la bicyclette et les avions ! Ils vivent dans leur monde, la philosophie n’est pas leur tasse de thé et, bien entendu, ils ne comprennent rien à la politique.

Là, cher lecteur qui désespérait peut-être de nous voir enfin aborder le sujet annoncé par le titre, nous commençons à toucher du doigt l’incommensurable bêtise politique qui s’étale sous nos yeux avec l’indécence du roi nu du conte d’Andersen.

Mais pourquoi maintenant ? Tout simplement parce que la prodigieuse accélération du progrès scientifique et technologique des dernières décennies et leur impact direct sur notre quotidien comme outil de gouvernance publique et privée, se conjugue avec des situations conjoncturelles telles que la mutation climatique ou la perspective de résurgence de conflits de grande ampleur, mettant en lumière le rôle moteur vital des sciences et des technologies dans la maîtrise desdites situations qui, à défaut de réponses concrètes aux défis qu’elles constituent, constitueraient des menaces existentielles majeures pour l’humanité. Or, pendant ce temps, la plupart des politiques compulsent les vieux livres de recettes devenus obsolètes depuis au moins un demi-siècle.

Autrement dit, les fausses élites d’une pseudo-démocratie fondée sur une oligarchie parlementaire à bout de souffle et la mécanique rouillée des partis, n’a rien compris au tournant de l’histoire amorcé dès la fin du 20ème siècle. C’est cela, la bêtise politique : l’incapacité à s’adapter à des réalités nouvelles qu’on n’a pas vu venir, en s’obstinant avec la ténacité des ânes qui refusent d’avancer, à braire des incantations idéalistes qu’un peuple frappé d’incroyance ne peut plus entendre. C’est, faute d’avoir acquis la faculté d’anticiper le futur, imaginer qu’il puisse concilier un fantastique bond en avant technologique avec un « c’était mieux avant » mythifié (par exemple en croyant qu’on pourrait pacifier l’école et promouvoir le civisme en imposant le port de l’uniforme aux élèves ; ou bien en s’illusionnant sur l’impact du « devoir de mémoire », alors que des millénaires de violence et de barbarie constantes prouvent que le souvenir des pires horreurs n’a jamais empêché qu’elles se reproduisent, et souvent en pire).

Est-il seulement venu à l’esprit de quelques gouvernants égarés dans la rumination du passé, qu’il pourrait être plus efficient de s’attacher avec pragmatisme à comprendre le présent pour en dégager une vision réaliste et constructive du futur ?



Un décryptage dépassionné du trumpisme et un Macron pas si bête quand il veut

Lorsque le pauvre président Biden qui commençait sérieusement à pédaler dans la choucroute a jeté l’éponge et passé le relai à Kamala Harris, le chœur des bienpensants pseudo-démocrates a laissé éclater sa joie : la candidature de la jeune (60 ans) vice-présidente sonnait le glas des espérances trumpistes. Au pire se serait un peu serré, mais elle allait forcément gagner, surtout après les dernières bourdes de Trump et de son entourage, et avec le soutiens qu’elle recevait d’une floppée de stars et d’influenceurs et influenceuses (par exemple les chanteuses Beyoncé ou Tylor Swift (par ailleurs championne de la cause LGBT). Résultat : Pas une défaite, mais une déroute ! Alors, les bienpensants gaucho-franchouillards se déchainent ; l’injure le dispute à la haine, la surenchère dans l’imbécilité primaire allant jusqu’à l’appel au meurtre d’un vieux comédien débile. Ah ! Il est beau, le pays de Descartes !

Bien entendu, nous n’allons pas entrer dans un débat stérile de paroles irréfléchies et de propos convenus qui ne font rien avancer, nous gardant de trancher entre anti-trumpistes hystériques et thuriféraires du 47ème président US. Conformément à notre incessant appel au recul critique et à notre conviction que les idées se fracassent toujours sur le mur des réalités, nous allons proposer une analyse dépassionnée du trumpisme en partant du présupposé que 77 302 580 électeurs américains ne sont ni des idiots congénitaux, ni d’abominables fascistes et qu’un type qui a réussi deux fois à devenir le chef d’Etat d’une des deux superpuissances mondiales (avec la Chine), n’est ni un fou, ni un abruti, même si notre intelligentzia locale n’a pas trouvé d’autre explication à un comportement qui dépasse son entendement parce qu’il échappe à ses codes.

Car en fin de compte tout est là. En France la politique est encore considérée comme un métier qu’on apprend de préférence à Science Po et à l’ENA, ce qui a pour résultat de former des sortes de « super haut-fonctionnaires » sans expérience pratique de terrain, déconnectés des réalités économiques et sociales tangibles (ils le sont déjà majoritairement par leur origine sociale et l’accoutumance à une vision parisianiste). Aux USA on n’a pas cette conception « fonctionnariste » de la politique. Toutefois, jusqu’à Trump et à l’exception de Lyndon Johnson, tous les récents présidents sont des anciens élèves d’établissements prestigieux : John F Kennedy était diplômé de la London school of Economics, de Princeton et de Yale ; Richard Nixon de l’université Duke ; Jimmy Carter du Georgia Institute of technologie et de la United States Naval Academy ; Bill Clinton d’Oxford (GB) et de Yale ; George W Bush de Yale ; Barack Obama de Columbia.

Trump, lui, bien qu’il ait étudié dans l’université privée Fordham, dans le bronx, et à la Wharton School (sans doute parce qu’elle avait une filière « immobilier ») a surtout été formé sur le tas dans l’entreprise immobilière familiale où il succèdera à son père. Toute sa vie est bâtie (sans jeu de mot) sur l’immobilier où il a excellé. Aussi arrive-t-il au pouvoir avec l’atout de cette expérience à un moment où les idéaux, idéologies et autres idéalisations sont rattrapé par les réalités. Il gouverne donc les USA en businessman, soucieux de rentabilité, de retours d’investissements, osant parfois des paris, n’hésitant pas à changer de braquet ou à se contredire etc. etc. etc. La brutalité de ses propos peu soucieux de diplomatie, la soudaineté de ses décisions portent cette « marque de fabrique ». Depuis De Gaulle (qui avait quand même eu le culot de crier « vive le Québec libre ! » à Montréal) les Français n’avaient plus connu un chef capable de s’émanciper du « politiquement correct ». Alors, forcément ce comportement de businessman américain caricatural les défrise.

Or, dans le monde de ce premier quart de nouveau siècle où plus d’un dirigeant s’assoit sur les droits de l’homme et les résolutions de l’ONU, où les situations de fait l’emportent sur un droit international qui a perdu toute crédibilité, où, par exemple, ce n’est pas la « communauté internationale » (deux mots derrière lesquels il n’y a pas d’action efficace) qui est venue à bout du sanguinaire et indétrônable Bachar El Assad, mais des combattants islamistes; dans un tel monde, donc, « univers impitoyable », la bonne posture est-elle celle de Trump, fort de la puissance économique et militaire des USA, où celle des pseudo-démocrates européens nostalgiques des bonnes manières du Congrès de Vienne (1815) ?

Les Français semblent indécrottablement attachés à des modèles dépassés. Ainsi ont-ils considéré récemment qu’Emmanuel Macron dégradait l’image de la fonction présidentielle en s’entretenant au téléphone avec un conducteur injustement verbalisé à un péage. Trump, lui, n’a pas été critiqué, au contraire, en réussissant un beau « coup de com », lorsque revêtu d’un tablier il a servi des frites dans un MacDo !

Autre aspect du réalisme entrepreneurial du trumpisme : l’alliance avec Elon Musk. Peu importe la personnalité de Musk, aussi turbulente et provocatrice que celle du Président. Ce qu’il faut comprendre c’est la signification de leur tandem : un promoteur immobilier milliardaire et un milliardaire qui investit dans la recherche scientifique (IA, Espace, notamment). Constatez ce que révèle de pas aussi fou qu’on ne le pense, la « diplomatie » façon Trump : des OPA sur le Groenland et le Panama, la paix en Ukraine et au Moyen-Orient en contrepartie d’avantages économico-financiers (l’accès aux métaux rares du sol ukrainien, la « concession » de la bande de Gaza pour une gigantesque opération immobilière).

Et demandez-vous aussi pourquoi Trump qui dispose de la première armée du monde ne brandit pas des menaces militaires, mais économiques et financières : parce que les hommes d’affaires (en dehors des marchands d’armes) n’aiment pas ce qui déstabilise le cadre des échanges et des spéculations ordinaires. Sous la présidence de George W Busch, Trump fut un opposant très critique à la guerre contre l’Irak de Saddam Hussein (2003). Il y a un pacifisme trumpien qui n’est pas inspiré par une motivation humanitaire, mais par une conception des intérêts économiques et financiers des USA. On voit aussi que la « diplomatie » trumpienne adopte des raisonnements et un langage d’homme d’affaire ; par exemple lorsqu’il dit vouloir récupérer les sommes dépensées pour l’Ukraine (raisonnement d’investisseur !) et, même s’il ne l’a pas dit explicitement, c’est sans doute ce même retour d’investissement de l’aide à Israël qu’il attend de Gaza où (c’est atroce à dire et odieusement cynique, mais c’est une réalité) l’Etat juif aurait joué le rôle de bulldozer « déblayeur du terrain palestinien » préalable à l’opération immobilière de l’Etat-promoteur américain.

Tout cela est brutal et shocking, mais les businessmen n’ont pas la réputation d’être des gentlemen. Les diplomates de la vieille école qui ont tant contribué par leur incurie aux échecs des pseudo-démocraties européennes en préférant les belles citations littéraires et les anecdotes historiques à la lecture des traités de science économique, peuvent se remuer dans leurs tombes ! (On pourra relire avec plaisir l’ouvrage de Roger Peyrefitte La fin des ambassades où est merveilleusement restituée la sottise bouffie de la gent diplomatique. Ça aussi c’est de la bêtise politique !).

Mais revenons à Musk. Voilà un homme dont l’entreprise SpaceX créée il y a seulement 23 ans se positionne à la pointe de l’ingénierie spatiale. Elle a innové en concevant la fusée réutilisable, des lanceurs très performants, les vaisseaux de transports Crew et Crew Dragon utilisés par la NASA et plusieurs types de moteurs-fusées. Un des objectifs de SpaceX est la colonisation de Mars ; mais s’est aussi le programme Starlink consistant à mettre 30 000 satellites sur orbite pour assurer un accès Internet haut-débit de n’importe quel point de la Terre. En ce qui concerne l’IA, l’entreprise x AI s’est fixé des objectifs tout aussi ambitieux. On voit donc à quel point l’alliance Trump-Musk est une alliance de conquête visant à redonner aux USA un leadership planétaire qu’ils étaient en train de perdre au profit de la Chine. Cette dynamique de conquête s’appuie sur des stratégies de développements concurrentiels agressifs alimentés par des capacités de financement publiques et privées obligeant les compétiteurs étrangers à des investissements très importants susceptibles de les affaiblir (comme l’avait été dans le domaine militaro-industriel le programme Stars Wars du président Reagan).

Ainsi, lorsque Trump a annoncé le lancement d’un programme « IA » de 500 milliards de dollars, le Président Macron, qui oublie parfois d’être bête, a aussitôt réagit de la seule manière intelligente et constructive, en annonçant un programme français de 109 milliards d’euros équivalant selon lui du montant américain au vu des PIB respectifs des deux pays. Macron a effectivement compris que c’est sur ce terrain que se jouerait l’avenir des Etats voulant conserver une souveraineté réelle (c’est-à-dire pas seulement la souveraineté de principe que leur reconnait le droit international). C’est dans ces moment-là, comme lorsqu’il prend la tête d’une résistance européenne à la tentative américano-russe d’exclure l’UE des négociations sur l’Ukraine, que Macron redevient un vrai chef d’Etat qu’il a malheureusement cessé d’être en faisant preuve en politique intérieure de sa propension de surdoué à dire et faire le pire de la bêtise politique. En cela il est très gaullien car le Général était incontestablement plus performant en politique étrangère qu’en gestionnaire de ce qu’il considérait à tort comme « l’intendance ». C’est à se demander s’il ne faudrait pas un exécutif bicéphale : un co-président pour les affaires internationales, un second pour les affaires intérieures !



Quand Trump décide de jouer aux échecs à trois

Comme aurait dit Coluche, c’est l’histoire d’un mec… Ecrivons la suite : …qui n’arrête pas, depuis son retour au pouvoir, de surprendre et de scandaliser. Et en plus il précipite tout parce qu’il sait qu’il n’a, en pratique, que deux ans pour faire le boulot qu’il s’est fixé. Politiciens, journalistes et spécialistes qui ont appris à nager tout-petits dans les piscines pleines à ras bord de bêtise politique de leurs grandes écoles respectives, sont frappé de stupeur et poussent des cris d’orfraies (Frédéric Dard, père défunt de San Antonio, disait « des cris d’orfèvres »). Et on y va dans une navrance rageuse de tous les qualificatifs qui paraissent appropriés : fou, salaud, traitre, en particulier.

En fait, Trump qui n’a pas oublié, comme d’ailleurs ses prédécesseurs Obama et Biden, que l’ennemi number one est la Chine, a décidé de jouer aux échecs avec le maître du pays qui s’en est fait une spécialité nationale : Poutine. Autrefois, les autocrates du Kremlin portaient le nom de « Tsars de toutes les Russie » ; lui pourrait être appelé « Tsar de ce qui reste des Russies ». De beaux restes, certes, mais un peu rétrécis au lavage après l’essorage fatal de l’URSS et de ses satellites. Nostalgie impériale d’un pays qui avait fait trembler le monde et que la force des choses, comme on dit, réduit à devenir le partenaire obligé de la puissante Chine, autrefois snobée et qui, elle, comme l’avait annoncé en 1973 le bien inspiré Alain Peyrefitte, fait maintenant trembler le monde (1). La décennie 1970 a décidemment inspiré les prophètes, puisqu’en 1978 Hélène Carrère d’Encausse publiait L’empire éclaté, une vision anticipatrice du démembrement de l’URSS. Caramba ! comme on ne dit pas en Russie, c’est intolérable. Et en plus les USA et les européens narguent l’ours russe en projetant une extension de l’OTAN et de l’UE en Ukraine, ex république soviétique devenue Etat souverain à la faveur de la chute de l’URSS. Poutine remet de l’ordre en Russie après le règne funeste de l’ivrogne et bradeur Eltsine, puis la remuscle militairement, jusqu’à pouvoir enfin endosser son armure de « Cid Campéador » partant à la reconquête du terrain perdu. En 2014 la Russie envahit et annexe la Crimée. En 2022 Poutine lance une sorte de guerre préventive contre l’Ukraine (voir au sujet du sentiment obsidional de la Russie, notre article Exoperspective, le regard du stratège et sur la géopolitique eurasienne l’article Demain l’Eurasie). Le jeu américain de Trump consiste, en aidant (ou faisant semblant d’aider) Poutine dans son bras de fer avec l’Ukraine, à s’en faire son obligé et à le soustraire au protectorat chinois.

Jusqu’où pourrait aller les concessions de la Russie en échange du soutien américain dans sa reconquête impériale ? C’est là où intervient le troisième joueur de cette partie d’échec, car en arrière-plan du face à face Trump-Poutine, il y a la Chine ; plutôt silencieuse en ce moment, elle passe vraisemblablement en permanence un stock quotidien d’informations au crible de ses analyses. Or, s’il y a une obsession russe de Reconquista à l’ouest, il y a une obsession chinoise de rattachement de Taïwan à « la mère-patrie ». Et la sorte de légitimation de fait qu’apportent les USA de Trump à l’invasion russe de l’Ukraine, allant jusqu’à en rejeter la responsabilité sur Kiev, pourrait bien servir Pékin. En effet, pourquoi la logique applicable à la Russie ne s’appliquerait-elle pas à la Chine dont la position concernant Taïwan est bien plus défendable puisque l’ex-Formose est bien le résultat d’une sécession, l’ile ayant toujours été chinoise et l’ONU ayant reconnu de fait l’unité chinoise en substituant en 1971 la République Populaire de Chine à Taïwan en tant que membre représentant la nation chinoise.

En réalité, dans la partie d’échec engagée à trois, il y a aussi trois échiquiers car on ne peut jouer qu’à deux sur un même échiquier. Il y a donc un échiquier entre Trump et Poutine, un deuxième entre Poutine et Xi Jinping, un troisième entre Xi Jinping et Trump. En revanche le déplacement des pions des trois échiquiers est trilatéralement interactif !

On voit ainsi à quel point l’équilibre géopolitique mondial est fragile. Au moment-même où cet article est rédigé (février 2025), Donald Trump déclare qu’on n’a jamais été aussi proche d’une troisième guerre mondiale, ajoutant qu’elle n’aurait pas lieu sous son mandat parce qu’il se veut champion de la paix, mais qu’elle aurait déjà eu lieu si Biden était resté au pouvoir. C’est outrancier, comme d’habitude avec Trump, mais ce n’est pas si absurde car Biden et son entourage ne se sont jamais privé de provocations (par exemple la visite officielle à Taïwan de Nancy Pilosi, présidente démocrate de la Chambre des Représentants, en août 2022), jetant souvent de l’huile sur le feu.

Ce qui est fascinant c’est de constater que tous les protagonistes majeurs de la politique internationale sont des autocrates comme Poutine, Xi Jinping, Mohammed ben Salmane prince héritier et dirigeant de fait de l’Arabie Saoudite, ou, à un moindre degré d’importance mais non négligeables, Kim Jong-Un ; ou bien des dirigeants pseudo-démocrates peu soucieux du droit international et des sacro-saints droits de l’homme, comme le premier ministre indien Marendra Modi, le président turc Erdogan ou l’israélien Netanyahu. Face à cette faune politique que peuvent peser les gouvernants de la vieille Europe en quête de la laborieuse naissance de sa dimension politique, mais qui risque de se révéler n’être qu’une fausse couche ?

Le cri populiste, expression de la révolte et du désespoir populaires

24 février 2025. Hier ont eu lieu les élections législatives en Allemagne. L’AfD (Alternative für Deutchland) parti d’extrême droite arrive en deuxième position derrière une droite qui s’est « durcie » (traduisez : un peu plus droitisée). Bien entendu, les commentateurs pseudo-démocrates présentent presque comme un échec le score de l’AfD, tant ils avaient eu la trouille qu’elle fasse plus de voix encore. Mais ce parti est quand même passé de 10% à 20% des suffrages en quatre ans ! La bêtise politique continue de faire son œuvre. Plutôt que de s’interroger sur les motivations du vote « populiste », l’intelligentzia parle d’extrême-droite, imagine des nostalgiques du nazisme, agite le spectre du « retour à… », fait cauchemarder le public sur la vision d’un défilé de chemises brunes etc. Tout ce que ces vertueux démocrates trouvent à dire, c’est qu’il faut « faire barrage à l’extrême droite » (au besoin par des manœuvres électorales contre-nature génératrices d’un chaos parlementaire, comme on l’a vu en France en 2024).

Contrairement à ce que veulent faire croire les politiques et les journalistes en recourant à des clichés invalidés depuis 80 ans, le vote populiste ne reflète pas des options idéologiques mais exprime tout simplement le divorce d’une grande partie des électeurs avec une classe politique dont la bêtise et la cécité ont scellé l’impuissance. Victimes quotidiennement de l’aggravation des conditions matérielles de vie (perte de pouvoir d’achat, durcissement des conditions de travail, insécurité, menace climatique) des millions de citoyens crient leur révolte et leur désespoir. Et c’est ce désespoir qui est le plus grave, car il signifie qu’une prise de conscience assez récente de ce qu’est réellement le présent politique et de ce qu’a été réellement le passé politique si longtemps auréolé de légendes, empêche de croire possible un avenir viable.

La bêtise politique c’est d’avoir cru qu’on pourrait pratiquer sans conséquence le foutage de gueule (comme en ignorant en 2005 le rejet par les Français et les Néerlandais du projet de constitution européenne), les mensonges, les erreurs et les scandales récurrents. C’est d’avoir cru à la mémoire courte du peuple, alors qu’elle ouvrait elle-même la voie à une relecture démythifiée de l’histoire, révélant que la bêtise politique était peut-être une constante depuis bien longtemps, ce qui n’est pas de nature à encourager une vision optimiste de l’avenir !

Il y a 56 ans le bon peuple était scotché aux écrans télé pour assister aux premiers pas de l’homme sur la Lune. On peut gager qu’aujourd’hui l’arrivée de cosmonautes sur Mars ne soulèverait pas plus d’émotion que l’arrivée des concurrents du Vendée Globe. Nos contemporains aiment encore rêver, mais à condition que le budget des rêves ne dépasse pas une certaine proportion par rapport au revenu qu’ils triment à gagner et à condition que ces rêves soient économes en vies humaines.

On a peut-être tort, d’ailleurs ; car il n’est pas plus gratifiant de mourir intoxiqué par un produit frelaté de la grande distribution, que la peau trouée, façon Dormeur du val, sur un « glorieux » champ de bataille. L’électeur populiste, contrairement à son prédécesseur supposé qui s’enrôla dans la LVF, pousse son caddie dans l’hyper du coin, mais n’irait pas mourir pour l’Ukraine ou la Palestine. Surtout depuis qu’il y a clairement des gens payés pour ça, ce qu’on appelle « l’armée de métier ». Les nostalgiques de la conscription qui voudraient voir rétabli le Service National (qu’on n’osait déjà plus appeler Service Militaire, allez savoir pourquoi) sont de parfaits imbéciles ; les mêmes sans doute qui sont partisans de l’uniforme à l’école, pensant aussi que l’unité de la nation se fait par le baptême du sang. Cette belle invention républicaine de la levée patriotique des troupes est morte dans la honte des derniers conflits coloniaux où tant de jeunes vies sont morte pour que l’Indochine et l’Algérie demeurent française. Adieu Valmy ! Adieu l’épopée impériale ! Adieu Verdun ! La magie des légendes et des sublimes incantations, genre « Mourir pour la patrie, c’est le sort le plus beau, le plus digne d’envie » (2) n’opère plus ; et nous ajouterons : heureusement !

Mais il n’y a pas vraiment lieu de se réjouir, car nous ne sommes passés que d’une forme de bêtise à une autre. A l’illusion patriotarde de la grandeur française qui a offert à l’admiration béate du peuple les « grandes figures » de son histoire (L’héroïque Vercingétorix dont on oublie volontiers les erreurs stratégiques et tactiques qui ont perdu les Gaules ; le saint Louis IX « rendant la justice sous un chêne » dont on oublie les désastreuses ultimes Croisades et l’achat au prix de la moitié du budget du royaume -l’équivalant de 246 milliards d’euros aujourd’hui- d’une relique certainement fausse (3) ; le « Roi-Soleil » fauteur de guerres et des dragonnades, et signataire de la calamiteuse révocation de l’Edit de Nantes ; Napoléon et son épique « vol de l’aigle » qui s’abattit effectivement comme un rapace sur l’Europe et répandit des torrents de sang), ; à cette illusion patriotarde, donc, a succédé l’illusion de la croissance économique qui acte une course au profit et à la domination matérialiste du monde auxquelles se sont ralliées les enfants dénaturés du socialisme et du communisme. Et vogue la galère ! Mais c’est toujours la « France d’en-bas » qui rame dans la chiourme. 

Alors, évidemment, le populisme a le vent en poupe, n’ayant qu’à composer la musique sur laquelle on module les cris de révolte et de désespoir des galériens. Le sceptique, forcément fataliste, se dit que depuis la Genèse jusqu’à la une du Monde de ce soir, à part la moulinette qui a remplacé la râpe à formage, le mixer qui a remplacé le hachoir, les rouleaux de PQ sans tube et les navettes spatiales, rien n'a vraiment changé. Comme le dit le titre d’un livre de Somerset Maugham : Plus ça change…

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  1. Alain Peyrefitte, Quand la Chine s’éveillera, le monde tremblera, Fayard, 1943.
  2. Paroles du Chant des Girondins dues à l’inénarrable Rouget de Lisle qui, décidément, aimait le sang versé (des autres) comme en témoigne déjà sa féroce Marseillaise.
  3. La Couronne d’épines de la Passion du Christ. L’arnaque du siècle (le 13ème) ! Que l’Eglise y croit ou fasse semblant, passe encore ; mais que l’Etat, propriétaire de Notre-Dame de Paris considère cet entrelacs de ronces comme un trésor national, c’est sidérant. La Couronne d’épine (qui devrait d’ailleurs se trouver dans la Sainte Chapelle, un joyau architectural que Louis IX a érigé pour l’y accueillir) a eu droit, dans le cadre de la restauration de la cathédrale incendiée, a un nouveau et superbe reliquaire moderne qui a dû coûter une petite fortune. On ne pourra pas crier au scandale, car comme l’ensemble de la restauration ce n’est pas de l’argent public qui l’a financé, mais les dons privés venus du monde entier.