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L’AUTISME HEUREUX !

22 octobre 2024 par
Simon Couval

AVERTISSEMENT

L’adjectif « heureux » figurant dans le titre du présent article, ne prétend surtout pas qualifier toute forme d’autisme. Comme le terme autisme lui-même, il a été retenu pour rendre compte d’un état et d’un comportement psychologiques particuliers de personnes se situant à la marge d’une normalité sociale ordinaire, telle que la conçoit la majorité de nos contemporains dont la propension affirmée au grégarisme admet difficilement que certaines personnalités ne se rallient pas au mode de pensée et au genre de vie dominants. Pour autant nous n’ignorons pas que l’autisme se décline sous de multiples formes dont certaines se traduisent par une plus ou moins grande souffrance des sujets qui en sont affectés et de leur entourage, notamment parental.














Autisme est un terme formé à partir du grec autos (soi-même). Il rend compte du comportement de certaines personnes chez lesquelles, dans des proportions variables qui déterminent une plus ou moins grande sévérité de leur cas, se manifeste une propension à privilégier un rapport avec elles-mêmes plutôt qu’avec les autres.

Du fait même de cette diversité de niveaux (les spécialistes parlent de « spectre ») et des différences dans ses manifestations connexes, l’approche de l’autisme est essentiellement descriptive sur la base de l’observation clinique des sujets concernés.

Pour ce qui concerne la recherche des causes, le champ est également très ouvert, n’excluant a priori ni l’origine organique (cerveau), ni les interactions avec la parentèle et le milieu, et pas davantage une association de ces facteurs.

Partant de ces constats, nous proposons de décrire le cas d’individus que nous appelons « autistes heureux » et qu’on pourrait tout aussi bien dénommer « autistes invisibles », car si l’observation de leur comportement révèle des indices sérieux d’autisme, celui-ci n’apparait pas de manière manifeste -y compris à eux-mêmes- dans leur vécu des interactions sociales et de la communication. Tout au plus sont-ils considérés et se considèrent-ils comme « originaux » ou « particuliers », voire « marginaux ». Pourtant, leur originalité, leur particularité ou leur marginalité relève avant tout d’une autosuffisance du rapport à eux-mêmes et d’un rapport aux autres (considérés individuellement ou collectivement) marqué par la sélectivité, la réserve, et même l’exclusion intermittente. Passons en revue quelques aspects significatifs de ces « particularités » et précisons que ce profilage a été réalisé à partir d’entretiens avec des sujets se reconnaissant dans la forme d’autisme que nous appelons « heureux » et acceptant d’en exposer leur vécu qu’ils considèrent comme un fait social et non comme une pathologie. Notons que la prise de conscience de leur autisme a souvent été tardive, parfois au terme de leur vie active, à la faveur d’une vision rétrospective et introspective de leur comportement d’enfant, d’adolescent et d’adulte.

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Ce qui caractérise principalement l’autiste heureux, c’est le non-grégarisme, sa capacité à se tenir à l’écart du troupeau sans pour autant manifester une asociabilité patente, parce que la distance qu’il maintient avec l’effet de groupement ne procède pas d’un réflexe pathologique d’ordre névrotique, mais de l’observation qui l’a conduit très tôt à comprendre que la propension des individus à rechercher l’adhésion à un groupe constitue une norme sociale que tous les pouvoirs -religieux, politiques, économiques- encouragent et même, dans certains cas, imposent par des dispositifs appropriés. De ce fait, il va composer avec prudence avec cette norme, évitant toute posture provocante et s’imposant, si nécessaire, de « jouer le jeu » en lui concédant des adhésions ponctuelles. Car l’autiste heureux a une intelligence qui se situe au-dessus de la moyenne et le dote d’un discernement particulier.

Tel autiste heureux nous a confié l’étonnement qui a été le sien dès l’école maternelle en observant les jeux débilitants à la participation desquels semblaient prendre du plaisir ses congénères, alors qu’il s’agissait généralement d’apprentissage du grégarisme social aliénant faisant fi du libre choix individuel. Il a cité l’exemple de la ronde enfantine apparemment si innocente mais qu’on retrouve dans sa forme adulte qu’exprime la profession de foi totalement idéaliste de la formule « si tous les gars du monde voulaient s’donner la main » ; variante : « si tous les gars du monde décidaient d’être copains » et qui aboutit dans sa forme politique la plus élaborée, à la création de feu la SDN puis le l’ONU.

L’autiste heureux nous dit que pour lui il est évident que l’initiation plus ou moins forcée au regroupement, loin d’aboutir à l’irréaliste pacification planétaire, favorise le développement de regroupement rivaux sur le terreau ancestral des indéracinables différenciations ethniques, religieuses, nationales, morales, coutumières, rituelles, et de l’instinct prédateur de l’animal humain qui passe de la danse tribale (ronde ?) à la meute en chasse. Tentation de l’emprise sous toutes ses formes dont la plus constante est l’emprise territoriale qu’illustrent encore les plus récents conflits. Mais la légendaire Guerre de Troie, ne présentait-elle pas, déjà, dans des formes archétypales, le funeste désir d’emprise comme l’origine de tout conflit : désir d’emprise de Paris, prince troyen, sur Hélène épouse de Ménélas rois de Sparte, enlèvement d’icelle et inéluctabilité de la guerre.

Durant son enfance, l’autiste heureux, lorsqu’il se trouve en récréation avec des camarades, privilégie les jeux de compétitions individuelles (billes, cache-cache, chat perché, quatre coins etc.), ne se joignant jamais aux « footeux » qu’il voit taper sur un ballon et hurler comme des forcenés pendant les récréations, les matches dégénérant parfois en bagarres préfigurant l’hooliganisme imbécile des supporters adultes dans les stades.

Mais pour lui, rien ne vaut le jeux solitaire, fruit de son imagination fertile à laquelle il peut donner libre court sans avoir à justifier ses choix. C’est le « jeu libre » que n’aurait pas désavoué Rimbaud, l’auteur du Bateau ivre et de Voyelles ; jeu non réglementé, non encadré, non dirigé, favorisant une créativité précoce dont se privent les adeptes des jeux « préconçus » par d’autres et baptisés parfois « jeux de société » pour bien marquer l’objectif d’agrégation de leur contenu « éducatif ». Cette liberté dans le jeu de l’enfance le prépare efficacement aux visions novatrices de son âge adulte, atout incontestable d’une réussite individuelle qui l’amènera à exceller dans la conception comme dans l’expression. Car dans le jeu libre, l’enfant s’approprie la réalité en la retraitant à sa guise, osant tous les scénarios démiurgiques dont certains pourraient inquiéter des parents soucieux de « normalité ». C’est pourtant parce qu’il s’autorise dans le jeu toutes les transgressions, y compris les plus violentes, les plus perverses, , que cet enfant, devenu adolescent et adulte, ne s’exposera pas aux contrecoups des refoulements : éliminant les « toxines psychiques » dans ses délires ludiques, c’est avec un mental sain qu’il observera les dérèglements individuels et collectifs d’une société qui, en idéalisant la normalité et croyant y parvenir par une contrainte précoce de la pensée, crée au contraire les conditions de tous les passages à l’acte qui dénoncent l’échec de la méthode visant au formatage du citoyen idéal.

Plus tard, l’autiste heureux, quoique ne devant son état qu’à lui-même, se considèrera comme un « rescapé » des mouvements de massification qui se multiplient à partir de la seconde moitié du 20ème siècle grâce au développement technologique (cinéma, radio, télévision, Internet, smartphones) : massification médiatique, massification de l’éducation et de l’enseignement, massification des divertissements et du tourisme, massification idéologique réduisant la pensée philosophique et la pensée politique à quelques « blocs ». C’est l’esprit critique en voie d’extinction et la liberté individuelle menacée par l’écrasante « pensée correcte et unique » ; c’est l’utilisation par les pouvoirs des redoutables nouvelles technologies qui facilitent le décervellement grégariste et les engagements passionnels. Les lanceurs d’alerte qu’ont été quelques grands esprits ayant vu venir la vague menaçante, comme Huxley ou Orwell, font partie du vernis culturel des moins ignares, mais la connexion de leur message avec la réalité contemporaine n’est pas établie, reléguant leur puissant avertissement à d’intéressantes fictions !

L’autiste heureux sait maintenant que le totalitarisme n’est plus l’apanage des régimes dictatoriaux qui, en affichant clairement la réalité de leur nature ont au moins l’avantage de susciter des révoltes, mais s’exerce avec une efficacité beaucoup plus redoutable sous le masque trompeur des pseudo-démocraties. Il va donc éviter toute publicité de sa pensée et tout engagement, se limitant avec prudence, circonspection et discrétion à échanger avec ses semblables, à la manière quasi-clandestine d’un réseau d’initiés.

Un autiste heureux aujourd’hui octogénaire, nous a confié son vécu d’une adolescence vécue dans le tournant des décennies 1960-1970. Dans l’Après-Guerre qui a vu l’américanisation de l’Europe et du Japon, il a observé l’assaut pacifique d’une pseudo-libération des mœurs ayant en réalité pour objectif de couper les vielles sociétés de leurs racines culturelles sous le couvert de modernité. Non pas pour promouvoir une nouvelle culture, mais pour créer les conditions d’une société « aculturée » peuplée de « zombis consommateurs » générateurs de superprofits. Ce fut la mise en place d’une industrie dont les trois piliers sont le Show-biz (industrie du spectacle incluant d’ailleurs des sports tels que le football ou le cyclisme), la pornographie (industrie du sexe) et la drogue (industrie des narcotiques), l’agent actif de leur propagation étant la « mode », phénomène de mimétisme grégaire véhiculant par les relais médiatiques l’impératif d’être in, c’est-à-dire « dans le coup », « comme tout le monde », « accepté par le groupe », et surtout pas off, c’est-à-dire isolé, plus ou moins stigmatisé. Avec le regard navré d’un entomologiste voyant des insectes se bruler les ailes en approchant d’une flamme, notre autiste, malgré tout heureux d’échapper à un piège monstrueux, a vu une jeunesse hystérisée par des chanteurs et des musiciens talentueux, hurler comme une horde sauvage et détruire le mobilier des salles de concert, se contorsionner au son de sonos assourdissante et de jeux d’éclairages hallucinatoires. Il a vu l’effet de décervelage de la pornographie et de la drogue.

L’autiste heureux comprend dès l’adolescence que la jeunesse des deux sexes est conditionnée pour entrer dans le moule d’une normalité aliénante. Tout en lui vantant l’évolution libératoire des mœurs et la perspective d’une société radicalement différente de celle de leurs parents et de leurs aïeux, les pouvoirs entretiennent savamment la perpétuation d’un formatage ancestral dont le mariage est un des piliers majeurs. Ainsi, lesdits pouvoirs favorisent les unions précoces qu’inspirent les élans irréfléchis de l’attirance sexuelle, refermant sur les couples le piège du « foyer », cellule carcérale qui ajoute aux chaines de la solidarité matérielle et de la fidélité conjugale, les devoirs parentaux qu’impose l’arrivée de la progéniture et l’asservissement inévitable au crédit pour la nécessaire satisfaction des exigences résultant d’un logement adapté et de son équipement, de moyens de déplacement pour l’accès à l’emploi, des frais liés à l’éducation des enfants et même de l’accès aux couteux loisirs de masse qui se sont substitués à la simplicité des vacances familiales propices au repos et à la santé dans des séjours de proximité à la campagne ou à la montagne que rend possible la configuration géographique d’une majorité de pays. La réussite de ce formatage est allée jusqu’à la « cerise sur le gâteau » du « mariage pour tous » qui fait entrer dans le rang ceux dont la marginalité sexuelle risquait de constituer un obstacle à leur normalisation sociale.

L’autiste heureux privilégie donc le célibat et nourrit parfois des fantasmes de vie monacale, c’est-à-dire de solitude partagée avec des « semblables ». Il ne se sent pas une vocation de géniteur, laissant à d’autres le soin de perpétuer l’espèce. La notion de « liens du sang » lui est étrangère et il considère qu’il s’agit d’un concept douteux. Pour lui les affinités sont de l’ordre de la pensée et surtout de la manière de penser. Ce qu’il souhaite transmettre, c’est la vie libre de l’esprit : cela ne passe pas par les voies de la reproduction biologique, mais d’une pédagogie initiatrice.

L’étonnement de l’autiste heureux qui se demande parfois s’il n’est pas martien, atteint son comble lorsque des amis mariés qui, commençant à ressentir la pénibilité et la désillusion de leur choix de vie, lui déclarent, entre grosse dose d’envie et soupçon de reproche : « Tu ne connais pas ta chance ! ». Manière plutôt éhontée d’éluder la responsabilité de chacun dans le cours pris par son destin, comme si celui-ci était le résultat d’une loterie faisant des gagnants et des perdants ! La société s’empresse d’ailleurs d’encourager cette vision victimaire pour faire oublier la part que sa culture dominante a constamment dans les effets délétères de la normalisation. Est-ce de la chance d’avoir été un élève studieux pendant que d’autres choisissaient la voie de l’indiscipline ou de la paresse ? Est-ce de la chance d’avoir poursuivi des études supérieures et décroché des diplômes, souvent grâce au soutiens de bourses et au dur complément de « petits boulots », et non pas toujours, grâce aux moyens de parents fortunés ?

Mais l’autiste heureux, avec le recul auquel il est accoutumé, ne réplique pas à ce type de propos dans lesquels il voit l’expression du mal vivre imputable à la soumission à la normalisation sociale. L’absurdité que constitue pour lui le mariage, est démontrée à ses yeux par le lien qu’il fait entre celui-ci est les déplorables faits de société que sont les violences conjugales qui vont parfois jusqu’à la mort, la maltraitance des enfants au sein de foyers en tension permanente engendrant dommages psychologiques, retard au développement et échec scolaire, les fuites calamiteuse dans l’alcoolisme ou les dérives sexuelles attentatoires à la liberté individuelle etc.

Néanmoins, toutes les raisons que lui offre une société grégariste et normalisatrice de se tenir à l’écart des engagements et regroupements aliénants, ne conduisent pas l’autiste heureux à adopter une posture obsidionale de nature à l’enfermer dans un isolement craintif qui ne permettrait pas de le qualifier d’heureux. En effet, les limites qu’il pose à sa sociabilité ne concerne que ce qui pourrait l’amener à renoncer à sa liberté et à l’art de vivre qu’il cultive et qui est celui d’un épicurisme bien compris : se contenter du nécessaire en ne l’améliorant que raisonnablement, ne pas gâcher ce qu’apporte le présent en ressassant dans le regret ou la nostalgie un passé irrémédiablement mort, aussi bien qu’en entretenant les espérances illusoires d’un futur chimérique. Pour le reste, s’il ne s’agrège pas à la massification, il entretient des relations sélectives mais fidèles avec tous ceux que les circonstances placent sur son chemin et qui sont porteurs de différences enrichissantes ou de convergences réconfortantes, pour autant qu’ils l’acceptent tel qu’il est et ne se comportent pas en prosélytes évangélisateurs.

Sur le monde en général, son histoire, son actualité, les perspectives de son avenir, il porte le regard qui pourrait être celui d’un voyageur du temps. Ce qu’il voit lui inspire évidemment des réflexions, suscite parfois en lui des émotions, mais il se refuse à juger, estimant que le constat des faits n’est que l’aboutissement, d’ailleurs tout provisoire et relatif, de la convergence à un moment critique d’un faisceau infiniment complexe d’enchainements logiques au sein desquels les hommes ne font que jouer les rôles déterminés par cette logique.

En se réservant, au fil de la chronologie des jours, de larges plages d’isolement prudent, il entretient la faculté visionnaire d’une autre compréhension du passé, du présent et des avenirs possibles. En effet, tandis que l’emprise médiatique, à l’exception de quelques revues, émission ou contenus de sites ou de réseaux sociaux sur Internet, restreint malgré une abondance « enfumeuse » le champ de l’information, l’isolement du mental permet de mieux tirer profit soi-même des sources exploitables sans en déléguer le soin aux médias ou aux influenceurs qui formatent l’opinion commune. Il n’y a donc pas déconnexion de la réalité extérieure puisque c’est sur sa matérialité-même que s’exerce la réflexion « protégée » de l’autiste heureux qui, à cet égard, ne peut certainement pas être taxé de vivre dans une tour d’ivoire. C’est même l’inverse qui se produit puisqu’en permettant à sa pensée de préserver sa capacité spéculative, l’autiste heureux, échappe à l’enfermement dans la tour d’ivoire de la communication médiatique.

Une anecdote très révélatrice montre à quel point cet enfermement est une réalité à laquelle la pensée scientifique semble avoir échappé, mais qui a commencé à sérieusement compromettre l’avenir de la pensée philosophique (au sens large du mot). Cette anecdote concerne la Franc Maçonnerie. Cette institution, qui se dit « spéculative » et que certains de ses représentants ont qualifiée de « laboratoire d’idées » en revendiquant parfois abusivement la paternité de quelques avancées sociétales du 20ème siècle (mais sans sortir depuis de son laboratoire l’esquisse de réponses aux problématiques majeures du nouveau siècle), a été confrontée aux effets indésirables du développement d’Internet. Tandis que ses membres sont sensés produire des travaux contribuant à éclairer l’humanité, certaines de ses obédiences ont dû mettre au point des logiciels traqueurs pour détecter dans les « planches » des Frères les « copier-coller » à partir de sites du Web qui les dispensent de réflexion personnelle ! Gageons d’ailleurs que des prêtres ou des pasteurs à cours d’inspiration pour leurs sermons, ont pu recourir à la même pratique. Après le prêt-à-porter vestimentaire et le précuisiné alimentaire, voici le prépensé !

L’autiste heureux, réfractaire à la vie en couple, précautionneux dans l’établissement de ses relations amicales, étranger aux engagements, enrôlements et autres agrégation à des rassemblements, détestant les fêtes « convenues » et la gaité forcée, fuyant mariages, baptêmes, communions, obsèques, comme il avait fui dans sa jeunesse ce qu’on appelait « boom » ou surprise-party, ne fréquentant ni les stades, ni les spectacles de masse, jaloux de ses phases d’isolement, ne peut pas pour autant être considéré comme asocial et il peut même être d’un commerce agréable, partager une convivialité, être apprécié dans les conversations. On peut plutôt dire qu’il pratique « la sociabilité sélective ».

Alors peut-on vraiment parler d’autisme ? Il nous semble que oui dans le cas d’individus chez lesquels ce profil de comportement n’est pas le fruit d’un choix effectué lors de l’adolescence ou à l’âge adulte, mais s’est manifesté dès la petite enfance (la préférence pour le jeu solitaire, l’absence du besoin de camarades par exemple). En revanche, il n’est pas impossible à une intelligence réactive se libérant des contraintes de la normalisation sociale, d’adopter ce comportement au titre d’art de vivre. Il peut apporter comme une bouffée d’air pur dans l’atmosphère confinée du conformisme sacrifiant aux modes l’exercice de l’esprit critique et la libre expression de la créativité. Tant pis pour ceux qui craignent les courants d’air !

Il est certain que l’autisme heureux peut susciter des craintes et même faire peur. Car il est potentiellement subversif et anarchiste. Subversif parce qu’en conservant une pensée libre préservée de la massification médiatique, son esprit critique sape les constructions idéalisantes, donc trompeuses, des pouvoirs « enfumeurs ». Anarchiste parce qu’il démontre l’illégitimité de l’exercice vertical de la gouvernance qui agit par emprise et asservissement. Ce n’est pas une simple posture de principe inspirée par l’humeur d’un solitaire rebelle. Ne partageant pas l’adhésion grégariste aux visions idéalistes des doctrinaires, idéologues et autres maitres à penser religieux, philosophiques et politiques, il s’appuie sur les réalités factuelles et les logiques qui en résultent, ce qui lui confère une lucidité quasi prophétique dans la compréhension de l’histoire, de l’actualité et des visions prospectives. En fait, c’est un « déconstructeur », un « dissipateur d’illusions » !

C’est d’ailleurs la raison qui peut l’exposer à l’hostilité du troupeau encadré par les chiens vigilants des pouvoirs jaloux, l’amenant à préférer le silence de l’ermite à un vain affrontement. Car les moutons tiennent à leurs illusions, ils préfèrent croire plutôt que d’essayer de comprendre, se griser de rêves chimériques voués à se briser sur le mur des réalités, plutôt que de garder les yeux ouverts sur celles-ci. Cela dure depuis si longtemps qu’il ne faut pas espérer voir changer ce déplorable ordre des choses qu’entretient le collège invisible des vrais maîtres du monde, ceux-là mêmes qui ont enchainé Prométhée, armé l’Ange qui a chassé Adam et Eve de l’Eden, dressé maints bûchers au cours des siècles et emprisonnent aujourd’hui les imprudents lanceurs d’alerte.



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