Le titre du présent article renvoie à deux concepts sur lesquels peut se fonder « une certaine idée » de la cohésion nationale. D’une part, le contrat social dont la paternité revient à Jean-Jacques Rousseau et qui repose sur le principe de l’adhésion des citoyens à un contrat, source de droits et de devoirs réciproques entre eux-mêmes et l’Etat ; ce dernier reconnaissant le droit de chaque citoyen au bien-être individuel, et le citoyen reconnaissant les devoirs que lui impose l’intérêt général de la collectivité. D’autre part les termes pour tous qu’on a accolés récemment au mariage, et qui expriment l’idée que ce à quoi ils s’appliquent est ouvert à tous les citoyens, sans conditions discriminantes.
La proposition politique d’un contrat social pour tous à portée constitutionnelle, est née d’une réflexion raisonnée engagée au vu des débats souvent confus et passionnels qui se développent sur les thèmes de l’identité nationale, du communautarisme, de la laïcité, de l’islam, de l’immigration, entre autres sujets de discorde révélant le malaise d’une société dont les repères cultuels et les valeurs traditionnelles ont été bouleversés par les turbulences des dernières décennies du 20ème siècle et des premières du 21ème.
Bien qu’apparu dès le 17ème siècle (dans un texte de Leibniz) et employé plus largement à la fin du 19ème siècle et durant le 20ème siècle, le terme de géopolitique ne s’est popularisé que depuis quelques décennies. Il est particulièrement intéressant car il associe à la politique, domaine fortement impacté par l’idéologie, à la géographie humaine et matérielle qui ne traite que de réalités. A cet égard, on pourrait dire que la géopolitique tend à rationnaliser le politique en mettant en lumière les facteurs incontournables de la réalité physique. Ainsi, en l’appliquant à une relecture de l’histoire, elle offre la possibilité d’une vision lucide dépouillant celle-ci des interprétations qui ont longtemps (et encore aujourd’hui, hélas !) fait la part belle aux mythes et légendes flattant l’égo des nations. En l’appliquant à l’actualité, comme le font objectivement ses vrais spécialistes, elle oppose les limites de ce qui est aux illusions de ce qu’on voudrait qui soit.
Avant d’évoquer le contrat social pour tous, nous allons donc exposer deux lectures géopolitiques de l’histoire : celle d’une recherche historique des racines de l’identité française (nous avons limitée notre approche à la France, mais il est clair qu’elle est reproductible pour les autres nations occidentales), celle des flux migratoires contemporains.
I-Le puzzle tribal, la Pax Romana, les conquêtes et les invasions : légende et réalité des racines françaises
Les historiens contemporains estiment que c’est au milieu du 19ème siècle qu’est apparu l’expression « nos ancêtres les Gaulois ». Nous verrons qu’il conviendrait davantage d’évoquer « nos prédécesseurs », parce que les peuples qu’on regroupe sous le terme gaulois ont occupé l’espace territorial que nous appelons l’hexagone et qui était la Gaule. On devrait d’ailleurs dire « les Gaules », car il y avait cinq sous-ensembles dudit hexagone : la Gaule Armorique (correspondant à la Bretagne), la Gaule Belgique (comprenant une large bande au nord de la France actuelle, la Belgique et la Hollande), la Gaule Cisalpine (couvrant un large sud-est), la Gaule Aquitaine (le sud-ouest, l’actuel Pays Basque), la Gaule Celtique (occupant un vaste espace central ayant pour cœur l’Auvergne). A l’intérieur de ces Gaules ne vivaient pas moins de cinquante peuples, dont une vingtaine pour la seule Gaule Celtique. On pourrait parler de tribus ou de clans formant un puzzle ethnique et coutumier que n’unifiait aucune organisation institutionnelle. Rome était déjà bien implantée dans certaines parties des Gaules, notamment la gaule Cisalpine où se places fortes et ses foyers commerciaux voisinaient avec les clonies portuaires des grecs. Après la Guerre des Gaules qui se termina en -52 avec le siège d’Alésia et la reddition de Vercingétorix, elle étendit son occupation à toute la Gaule sur le mode devenu habituel d’un équilibre entre assimilation et reconnaissance des particularismes. C’est la Pax Romana qui vit l’émergence d’une civilisation dite gallo-romaine, car les peuples des Gaules n’étaient pas des sauvages, et Rome n’aurait pas pu devenir cette puissance qui fit la première Europe politique, si elle ne s’était appuyée que sur la force des armes. Quand vint le déclin et la fin de l’Empire Romain dans des circonstances que nous n’analyserons pas ici, ce fut le temps des invasions venues du nord et de l’est, et un bouleversement territorial donnant lieu à de nouvelles interpénétrations ethniques et culturelles. Au milieu des ces turbulences, un peuple aller s’imposer : les Francs.
On voit déjà comment la réalité historique -c’est-à-dire le caractère pluriethnique des Gaules et le brassage consécutif aux conquêtes et invasions- dément, dès le début du 1er millénaire, dément la vraisemblance d’une ancestralité gauloise génétique des Français. Mais par sa situation géographique, la France à toujours été exposée à des pénétrations, aussi bien par voie terrestre que par l’abordage sur ses façades maritimes. Elle y gagna sur le plan commercial, mais elle en pâtit sur celui de son intégrité nationale. Ainsi les Vikings occupèrent-ils la Normandie (étymologiquement terre des hommes du nord) et remontèrent-ils la Seine ; ainsi les musulmans maintinrent-ils une présence prolongée au sud de l’hexagone.
C’est en toute connaissance de cause, pour répondre à la nécessité de former une « conscience nationale », que la réécriture de l’histoire au 19ème siècle a privilégié le mythe de nos ancêtres les Gaulois. La même réécriture renforça cet « implant mémoriel » d’un autre habillage des faits : la légende de la conversion de Clovis et de son « baptême-sacre » à Reims, avec le merveilleux de la Sainte-Ampoule apportée par une colombe (le Saint-Esprit ?) pour l’onction sacrée du roi des francs, faisant de la France « la fille ainée de l’Eglise ». En réalité il s’est agi de la rencontre de deux intérêts complémentaires : celui de Clovis qui avait besoin d’un ciment assurant la cohésion des territoires conquis et à conquérir ; celui de l’Eglise très fragilisée par l’arianisme, ayant besoin d’un appui temporel fort pour venir à bout d’une hérésie en passe de l’emporter sur la doctrine officielle affirmée dans le Crédo. Pour la première fois depuis l’épisode de Constantin, se nouait une alliance du « sabre et du goupillon » entretenue par Rome et les rois « Très Chrétiens », renouvelant rituellement à Reims pendant plus d’un millénaire et demi le « sacre de Clovis ». On passait des druides aux évêques, des Gaulois aux Francs, dans l’étrange continuité de deux mythes fondateurs d’une identité française qui justifia dès le 2ème Empire ce qu’on pourrait appeler le « pan gallicanisme » face au pangermanisme naissant, tout aussi mythique, d’une identité allemande qui allait s’affirmer dans les prétentions hégémoniques d’un empire dont la défaite française allait offrir l’opportunité et le développement rapide aux Prussiens, militarisation et industrialisation aidant.
Une vision rétrospective objective, c’est-à-dire réellement historique, excluant mythes et légendes, des années qui ont précédé, accompagné et suivi la Première Guerre Mondiale, révèle la violence du pan gallicanisme français face au pangermanisme agressif de l’Allemagne. La littérature et la presse de l’époque en témoignent dans l’irrationnalité et la démesure des propos, des images, d’un « bourrage de crâne » nationaliste nourri de tous les clichés magnifiant une France « gauloise et chrétienne », et diabolisant une Allemagne barbare et cruelle. On n’a pas hésité à recourir à la caricature, aux arguments raciaux, opposant le regard franc et limpide des héritiers de la Gaule, au facies bestial et dégénéré du Boche tueur d’enfants. Par chance, on put même offrir à n os vaillants soldats des figures emblématiques, telle que ce général Pétain dont les remarquables yeux bleus et l’ascendance paysanne (donc parfait gaulois !) contribuaient significativement à conforter la stature héroïque. La victoire de 1918 vengeait de l’humiliation de 1970, mais celle de l’Allemagne appelait très logiquement la vengeance germanique, s’appuyant sur les mêmes mythes d’ancestralité et de racialité. Les nationalismes exacerbés avaient joué avec le feu en exaltant des identités pseudo ancestrales et pseudo raciales : la propagande nazie y est passée maître, mais la France n’est pas exempte de sa part de responsabilité. Après tout, Gobineau, premier théoricien moderne du racisme, était français !
Cependant, après la Deuxième Guerre Mondiale, le paysage allait changer. L’américanisation de l’Europe, la disparition des empires coloniaux, les flux migratoires intra et extra européens, le réveil de l’islam, le recul du catholicisme, portèrent un coup fatal à la conscience identitaire des Français. On ne pouvait plus se raccrocher à nos ancêtres les Gaulois ou à ces rois très chrétiens qui durant quinze siècles avaient fait la France. Par habitude, on se tourna vers le passé pour y trouver un nouveau mythe fondateur d’identité : ce furent les Lumières, les droits de l’homme, l’affirmation Liberté-Egalité-Fraternité (voir notre article sur ce thème). Mais ce sont la des valeurs abstraites, exemptes de la consistance charnelle de l’ancestralité-racialité, du merveilleux des druides aux faucilles d’or et du baptême-sacre de Clovis. Pour qu’elles nourrissent une conscience identitaire il fallait qu’elles s’incarnent concrètement dans la réalité sociale. Mais cela est une autre histoire (dans tout le sens du mot !).
II-Le « IIIème Empire », les immigrations, les déplacements de populations
La défaite militaire avait scellé le sort du IIème Empire, amputant en outre la France de l’Alsace et de la Lorraine. Mais cette fin peu glorieuse ne doit pas masquer les mérites d’un règne qui avait vu s’affirmer un essor indéniable de la France : son industrie, son commerce, sa finance, ses savants et ses artistes, sa diplomatie l’avaient à nouveau hissée au premier rang des puissances européennes. Son territoire s’était agrandi, la France recevant en contrepartie de son aide à l’unification italienne négociée avec Cavour, la Savoie et le comté de Nice. Dans le domaine social, c’est la reconnaissance du droit de grève et du regroupement syndical, la création de caisses de retraite et de couverture des accidents de travail.
Après l’espoir déçu des monarchistes voyant leur échapper si près du but la perspective d’une nouvelle Restauration, la IIIème République prit rapidement ses marques en tirant avantage des acquis positifs de l’héritage impérial. Remettant à un temps plus favorable une revanche contre l’Allemagne, les gouvernants comprirent qu’il fallait redonner à la nation des motifs de fierté en ouvrant pour les Français, de nouvelles perspectives de profit et de gloire. Cela ne pouvant raisonnablement se jouer sur le territoire européen, on misa sur l’expansion coloniale. N’hésitant pas devant l’audace terminologique, la République offrit à la France un nouvel empire ; ce serait un empire colonial qui, avec les possessions déjà acquises, assurerait sa présence sur les cinq continents : Afrique du Nord et Afrique Noire, Madagascar, Asie du sud-est et comptoirs des Indes, Antilles, Guyane, Océanie, Saint Pierre et Miquelon. C’est ce que nous appelons Le IIIème Empire !
Coloniser, ce n’est pas que conquérir ; il faut aussi peupler. Les colonies ouvraient aux français l’horizon de l’entreprise et de l’aventure. Elles suscitèrent des vocations de pionniers, d’habiles commerçants, de prospecteurs, de planteurs. L’administration des territoires, reproduisant le modèle métropolitain, nécessita des fonctionnaires, la santé des populations appela des médecins et des soignants, leur instruction des enseignants. On construisit des préfectures, des mairies, des hôpitaux ; on traça des routes et des chemins de fer. Les échanges permanents avec la métropole développèrent les transports maritimes des voyageurs et du fret. Un port comme Marseille y trouva son compte, devenant une incontournable interface entre le continent européen et l’outremer. Bref : l’Empire colonial redonnait à la France une dimension planétaire enviable, comparable à celle de l’Empire Britannique et propre à constituer une forme de revanche face à l’enfermement continental de l’Allemagne wilhelmienne.
La colonisation française, ce fut aussi l’ambition -et même la volonté- d’emporter l’adhésion des populations indigènes à une culture dont elle ne doutait pas de la vocation universelle. Des auteurs comme Gustave Lebon ou l’écrivain René Bazin n’hésitaient pas à dénoncer cette erreur et l’illusion de l’assimilation. L’école de la République et le prosélytisme des missionnaires s’appliquèrent à cette œuvre qui se voulait civilisatrice. Pour avoir une idée de l’état d’esprit qui sous tendait ces convictions, et sans recourir à de savantes études, on pourra se reporter avec profit à la lecture de Tintin au Congo, en particulier dans sa version originale !
La colonisation de territoires américains, africains, asiatiques et océaniens par des Etats européens fut sans doute la dernière version, avec les agressions allemandes des deux guerres mondiales et les annexions des pays d’Europe centrale par l’URSS, de pénétrations territoriales par la force. Avant cela, sur le continent européen, durant le premier millénaire, ce furent les invasions consécutives à la disparition de l’Empire romain, puis le débarquement des Vikings en Normandie et l’occupation prolongée de l’Espagne et d’une partie de la France par les musulmans. Ensuite étaient venues les guerres intra-européennes dont les plus marquantes furent celles imputables au Ier Empire français.
Cependant, dès la deuxième moitié du 19ème siècle est apparu une autre forme, non guerrière, de pénétration d’étrangers sur le territoire national : l’immigration. Les immigrations sont essentiellement dues à la recherche d’un mieux-vivre de populations issues de pays ou de régions pauvres, attirées par des pays économiquement plus développés et industrialisés. La France des mines, de la métallurgie, des grands travaux publics, a présenté une telle attractivité, en particulier dans ses régions du nord et de l’est. Les principaux immigrants, dans un ordre relativement chronologique, jusqu’à la deuxième moitié du 20ème siècle, furent les Italiens et les Polonais, les espagnols, les Portugais. C’est l’immigration intra-européenne. Sont venus ensuite les immigrés issus des anciennes colonies : maghrébins, noirs-africains, peuples de l’ex Indochine. En dernier lieu sont venus des citoyens de pays satellites de l’ex URSS (Roumains, serbes, Albanais) ou du Moyen-Orient (Syrie, Irak), voire de l’Afghanistan retombé sous la coupe de L’islamisme radical. Là il s’agit de flux migratoires qui ne relèvent plus d’une immigration à motivation essentiellement économique, mais à des déplacements de populations fuyant leurs pays d’origine pour des raisons de survie (pauvreté extrême, chaos politique et social, répressions et persécutions, effets du changement climatique). Quoiqu’on parle encore d’immigration, il nous semble plus approprié de retenir l’expression déplacement de population. Le phénomène est difficilement contrôlable, tant ces groupes humains en détresse sont déterminés, jusqu’à risquer leur vie, à rejoindre l’Europe de l’ouest qui, malgré ses propres problèmes, apparait encore comme un Eldorado.
Continuer de raisonner en termes de protection des frontières nationales et d’immigration traditionnelle serait une erreur. On ne se trouve pas en présence de situations conjoncturelles, mais d’un phénomène structurel ; il ne s’agit pas de simples départs, mais de fuites. Il faut déplacer la perspective en ne considérant plus ces déplacements de populations depuis l’intérieur d’une Europe qu’on pourrait avoir la vaine et médiévale tentation d’entourer de fortifications, mais de regarder lucidement ce qui se passe à l’extérieur et de comprendre qu’il s’agit d’une dérive démographique des continents tout aussi imparable qu’un mouvement géologique. Il faut l’admettre et la prendre en considération pour ce qu’elle est : une nouvelle donne dans l’occupation du territoire européen où le génie propre de la France peut contribuer significativement à proposer des réponses sensées au défi que cela représente.
III-L ’entrée dans le troisième millénaire
On n’a pas encore mesuré l’ampleur et la rapidité des changements qui ont affecté la société européenne depuis le début du nouveau siècle et du nouveau millénaire. Nous n’en sommes qu’aux prémices d’un basculement qui s’accélère et dont les premiers effets ne sont qu’annonciateurs de ce qui adviendra durant les décennies à venir (voir notre article Les trois morts de Dieu, la nouvelle philosophie de l’être). Au terme des rappels historiques que nous venons d’exposer, un double constat s’impose :
- L’ancestralité comme fondement d’une identité nationale est irrationnelle et illusoire. Elle procède de mythes, de légendes et d’une écriture fallacieuse de l’histoire qui ont donné lieu à des « implants mémoriels » ayant joué un rôle incontestable dans les affrontements nationalistes de puissances rivales et les prétentions hégémoniques de conquêtes d’espace vital, colonisation comprise. Or, la France en particulier, par sa position géographique et par ses origines réelles, a été par excellence le territoire de multiples et permanents brassages ethniques invalidant toute revendication d’un héritage génétique spécifique. Face à la perspective qui s’affirme d’une société pluriethnique où se côtoieront des cultures différenciées, la crainte obsidionale qui suscite des réflexes de repli sur des implants mémoriels sans fondement historique objectif, s’oppose à la lucidité qui doit guider la recherche de bases concrètes et strictement rationnelles sur lesquelles pourra se former une cohésion nationale assurant au pays un avenir viable.
- Si l’on abandonne le repère illusoire de l’ancestralité et la tentation incontestablement forte mais fantasmatique et stérile de sacrifier à la nostalgie d’un âge d’or imaginaire mythifiant une France qui n’a jamais existé, il reste à la prospective de s’appuyer sur la double réalité, humaine et territoriale, d’un présent « brut », c’est-à-dire exempt de l’influence de toute vision légendaire du passé et de tout messianisme religieux, philosophique ou politique, prétendant déterminer un avenir qui serait d’avantage à attendre qu’à construire.
La réalité territoriale de la France est celle d’un espace géographique qu’on pourrait dire « béni des dieux ». La réalité humaine est celle d’une population sans cesse recomposée depuis des millénaires parce que diversifiée dans ses origines, et qu’il faut aujourd’hui réunir, au-delà des particularismes qui relèvent des sphères individuelles, par l’adhésion collective à un corpus institutionnel solide que chacun pourra reconnaître comme un Bien Commun permettant un Bien Vivre Ensembles.
Une telle vision n’est pas utopique. Si l’on observe la réalité française, non pas à travers le prisme déformant des grandes agglomérations urbaines déstructurantes (qui est malheureusement prédominant dans les médias), mais sur le terrain des villes moyennes, des villages et des zones rurales, on observe depuis quelques années, en particulier chez les nouvelles générations, une réelle aptitude au « bien vivre ensembles », avec une certaine facilité pour les nouveaux venus (originaires d’autres régions ou de l’étranger) à s’approprier les valeurs naturelles locales, notamment dans le domaine agricole ou artisanal, avec une propension à des solidarités qu’on a pu voir se concrétiser lors de récents épisodes de catastrophes climatiques. Cette occupation du territoire, en partie par des apports exogènes, a souvent redonné vie à des zones qu’on aurait pu croire vouées au vieillissement à la désertification. Les préoccupations écologiques constituent par ailleurs, chez des populations rajeunies et proches des réalités naturelles, un objectif partagé participant au lien social. A partir de ce constat on pourrait concevoir une modélisation de cadres territoriaux propices à une cohésion fondée sur un contrat social pour tous.
IV-Le contrat
Le contrat social pour tous suppose quelques préalables :
1)Accepter la réalité inéluctable de déplacements de populations entrainant un repeuplement du territoire par des groupes ethniquement différenciés, appartenant déjà à ce territoire ou en ayant fait élection.
2)Comprendre que la cohésion de ces groupes peut résulter de l’union de leurs différences dans la volonté commune d’y vivre dans le respect de mêmes valeurs partageables par tous et des mêmes lois.
3)Considérer que sans remettre en cause la réalité d’une dimension nationale, la cohésion du territoire doit reposer sur la base de communautés territoriales de dimensions permettant d’y saisir les intérêts communs et d’y développer les solidarités « agrégeantes ».
Le Contrat Social ne serait pas tacite, mais formalisé dans un document exposant clairement les droits et obligations réciproque de l’Etat et des citoyens ; à savoir :
1)Pour les citoyens, adhérer à l’organisation institutionnelle du territoire national ; s’engager à respecter les lois ; le cas échéant, participer à la défense du territoire. Le contrat leur présenterait l’essentiel du corpus constitutionnel et légal, assorti d’annexes explicatives. Les contractants d’origine étrangère doivent s’engager à suivre une formation mise à leur disposition pour acquérir un niveau de pratique de la langue officielle compatible avec l’exercice de leur citoyenneté et les échanges avec les autres citoyens.
2)Pour l’Etat, accorder la citoyenneté aux signataires du contrat, ainsi que les droits qui en résultent, notamment en matière de santé, de formation, d’accès au travail, de logement, de justice de sécurité, de protection des libertés individuelles et collectives. Des sessions de contractualisation (signature du contrat par le citoyen et un représentant de l’Etat) seraient organisées régulièrement à l’échelle des communautés de base, à l’intention, d’une part des filles et garçons nés sur le territoire national et ayant atteint la majorité légale, d’autre part des étrangers ayant rejoint le territoire national et ayant sollicité la citoyenneté.
L’idée de contrat social est apparue en France à une époque, le 18ème siècle, où la question de la cohésion nationale se posait, selon l’expression d’aujourd’hui, dans un contexte « franco-français ». C’est pourquoi la prise en compte de la réalité des déplacements de populations d’origine étrangère, et d’une certaine évolution des mentalités, nous conduit à préconiser un contrat social « pour tous », sans considération des origines ethniques et des particularismes culturels. Il est clair que c’est un pari sur l’intelligence et sur la possibilité d’une tolérance multilatérale excluant toute velléité de jugement de valeur et de prosélytisme religieux et/ou culturel. On pourra rejeter ce pari, mais on ne pourra pas s’opposer aux réalités ; dans ce cas il restera fatalement la voie de la violence dans des affrontements destructifs dont aucune communauté ne sortira victorieuse.
Certes, ce que nous préconisons peut susciter la crainte d’une dilution des valeurs propres de la France dans une « potée culturelle » vaguement mondialiste. En fait, ceux qui pensent cela manquent de confiance dans le génie propre de la France qui a toujours tiré le meilleur parti de son ouverture et de sa tradition de « terre d’accueil ». Loin d’avoir vu ses valeurs propres disparaitre, elle les a enrichies des apports étrangers, sa culture et son « art de vivre » étant au contraire des facteurs d’assimilation « non forcée » desdites valeurs par ceux qui choisissaient de la rejoindre.
L’histoire nous offre d’ailleurs l’exemple de l’Empire Romain qui lui-même avait assimilé l’hellénisme et certaines valeurs orientales et qui, en s’ouvrant aux peuples dont il avait conquis les territoires, a propagé et même enraciné durablement sa culture. On peut aussi évoquer l’Empire Perse qui a respecté les croyances et les coutumes des peuples qu’il avait conquis, s’enrichissant d’ailleurs de leur culture comme de leurs techniques. Il n’est pas sans intérêt de noter que ces deux empires « ouverts », par ailleurs dotés d’institutions et d’administrations solides, ont connu une durée appréciable, contrairement à ceux qui se sont résumés à des épopées, certes brillantes, mais éphémères (Alexandre le Grand, Napoléon). La culture et l’art de vivre peuvent d’ailleurs l’emporter sur les armes, comme l’ont montré les guerres dites « d’Italie » dont on retiendra surtout, au-delà des gains et des pertes de territoires, que la Renaissance italienne a séduit les français au point qu’on peut parler d’une véritable italianisation de la France !
On peut donc gager, sans pêcher par excès d’optimisme, que Le Contrat Social pour Tous, loin d’entrainer la France dans une décadence fatale, accroitrait encore son rayonnement aux yeux du monde.
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