En 1950, dans un pays comme la France, plus de cent ans après de début de la révolution industrielle qui avait marqué la fin du néolithique prolongé, le téléphone, le réfrigérateur, l’automobile ou le transport aérien étaient encore peu accessibles aux classes moyennes et pas du tout aux ouvriers. Au Portugal ou en Espagne, aujourd’hui membres paritaires de l’Union Européenne, on pouvait encore voir dans les champs, des bœufs et des chevaux de trait attelés à des engins agricoles. Cinquante ans plus tard seulement, dès le début du 21ème siècle, le développement exponentiel du numérique a vu déferler par millions sur la planète les ordinateurs et les téléphones portables. Dans les villages africains les plus reculés ou dans les bidonvilles de mégapoles hyper inégalitaires, tous les habitants possèdent un portable. On peut même dire que dans certaines régions du globe la civilisation a « sauté un épisode », passant directement du néolithique au numérique dans un contexte de sous-développement industriel flagrant. Autrement dit, l’ère industrielle est en train de se terminer, alors qu’elle n’a pas atteint son plein essor dans une grande partie de la Terre. Un tel constat devrait donner matière à penser à tout observateur, ce qui n’est pas le cas des grandes gouvernances du monde, les institutions politiques, économiques et spirituelles continuant imperturbablement de fonctionner selon des codes et à travers des prismes obsolètes.
Du fait de la cécité de ceux qui devraient être les promoteurs du futur, les guides éclairants de peuples en quête de repères, aucune vision prospective, réaliste ou idéaliste, mais encourageante et mobilisatrice, n’est offerte aux citoyens. Les seules perspectives qu’on leur offre sont des menaces de conflits territoriaux, voire d’une troisième guerre mondiale, le leurre d’un possible coup d’arrêt aux émissions de carbone et les scénarios apocalyptiques d’un dérèglement climatique incontrôlable. Après cela on feint de s’interroger sur les causes de la dénatalité dans les pays les plus développés économiquement et intellectuellement !
Quand des enfants se disputent et en viennent aux mains, les adultes sensés leur apprennent que la violence n’a jamais rien réglé et que seuls les imbéciles y recourent, faute d’être capables de discuter. Mais quand des dirigeants en charge de la vie de millions d’âmes préparent leur pays à la guerre, il se trouve encore, hélas, une majorité de ces adultes sensés qui deviennent des imbéciles belliqueux shootés au patriotisme ! Psychologie individuelle et psychologie des masses… Qui aurait cru, lorsque nous sommes entrés dans le 21ème siècle et son cortège de normes, lois, certifications, protocolisations et règlements de toutes sortes censé nous protéger de tous les risques, que plus de cent ans après la boucherie de la Première Guerre Mondiale, on aurait pu refaire le coup de la fleur au fusil ?
Nous ne pourrons pas ignorer la réalité d’une imbécilisation ambiante dont témoignent l’actualité politique, le contenu des réseaux sociaux, l’inculture des pseudos élites, l’ignorance crasse des amuseurs médiatiques et les œuvres débilitantes d’artistes sans talent : elle fait partie des données du présent. Mais notre écœurement ne doit pas nous empêcher de constater la réalité de l’intelligence agissante des esprits inventifs et créatifs qui continuent d’œuvrer dans toutes les disciplines des sciences et des arts. Cette réalité-là fait aussi partie du présent, et c’est en puisant dans les ressources qu’elle nous offre que nous allons proposer au lecteur une analyse rationnelle des turbulences post-industrielles et une vision prospective constructive de l’avenir du monde.
Les turbulences post-industrielles : « qu’est-ce qu’il s’est passé ? »
Il est toujours difficile de dater le début d’une nouvelle ère car les changements qui s’opèrent s’étalent sur une période plus ou moins longue et la radicalité de leur impact ne se révèle qu’à travers l’importance de certains d’entre eux particulièrement frappants pour l’opinion publique qui pense alors : « Nous avons changé d’époque, nous ne vivons plus dans le même monde ».
La révolution industrielle
En France on peut avancer que c’est le chemin de fer qui a été ce révélateur. On peut donc, conventionnellement dater de 1830 le début de l’ère industrielle dans notre pays. En réalité, le premier chemin de fer est apparu en 1827 ; c’est une ligne d’une trentaine de kilomètres entre Saint-Etienne et Andrézieux sur laquelle circulent des wagonnets transportant du charbon. Et cela aussi est révélateur, car ce qui caractérise avant tout l’ère industrielle, ce sont les nouvelles sources d’énergie. En Angleterre où le chemin de fer est apparu un peu plus tôt, il a aussi été pensé comme outil économique. Ce n’est qu’ensuite qu’on a réalisé son attractivité sur le public en tant que moyen de déplacement se substituant à la traction hippomobile. Et il en a été de même en Allemagne et, peu à peu, dans toute l’Europe et ses colonies et, bien entendu, aux USA et sur tout le continent américain.
Le chemin de fer a donc assuré le transport du charbon et des marchandises, celui des ouvriers pour rejoindre leur lieu de travail et en revenir, celui des voyageurs ordinaires en particulier en liaison avec des activité commerciales (marchés des gros bourgs et grandes villes), enfin celui d’adeptes aisés d’un nouveau loisir : le tourisme. Le maillage des territoires par les chemins de fer a permis un développement sans précédent de la mobilité, donc des échanges qui sont un des moteurs essentiels du capitalisme.
Mais revenons aux sources d’énergie. Celles qui caractérisent l’ère industrielle ont été le charbon, puis le pétrole et le gaz. Leur découverte n’était pas récente (on sait que des forages donnant accès à des nappes pétrolifères avaient été effectué au Moyen-Age), mais il s’agissait jusqu’alors d’utiliser le pétrole comme ingrédient dans des combinaisons chimiques, non comme source d’énergie, ce qui ne fut le cas qu’à partir de la seconde moitié du 19ème siècle. La caractéristique de ces nouvelles sources d’énergie par rapport à celles du néolithique auquel elles mettaient fin, est leur caractère non-renouvelable et leur impact environnemental. En effet, les anciennes sources d’énergie étaient toutes renouvelables et sans impact notable sur l’environnement : l’air (navigation, moulins), l’eau (moulins, vapeur, contre-poids), le bois (les arbres repoussent), l’énergie musculaire humaine ou animale (hommes, équidés et bovidés, des êtres se reproduisant). Pour ce qui est des énergies fossiles, quoique les énormes quantités de leurs gisements aient pu donner l’illusion d’une extraction inépuisables parce que l’horizon de leur tarissement était trop lointain (c’est la même courte vue qui a fait paraitre lointain l’an 2000 aux concepteurs des premiers ordinateurs, ce qui a failli provoquer un grand « bug » à cette échéance), il ne s’agit pas moins d’une fin annoncée, leur renouvellement demandant des millions d’années ! Par ailleurs, leur impact environnemental n’est pas négligeable, tant pour la santé de l’homme que pour celle de la planète, ce dont on n’a pris vraiment conscience qu’un siècle environ après le début de la révolution industrielle.
Le feu à la maison
Dès la décennie 1970 apparaissent ce qu’on appellerait aujourd’hui les premiers « lanceurs d’alerte » : Club de Rome et rapport Meadows, en France René Dumont etc… Les chantres de la société pan-industrielle ont pris le contrepied de ces mises en garde qu’ils présentèrent comme inutilement et dangereusement alarmistes, leur opposant des analyses contradictoires et surfant sur une opinion publique trop heureuse de les croire, car devenue « addict » au consumérisme triomphant boosté par « les trente glorieuses ».
Un temps détournée de ce débat par d’autres graves préoccupations sanitaires (le sida, le tabac décrété fléau) et par des évènements spectaculaires bouleversant les visions géopolitiques (la chute de l’URSS, l’attaque terroriste du 11 septembre 2001, notamment), ladite opinion publique s’est montrée plus réceptive à l’alerte écologique lorsque les autorités ont cessé de la tourner en dérision et commencé à préparer les esprits à la prise de conscience de la mise en danger de la planète. « Il y a le feu à la maison ! » a dit un chef d’Etat. La multiplication des manifestations évidentes du dérèglement climatique et la confirmation d’une menace existentielle pour la Terre par la quasi-unanimité du monde scientifique, ont marqué une rupture avec les perspectives de développement fondées sur l’industrie. Du moins dans la pensée, car sur le plan de l’action, hormis les habituelles incantations des responsables et des comités, conférences et commissions ad hoc, très peu d’orientations concrètes et réalistes ont émergé de ce brainstorming. Il y a, bien sûr, la promotion des énergies renouvelables, la fin des moteurs à explosion pour les automobiles annoncée pour 2030. Mais dans le même temps on n’ose pas s’attaquer aux comportements amplificateurs des dégâts, par exemple le tourisme de masse destructeur d’écosystèmes, ou le consumérisme persistant qui contribue à pérenniser un mode de production industriel, par exemple dans l’agroalimentaire. Car il faut ménager l’opinion, c’est-à-dire l’électorat, et les industriels, c’est-à-dire un moteur économique majeur.
Ce qu’il se passe est donc clair : on sait qu’il faudrait opérer un changement radical (ce qu’avait résumé René Dumont dans le titre d’un ouvrage : L’utopie ou la mort), mais toute sortes de freins en retardent le déclenchement significatif et l’ampleur nécessaire.
L’aveu politique de la menace écologique constitue le premier choc réveillant la conscience collective. Car il s’agit bien d’un aveu, compte tenu des dénis et des mensonges encore relativement récents des gouvernants. Un second choc contribuant à ce réveil, est celui du constat de la perte de fiabilité desdits gouvernants. La révélation de trop de scandales et de trop de corruption dans les sphères des pouvoirs (y compris le pouvoir dit spirituel, déstabilisé par la déferlante d’une criminalité sexuelle démasquée après des décennies d’une ignoble omerta) et le spectacle de l’impuissance des dirigeants à diriger quoi que ce soit , tentant de cacher leur déroute idéologique et morale derrière des discours creux auxquels on ne croit plus et le réflexe stupidement défensif d’une prolifération législative et réglementaire inefficiente, achèvent de créer un chaos social généralisé.
Retour aux énergies du néolithique ?
L’ingénierie du néolithique a utilisé les énergies naturelles : le rayonnement solaire, la force du vent, la pression de l’eau, la combustion du bois, les muscles de l’homme et des animaux, entre autres. La transition énergétique post-industrielle les redécouvre : Les éoliennes sont la version moderne des moulins à vent, les premiers navires à voile du 21ème siècle sont dotés de grandes voilures semi-rigides, la biomasse végétale offre par transformation du combustible et des biocarburants etc.
Cependant, il s’agit bien de transition entre l’excès d’émission de carbone et le zéro-carbone ainsi que l’impact zéro sur l’environnement dont nous sommes encore très éloignés. Ainsi les matériaux utilisés pour la construction des éoliennes, les batteries de voitures électriques ou les panneaux solaires relèvent encore de procès industriels recourant à des sources non renouvelables et à des traitements chimiques polluants ; de même, les navires à voile comportent des moteurs diesels complémentaires ; et ainsi de suite. La véritable rupture n’interviendra que lorsqu’on découvrira et développera d’authentiques énergies entièrement renouvelables, voire l’autonomie énergétique, notamment pour la propulsion d’engins terrestres ou spatiaux. La relativité générale en a ouvert la possibilité théorique, mais pour l’instant la réalisation en demeure impossible car elle supposerait le préalable d’un recourt à une quantité phénoménale d’énergie.
La crise identitaire, l’illusion universaliste, la disparition des Etats-nations
L’obsolescence des vieux repères du néolithique prolongé et l’usure accélérée de ceux de l’ère industrielle ont fait se fissurer puis s’effondrer le cadre rassurant qui structurait la vision identitaire des peuples et l’échafaudage institutionnel soutenant les pouvoirs. Les gouvernants désemparés ne parviennent plus à colmater les brèches béantes des ruptures. L’évolution technologique apparemment imperturbable, les flots migratoires grandissants, l’atomisation de la pensée et des comportements malgré les tentatives d’ordre moral, actent un changement chaotique de l’environnement sociétal. Ceux qui s’en inquiètent, voire s’en affolent, n’imaginent pour seules parades que « le retour à », vieux réflexe réactionnaire qui va jusqu’à mythifier des époques où ils n’ont pas vécu, ou bien l’incantation universaliste d’un humanisme qui n’a tenu aucune de ses promesses. Ces attitudes nient la réalité d’un présent qui est celui d’une mutation irréversible dont une des conséquence est le déplacement du cadre politique, économique et culturel vers le bas du « local » (province, pôles urbains majeurs) et vers le haut du « supra » (confédérations ou fédérations d’Etats, supranationalité).
Ce qui a permis à des cités, à des royaumes, à des provinces, à des nations, à des confédérations ou à des fédérations d’exister en tant que cadre politique, économique et culturel, c’est une cohésion citoyenne autour de valeurs reconnues et partagées qui dépassent les inévitables différences, une solidarité communautaire qui se renforce lorsque se précisent des menaces externes. En 1914, dans une France qui avait ses ouvriers et sa bourgeoisie, son monde rural et son milieu urbain, ses croyants et ses libres-penseurs, tous se sont retrouvés unis face à l’Allemagne. Ce fut « l’union sacrée » de la nation. Vingt-cinq ans plus tard, trop de fractures avaient fissuré cet édifice. Par nécessité d’empêcher qu’il s’écroule après la Libération, on a entretenu le mythe d’une nation qui aurait refusé la défaite ; en réalité, la Résistance est le fait d’une minorité, et la Collaboration à rassemblé plus de profiteurs que d’idéalistes. Les grandes luttes idéologiques de l’Après-guerre jusqu’au milieu de la décennie 1970 ont surtout opposé de brillants intellectuels progressistes et libéraux impactant le milieu étudiant et le milieu artistique qui furent leurs caisses de résonnance, tandis que le Parti Communiste portait encore pour un temps les espoirs d’un monde ouvrier en voie de disparition, avant d’être entrainé dans la déroute de l’URSS à laquelle Kroutchev le destalinisateur (1) et plus tard Gorbatchev le capitulateur ont porté des coups fatals. Avec la décennie 1990 on est entré dans une phase d’instabilité géopolitique que viennent encore d’amplifier la guerre russo-ukrainienne, la riposte israélienne à l’agression du 7 octobre 2023 et la politique du président Trump depuis janvier 2025. Dans ce contexte et malgré les illusoires sursauts souverainistes qui sont davantage de pathétiques chants du cygne, le déclin des nations se poursuit inexorablement.
Et après ?
Nous ne tenterons pas d’évaluer la durée de la phase chaotique dans laquelle nous venons d’entrer, car par définition le développement d’un chaos échappe aux enchainements logiques permettant d’élaborer des hypothèses prédictives. En revanche, il est possible, à partir des simples constats effectués sur les réalités du présent, de dégager des tendances. Nous en retiendrons trois :
- La prolifération de type métastatique de l’information idéelle empêchant toute structuration d’une pensée collective.
- La désagrégation de la structuration sociale
- L’aggravation des conséquences du dérèglement climatique et la possibilité (sans certitude) d’une « écologie de l’adaptation maîtrisée » à la nouvelle donne environnementale.
- La poursuite et l’accélération de l’innovation scientifique et technique génératrice de technologies à évolution rapide et ses conséquences
En engageant une réflexion sur ces trois tendances, il est possible d’esquisser une vision prospective hypothétique des décennies à venir.
Le cancer informatique
L’outil informatique, identificateur emblématique de ce que Toffler (2) a appelé « la troisième vague » (entendez : après la révolution néolithique et la révolution industrielle), a connu un développement suivant deux axes. D’une part, l’axe scientifique où il a permis des avancée considérables grâce à des applications dans tous les domaines de la connaissance du réel physique macrocosmique et microcosmique, de l’astrophysique à la microbiologie en passant par la médecine ou l’archéologie, par l’enseignement ou l’armement, la géologie ou l’océanologie etc. D’autre part, l’axe sociétal où il s’est imposé dans de nouveau modes publics et privés d’administration et de gestion, ainsi que dans la communication « médiatique » (messageries, réseaux sociaux, e-téléphonie) entre les individus et les groupes institutionnels ou non institutionnels.
Si, pour l’instant, on ne peut constater qu’un effet bénéfique du numérique dans le domaine des sciences et des techniques, c’est sur l’axe sociétal que s’est développé ce que nous appelons un cancer informatique. En effet, tout en proclamant le postulat erroné que l’outil informatique allait alléger les tâches d’administration et de gestion, les organismes publics et les entreprises ont mis à profit la rapidité de transmission et de traitement de l’information permises par l’outil numérique, pour générer une inflation des informations à transmettre et traiter, contraignant les services, c’est-à-dire, les salariés, à s’adapter au rythme croissant d’un outil tyrannique. Une même tyrannie s’exerce également sur le citoyen usager de services publics ou privés qui n’a plus pour interlocuteur que l’écran de son PC ou de son smartphone, ce qui contribue à aggraver son sentiment d’éloignement des centres de décision. Quant à la communication médiatique entre les individus et les groupes, il n’est plus à démontrer le rôle éminemment nocif joué par les réseaux sociaux et la cyberpiraterie qui perturbe gravement les transmissions informatiques, offrant un terrain de choix aussi bien à l’escroquerie ordinaire et à la désinformation, qu’aux cyber-attaques d’ampleur dans lesquelles se sont spécialisés des services de certains Etats.
Nous avons évoqué une information « idéelle », voulant signifier par là qu’il s’agit de la production d’une information où l’idée est prédominante et peut aller jusqu’au point d’ignorer, volontairement ou non, les réalités factuelles dont prétend traiter leur contenu.
Dans notre article Le conspirationnisme subversion salutaire de la parole officielle, nous avons évoqué la responsabilité des pouvoirs (politique, économie, religion) dans le conspirationnisme. Cependant, nous avons sans doute été optimistes en pensant que l’apparition de ce type de contre-information pouvait inciter les pouvoirs à moins mentir et moins dissimuler, car c’est d’abord le mensonge et la dissimulation institutionnels qui ont favorisé dans des proportions impressionnantes l’octroi par l’opinion publique d’un crédit aux thèses conspirationnistes. En fait, depuis la rédaction de cet article en janvier 2021, les pouvoirs ont continué à mentir et à dissimuler. Le traitement de « l’affaire Abbé Pierre » en est un exemple particulièrement scandaleux. Alors que les plus hautes autorités de l’Eglise, donc Papes compris, étaient au courant du comportement pathologique du très médiatique abbé depuis plus d’un demi-siècle, elles ont préféré protéger l’icone qui renvoyait une belle image du catholicisme « social ». Si les plaintes de victimes et le travail de médias obstinés n’avaient pas fait éclater la vérité, l’Abbé Pierre serait probablement en cours de béatification avec la perspective d’une canonisation accélérée, comme pour la Mère Thérèsa, autre icone aux zones d’ombre (sur un autre registre) soigneusement cachées. Le Pape François s’est payé le luxe de mentir effrontément en prétendant que le Vatican n’avait été informé des faits que récemment ! Côté gouvernement : silence radio ! Ce même gouvernement a pour premier ministre un menteur tout aussi effronté qui prétend n’avoir pas été informé des sévices et des viols commis par l’encadrement religieux du collège Bétharram alors qu’il était un élu local, que ses enfants y faisaient leurs études secondaires, que sa femme y enseignait et que dès la fin de la décennie 1990 des langues commençaient à se délier, dont celle d’une enseignante qui l’avait personnellement alerté.
On pourrait aussi évoquer les dissimulations d’informations sur l’origine du virus dit « covid » ou le traitement médiatique « officiel » de la guerre russo-ukrainienne, relayé par des médias asservis. Dans ces conditions, comment s’étonner de voir proliférer sur les réseaux sociaux les fake news, les délires conspirationnistes et les techniques de déformation d’informations exactes par exégèse abusive.
A un monde où se formaient des pensées collectives dominées par de grandes idéologies politiques et spirituelles, a succédé un monde d’une atomisation de la pensée collective où se multiplient les « chapelles », souvent sectaires, que caractérisent l’absence d’esprit critique et de raisonnement logique, l’exploitation de l’émotionnel et le goût de l’irrationnel comme substitut à une rationalité niée parce qu’indésirable.
Si l’on poursuit la réflexion au-delà de la simple observation de surface qui fait apparaitre les éléments d’un chaos, il peut être possible de discerner dans ces turbulences le préalable nécessaire à une nouvelle donne sociétale : ce sont les cartes qu’on rebat avant une nouvelle partie, les monuments anciens, vétustes et fragilisés, qu’on abat pour en construire de nouveaux.
La désagrégation de la structuration sociale
Dès lors que des individus s’agrègent et forment un groupe organisé, celui-ci repose sur des structures qui en assurent la stabilité et la pérennité. Les plus traditionnelles de ces structures sont le cadre familial, le cadre du travail et le cadre de la ritualisation spirituelle. Des tendances qui se précisent, annoncent la désagrégation de ces trois cadres.
La famille
Le cadre familial traditionnel était fondé sur une parentèle relativement élargie. Quand on disait « ma famille », cela pouvait désigner jusqu’à des cousins au deuxième ou troisième degré, des enfants et petits enfants de nièces et neveux, aussi bien pour ce qui concernait la descendance que pour ce qui était les membres encore vivants des générations d’ascendants. Le cadre familial restreint de la cohabitation comportait couramment, notamment dans le monde rural, les proches représentants de trois ou quatre générations : grands parents, parents, enfants, petit enfants. Ce cadre s’est considérablement retreint après la seconde guerre mondiale, tant en ce qui concerne l’entretien des liens (les regroupements ne s’effectuant souvent qu’à l’occasion de mariages ou d’obsèques, parfois lors des fêtes de fin d’année et de printemps ou lors de vacances) qu’en ce qui concerne la cohabitation, souvent réduite aux parents et aux enfants. Cela a résulté de facteurs structurels liés au travail et aux conditions de vie matérielles (par exemple l’accès au logement), et à des facteurs plus largement existentiels liés à l’évolution des mœurs. Après le baby-boom de l’immédiat Après-guerre, qu’on peut attribuer au retour des prisonniers et à un regain d’optimisme qui sera vite douché par les conflits coloniaux et la menace nucléaire, les naissances se sont stabilisées puis ont baissé. On ne peut non plus négliger l’impact de la contraception et de la légalisation de l’avortement. Aujourd’hui, la dénatalité est un fait qu’on explique par les visions « classiques » du commentaire démographique ; mais on sous-estime peut-être les facteurs moins observés et moins quantifiés que les craintes liées à l’avenir, les conditions de travail ou les difficultés financières des ménages. Nous pensons en particulier à une évolution d’un vision de la qualité de vie chez les générations qu’on peut déjà qualifier de post-industrielles. Ayant elles-mêmes vécu la vision qu’en avaient eu leurs parents, lesquels s’engageaient souvent précocement dans le mariage et plaçaient ensuite l’enfant au centre de la famille, ces nouvelles générations ont pris conscience du fait qu’une telle conception de la famille sacrifiaient à la charge mobilisatrice des enfants et aux objectifs anxiogènes du crédit immobilier ou de la productivité de leur activité salariale, ce qu’on estime être aujourd’hui la qualité de vie, c’est-à-dire l’épanouissement personnel, les loisirs, un rythme de vie non stressant. Même si cela n’est pas une lame de fond, c’est une mutation certaine des mentalités. On pourrait y ajouter l’impact des mouvements féministes sur la réflexion de toutes les femmes et leur prise de conscience que la femme a trop été longtemps cantonnée par la vision patriarcale et productiviste, au rôle de « faiseuse d’enfant ». Et c’est vrai qu’on a bien encouragé les femmes dans ce rôle de pourvoyeuses de forces ouvrières autant que de chair à canon, vouées aux tâches domestiques et aux grossesses à répétition qui les vieillissaient avant l’âge et les enlaidissaient. Ce n’est pas par hasard que ce soit le très réactionnaire gouvernement de Vichy qui a inventé la « Fête des Mères » !
Demeurer indépendant ou vivre en couple, mariés ou pas ; avoir des enfants, mais qui ne soient pas un obstacle aux aspirations légitime des jeunes adultes désirant profiter pleinement des deux ou trois meilleures décennies de leur vie, ne pas attacher plus d’importance aux liens familiaux qu’à ceux de l’amitié : tel se dessine un nouvel art de vivre. Le 20ème siècle vieillissant a fait la démonstration de l’absurdité consistant à situer dans l’enfance ces meilleures années en lui offrant le rêve d’une irréalité dont on la sort ensuite brutalement. Les USA en ont été l’exemple caricatural en projetant leur jeunesse de l’univers « Disneyland » à celui de l’enfer du Vietnam. Ils sont aussi responsables du mouvement « Hippie » et de l’addiction aux drogues, car il s’agit de vaines tentatives de prolonger le rêve artificiel de l’enfance pour éviter l’entrée dans un monde adulte légitimement perçu comme aliénant. Mais cette voie de fuite est tout aussi erronée puisque son effet émollient conduit à une autre forme d’aliénation. Le parcours de vie moins discordant permettant à l’individu de vivre dans l’équilibre sa traversée des âges de l’existence reste à inventer dans la nouvelle ère qui vient de commencer. Un bon début consisterait peut-être à cesser d’artificialiser l’environnement de l’enfant et à lui mentir sous prétexte de le protéger. Pour l’instant, c’est la traversée d’un chaos où de nouveaux repères n’apparaissent pas encore pour remplacer ceux qui ont été perdus. Dans la quête de ces repères il est éclairant de constater que faute de les trouver dans leur transmission traditionnelle par la famille du présent, beaucoup de gens les recherchent dans une représentation du passé en se passionnant pour la généalogie. Mais ce n’est pas en dressant un arbre généalogique familial qu’ils les trouveront : il ne s’agit là que de l’encre, du papier et de l’imaginaire dont on entoure des noms, des prénoms et des dates.
Il est possible que dans la nouvelle ère qui ne fait que commencer, les liens familiaux fondés sur le sang perdent de leur force et n’imposent plus un « relationnel obligé ». Une certaine richesse de l’altérité dépassant les allégeances d’ordre religieux, ethnique, aussi bien que les identifications conventionnelles, pourrait apparaitre. Le refus des contraintes trop longtemps opposées aux pulsions naturelles pourrait avoir un effet de dérégulation des mœurs, favorisant des relations et des liens non normés, permettant aux individus d’épanouir leur pluralité dans un polymorphisme déculpabilisé. La Renaissance qui a été une grande époque de décorsetage social, a connu un tel moment de libération propice à la pensée et aux arts. Quoique non exempte de sa part de violences extrêmes, car toute libération est aussi chaotique, elle favorisa la redécouverte de l’idéal antique de beauté. Ce fut le temps où purent exprimer leur génie Léonard de Vinci, Michel Ange, Raphaël, Giotto et bien d’autres. Ce fut le temps où le Pape Jules II rassembla au Vatican la plus belle collection de statues grecques et romaines, explosant de la sensualité de nus dont on ne cachait rien et qui faisaient échos aux corps splendides des fresques à motifs religieux mais débordant de leurs formes charnelles. Ce fut le temps, en particulier en Italie et en France d’une saine polysexualité où les puissants passaient sans complexe de leurs maitresses à leurs favoris, tels maints princes florentins ou romains, ou encore le roi de France Henri III, dont on n’a retenu que les « mignons », mais qui ne dédaigna pas d’honorer de ses ardeurs bien des femmes succombant à sa troublante beauté androgyne d’homme assumant sa virilité et sa féminité.
Le travail
Dans la société traditionnelle, le travail c’était le métier ; et le métier qualifiait l’individu. D’abord dans la reconnaissance d’une qualification reposant sur un savoir, l’art de sa mise en pratique -le savoir-faire- et la manifestation des valeurs propres à son exercice -le savoir-être. Ensuite, dans la conscience de participer à une plus grande œuvre témoignant d’un ordre social suscitant l’adhésion collective à un idéal. Les Francs-Maçons aiment citer la réponse d’un humble tailleur de pierre à qui l’on demande ce qu’il fait et qui ne répond pas « je taille une pierre », mais : « je construis une cathédrale !».
La révolution industrielle a mis fin a cette vision du travail. Même si l’artisanat a encore occupé une place importante dans la société, et si la logique du métier, ancrée depuis des siècles dans les mentalités a subsisté encore un temps dans la production industrielle, dès la dernière décennie du 19ème siècle, l’organisation scientifique du travail ou « taylorisme » (3) a radicalement transformé le rapport de l’individu au travail. La spécialisation et la standardisation, puis l’automatisation et maintenant la robotique ont fait que le travail, à l’exception des emplois de haut-niveau dans la conception et l’ingénierie, ou des métiers liés par nécessité à l’environnement naturel, le travail n’est plus le cadre d’une identification revendiquée et d’une réalisation personnelle. Quant à l’artisanat, profondément atteint par les logiques économiques et le consumérisme de masse, il existe encore sous sa forme traditionnelle dans l’artisanat d’art dont la production s’adresse à une clientèle fortunée (4) ou dont l’activité s’exerce dans l’entretien et la restauration de bâtiments, de mobiliers et d’objets relevant du patrimoine historique public ou privé.
L’arrivée de l’informatique dans le travail dès le dernier quart du 20ème siècle, en permettant de traiter les taches plus vite durant un temps de travail inchangé, a eu pour effet de multiplier les tâches et une plus grande exigence de rapidité. Elle a permis aussi, comme la robotisation dans l’industrie, de supprimer un nombre non négligeable d’emplois. Les gains de productivité ainsi obtenus ont eu pour effet de maximaliser les profits du capital. Enfin, elle a achevé de dissocier la personnalité des travailleurs de leur tâche, celle-ci étant devenu exclusivement un moyen de « gagner sa vie » ; ce qui a pu faire dire qu’on gagnait ainsi sa vie en la perdant. Il y a du vrai dans cette boutade, car lorsque le travail ne devient gratifiant que dans le revenu financier qu’on en tire, il n’est qu’une concession à la nécessité de satisfaire ses besoins matériels. Il n’est donc pas étonnant que la réduction du temps de travail hebdomadaire et l’abaissement de l’âge de la retraite soient devenus les enjeux majeurs des revendications salariales.
Récemment, les mesures de confinement sanitaires prises durant l’épidémie du COVID, ont fait découvrir à beaucoup de salariés les agréments du travail à domicile, achevant de détruire le cadre du travail et les rapports humains qu’il générait. Aujourd’hui, moyennant la compatibilité des tâches avec leur traitement à distance et hors contrainte horaire, on peut travailler durant un trajet en train ou un séjour à l’hôtel en connectant son ordinateur portable. Il est probable que la disparition du cadre de travail et même d’un lieu unique de travail ira en s’accroissant.
La notion d’entreprise elle-même a évolué. L’aspiration à une plus grande liberté dans le travail, hors des pesanteurs hiérarchiques et organisationnelles, tendra vraisemblablement, lorsque se sera compatible avec la production de biens ou de services, à se développer sous forme de micro-entreprises ou d’auto-entreprises. Le modèle d’entreprise qui s’est imposé durant l’ère industrielle disparaitra progressivement dans une dispersion galactique sans noyau central.
Le profil des secteurs traditionnels d’activité (primaire, secondaire et tertiaire) sera aussi probablement impacté par cette évolution du travail et par les avancées technologiques constantes et considérables. Pour ce qui est du tertiaire, l’impact est essentiellement celui du bond en avant numérique. Le secondaire verra probablement la disparition des filières de l’ère industrielle, la généralisation de la robotisation et, bien entendu, le recours à de nouvelles sources d’énergie. Le secteur primaire, quant à lui, sera impacté par la convergence des avancées technologiques et du changement climatique. Les activités traditionnelles d’exploitation du sous-sol verront la disparition progressive (mais moins rapide qu’espérée/prévue) de celle des énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz) et l’exploitation de nouveaux types de gisements : terres rares, poches d’hydrogène, nodules polymétalliques sous-marins etc. On ne peut exclure l’éventualité de l’exploitation du sols d’autres planètes (par exemple Mars), voire de corps célestes de type météoritique.
Une transformation majeure est celle qui affectera probablement l’activité agricole (culture et élevage). Il s’agit d’une ressource vitale pour les humains qui a peu évolué durant le néolithique prolongé et n’a été affecté par l’ère industrielle que par les techniques de transformation agroalimentaires et le développement des transports. Le modèle actuel, caractéristique des impasses chaotiques de l’industrialisation à outrance et du dogme de la croissance sans fin, a détruit le cadre agricole hérité du néolithique. Les exploitations de type familial ne peuvent résister économiquement à la mondialisation et à la massification de la production. Elles demeureront très marginales, à la fois coûteuses et peu rentables. En très sensible régression depuis un demi-siècle, elles connaitront à court terme un effondrement avec le renouvellement générationnel (absence de reprise des exploitations). Dans sa phase post-industrielle ce modèle offre au consommateur des produits de saveur médiocre contenant les résidus de traitements chimiques nuisibles à la santé. Les préparations de type « plats cuisinés » -le « préfabriqué » ou « prêt à manger » alimentaire- gorgés de conservateurs et d’agents de sapidité artificielle (notamment les sucres), ont « désappris » la cuisine. Ce modèle est celui qu’on appelle « la malbouffe ». Outre ses effets sur la santé et l’extrême médiocrité des satisfactions gustatives qu’il offre, il participe à la détérioration de l’environnement (par exemple la surconsommation d’eau et l’épandage de produits chimiques dans les exploitations ; mais aussi son invraisemblable recours à des transports massifs sur des milliers de kilomètres par d’énormes semi-remorques et des avions-cargos. Cet hybris alimentaire qui va jusqu’à nous approvisionner en produits venus des antipodes, va être mis à mal par les effets du dérèglement climatique, lequel exigera un changement radical des modes et comportements alimentaires. Cela pourrait aller, dans le cadre que nous évoquerons ci-après d’une révolution technologique, jusqu’à la substitution aux produits de la malbouffe, de produits de synthèse plus appétants, plus sains et respectueux de l’environnement. Contrairement aux idées reçues véhiculés par la malveillance industrielle, il ne s’agira pas de nourrir la population en lui faisant ingérer des gélules ou des boissons insipides, mais de produits d’une reconstitution biologique rigoureuse incluant la consistance des textures associées.
La spiritualité
La spiritualité a eu longtemps pour cadre dominant la religion. Les religions ont structuré la pensée des civilisations, impacté les visions politiques, inspiré les morales. Au 19ème siècle, alors que son emprise demeurait forte dans le monde rural, le religion perdit de son influence dans le monde industrialisé des zones urbanisées. Une intelligentzia éclairée, réceptive aux idées libérales et impressionnée par les découvertes scientifiques, se détourna d’un enseignement religieux jugé simpliste et chimérique, tandis que le monde ouvrier et ce qu’on appelle « le petit peuple » s’ouvraient aux idées socialistes et commençaient à refuser la fatalité de leurs conditions. La libre pensée et le relativisme tolérant de la Franc-Maçonnerie opposaient leurs approches se réclamant de la raison à des croyances qu’ils considéraient comme obscurantistes.
On peut dire, en simplifiant les choses, que jusqu’à la seconde moitié du 20ème siècle, le paysage spirituel se partageait entre croyants et incroyants. Puis est apparue une modification de ce cadre caractérisée par un plus grand affaiblissement de l’emprise religieuse qui ne fut pas dû à des coups portés de l’extérieur mais à une désagrégation interne de l’institution religieuse, en particulier pour le catholicisme. Ce fut la dérive sectaire mais aussi, peut-être comme un effet induit des réformes conciliaires, le vécu par des fidèles d’une foi « à la carte » où chacun prenait ce qui lui convenait dans la doctrine, développant sa propre interprétation des Ecritures, avec une très nette tendance à privilégier une relation directe avec Dieu. La grande époque du rationalisme triomphant et du combat anticlérical est révolue. D’abord parce que le rationalisme lui-même s’est affaibli, en suite parce qu’au vu de la crise des vocations qui décimes les rangs cléricaux et des scandales sexuels récurrents qui discréditent l’Eglise, « on ne tire pas sur une ambulance ».
Certes, la désagrégation de l’institution religieuse ne signifie pas qu’il n’y a plus de spiritualité. Très nombreux sont encore ceux qui ne se satisfont pas d’une vision matérialiste d’un monde voué au seul existentialisme ne répondant pas à la quête métaphysique des cause premières et des fins dernières. Mais cette spiritualité sans cadre rituel ou se dispersant dans les plus exotiques ou les plus marginaux des rites, n’est qu’une des manifestations du chaos sociétal post-industriel.
Le dérèglement climatique et une écologie de l’adaptation maîtrisée à la nouvelle donne environnementale.
La prise de conscience (trop) tardive du dérèglement climatique engendré par les excès et dérives de l’ère industrielle sur fond de capitalisme libéral ou d’Etat (car au-delà de leur opposition idéologique frontale, l’Occident libéral et l’ex-bloc socialiste ont conduit des politiques économiques recourant à un identique mécanisme capitalistique fondé sur la croissance) a vu l’émergence de préoccupations écologiques longtemps jugées infondées et souvent ridiculisées. Tandis qu’un René Dumont, lanceur d’alerte, résumait l’enjeu dans l’alternative « L’utopie ou la mort », la société du dernier quart du 20ème siècle a choisi la mort. Et quand les premiers signes de la mort sont apparus et ne pouvaient plus être niés, les mêmes qui ricanaient vingt ans plus tôt ont commencé à crier « au secours ! », tentant de récupérer au profit de leur crédibilité politique une profession de foi écologique qu’ils avaient taxé d’hérésie économique.
Mais cette « écologie de l’alerte » était né à l’époque où il était encore temps d’arrêter le massacre si on l’avait écoutée. Elle était fondée sur la préservation de l’environnement traditionnel, fait d’air pur et de terre saine. Le club de Rome et son rapport Meadows, c’était en 1972. Mais il a fallu trente ans pour qu’on en reconnaisse le bien-fondé. Trente années de la poursuite d’une progression quasi exponentielle de l’émission de gaz à effet de serre, trente années de déforestation forcenée, de pillage et de pollution des mers et des océans, trente années de déstructuration sociale niant le rapport de l’homme avec son environnement. Trente années aussi d’erreurs des écologistes eux-mêmes, ciblant le nucléaire qui ne détruisait rien, alors que la priorité de la lutte eût du porter sur les énergies fossiles. Trente années de crispation des défenseurs de l’environnement choisissant la mythification (du genre « retour à l’âge d’or »), alors que la priorité eût du porter sur l’adaptation au nouvel environnement créé par la détérioration déjà irréversible de celui qu’ils « rêvaient » de préserver.
Nous affirmons, nous, toujours pragmatiques et attachés aux faits que les idées ne peuvent modifier, qu’il faut passer d’une écologie de la préservation à une écologie de l’adaptation raisonnée au nouvel environnement. Il s’agit d’une adaptation qui ne concerne pas seulement les aspects physiques et matériels dudit environnement, mais aussi -et peut-être surtout- les mentalités. Car cette adaptation requiert de renoncer à beaucoup d’acquis participant à des modes et des genres de vie révolus. Renoncer à l’habitat traditionnel trop vulnérable aux nouvelles conditions climatiques (ouragans, tempêtes, crues des cours d’eau, mini-tsunamis, méga feux etc.) ; renoncer aux déplacements superflus et à l’imbécile tourisme de masse des clubs de vacances, circuits organisés à l’étranger, pseudo-croisières ; renoncer aux habitudes alimentaires acquises ; renoncer à obéir aux diktats des modes vestimentaires etc. etc. etc. Et si on avance l’éternel argument de la préservation des emplois, nous répondons que l’ampleur des besoins résultant d’une adaptation structurelle aux nouvelles conditions climatiques sera créatrice d’un considérable besoin de main d’œuvre dans bien des secteurs d’activité plus urgent à satisfaire que celui des agences de voyage ou du prêt-à-porter. Il ne s’agit plus d’utopie, mais de réalités pressantes : l’adaptation ou des morts par millions.
Il ne faut pas s’y tromper : cette adaptation ne sera pas l’affaire d’un « mauvais moment à passer », comme celui d’un orage violent. La transition climatique va durer. Le dérèglement climatique ce n’est pas un simple fait météorologique, c’est un effet en chaine entrainant un dérèglement planétaire général : fonte des glaciers, éboulements des reliefs, montées des niveaux océaniques et maritimes, remodelage des côtes, disparitions et/ou déplacement d’espèces animales et végétales, risques de recrudescence d’activité vulcanologique et sismique etc. Comme dirait Paillasse : E finita la commèdia !
L’accélération de l’innovation scientifique et technique
C’est la quatrième tendance majeure que nous avons retenue comme annonciatrice et directrice d’un changement d’ère. Ses prémices étaient déjà apparues à l’apogée de l’ère industrielle sans qu’on en ait mesuré alors les conséquences sur un futur qu’on n’imaginait qu’au travers d’un progrès de l’industrie. Parmi ces prémices on pourrait retenir l’aviation, car l’avènement de la propulsion dans l’atmosphère annonçait, sans qu’on le sache encore, la conquête spatiale. Depuis, on a marché sur la Lune, envoyé des sondes sur des comètes et au-delà le Jupiter, et des télescopes spatiaux effectuent des explorations à des distances de plus en plus lointaines. Sur Terre c’est aussi depuis l’espace qu’on explore le sol ; l’archéologie, par exemple, ne pourrait plus se passer des drones. Quant à la connaissance de l’humain elle a progressé de façon spectaculaire depuis la découverte de l’ADN et les avancées spectaculaires de la microbiologie grâce aux technologies dont disposent les chercheurs, les praticiens et les laboratoires. Il n’y a pas un seul secteur d’activité qui ne soit affecté par la révolution technologique. Ainsi vient-on en France, dans la Marne, de fabriquer le premier immeuble d’habitation réalisé par impression en 3D (concrètement, à partir du dessin numérique préalable devenant logiciel, une tête d’impression reliée à un portique articulé projette le béton. Le gain de temps et de main d’œuvre, ainsi que la fiabilité d’exécution, présentent des avantages considérables.
En matière d’énergies renouvelables, il est à peu près certain que les voitures électriques et les très contestées éoliennes seront assez rapidement dépassées. Par quoi ? Nous nous garderons bien de le prédire, n’ayant pas compétence pour le concevoir ; mais il apparait de plus en plus que le temps d’apparition et de développement de nouvelles technologies s’accélère. Il est d’ailleurs remarquable, et d’une certaine manière étonnant, que sur fond d’un incontestable chaos sociétal, le progrès scientifique et technique continue imperturbablement sur sa lancée. Le contraste entre les visions sclérosées des politiques, l’archaïsme paralysant de la gestion administrative, et l’efficience scientifique et technique, est patent.
Bien entendu, les découvertes et les innovations de ce premier quart du 21ème siècle suscitent aussi des inquiétudes ; d’autant plus que leur fonctionnement n’a pas la visibilité d’un mécanisme. La menace des applications indésirables qui peuvent en être faites est réelle, mais il faut garder à l’esprit que l’homme peut toujours demeurer maître de ce qu’il crée. Il ne faut pas céder au « complexe de Frankenstein », cette peur mythique d’être dépassé par sa créature. Des millénaires d’expérience humaine nous apprennent que si parfois les sociétés créent des machines infernales et en subissent les conséquences, l’espèce survit toujours. Il y a seulement un prix à payer pour les erreurs. Nous en payons un très fort en ce début de nouveau millénaire, mais il serait vain de vouer aux gémonies l’ère industrielle, d’autant plus qu’elle a constitué une étape nécessaire sans laquelle l’évolution aurait cessé : si le retour dans le passé était possible, les contempteurs du progrès découvriraient que le néolithique prolongé n’était pas le paradis qu’ils imaginent !
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Notre conclusion sera brève. Elle consistera dans l’affirmation que l’homme est un infini. Infini dans le sens où nous sommes convaincus de la pérennité de l’espèce ; infinitude dans le temps. Infini dans le sens où il est le microsome reproduisant l’univers macrocosmique dans la multiplicité de ses états et manifestations ; infinitude dans l’espace. Tout homme, dans le présent, se situe donc à l’intersection d’un axe horizontal temporel et d’un axe vertical spatial, chacun des axes n’ayant ni commencement, ni fin. Cela forme une croix. J’en fais cadeau au Pape, cela pourrait l’éclairer sur le sens véritable de ce symbole : le Christ homme primordial et homme final, alpha et oméga, simple concession à l’entendement du mortel, en réalité en dehors de tout temps et de tout espace : homme universel et infini. Amen !
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NOTES
- Khrouchtchev, en déstalinisant l’URSS a porté un coup fatal à la crédibilité d’un système qui a travers le culte de la personnalité de son prédécesseur avait perpétué en l’intégrant au communisme, la mystique tsariste de « l’impérator », le père fédérateur d’un peuple pluriel. Après son acte iconoclaste la magie s’est rompue, l’inévitable éclatement de l’empire était acté.
- Alvin Toffler (1928-2016) ; sociologue et futurologue. Principaux ouvrages : Le choc du futur (1971), La troisième vague (1980).
- Frédérick Winslow Taylor (1856-1915) ; ingénieur, théoricien de l’organisation scientifique du travail.
- L’artisanat d’art est ce qui subsiste du meilleur des métiers traditionnels. En dehors de ceux que nous évoquons dans l’article, il existe aussi un artisanat d’art semi-industriel dont un bel exemple est celui des ateliers Hermès employant plusieurs centaines de personnes dans les Ardennes. Le choix du site est délibéré : pas seulement à cause de la proximité de Paris, mais parce qu’il s’agit d’un département en mutation post-industrielle où s’est transmis un savoir-faire et un état d’esprit propices à la satisfaction d’impératifs de qualité.