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Le lâcher-prise Ou la voie du détachement

22 janvier 2025 par
Simon Couval

  La culture occidentale moderne est durablement marquée par une vision volontariste de la vie où l’intelligence est au service de la volonté, et la pensée au service de l’action. Quoique certains courants d’idées influencés par les doctrines orientales qui ont séduit une partie des générations d’après-guerre dans les dernières décennies du 20ème siècle, tempèrent plus ou moins fortement cette conception de l’existence, il s’agit moins chez leurs adeptes d’une « lecture autre » du sens de la vie, que d’une méthodologie différente pour réaliser le même idéal de gain et de réussite. Tout ce qu’on peut apprendre sur les sites Internet et les réseaux sociaux sur la notion de « lâcher-prise », se ramène, comme pour le yoga et les techniques de méditation, à des conseils de contrôle de l’égo pour renforcer l’efficience de l’action. L’adoption de telles ou telles de ces pratiques par des dirigeants politiques et des chefs d’entreprise, voire l’encouragement de leurs cadres à s’y soumettre, en disent long sur l’abîme qui sépare cette approche, en fait matérialiste, de l’authenticité des sources spirituelles et philosophiques de l’hindouisme et du bouddhisme dont elles s’inspirent en les caricaturant.

Stress, burnout, suicide… : le prix de la performance et de la productivité

Au début du film 2001 l’odyssée de l’espace (sorti en 1968) un raccourci surfant sur des centaines de milliers d’années nous présente un artefact que la lueur d’intelligence d’un primate transforme en outil. Son « Eurêka !» le lui fait lancer vers le ciel où il se transforme en une navette qui se dirige vers une station spatiale. On comprend que le passage instantané d’une scène à l’autre, représente les millénaires d’une progression constante du savoir et de ses applications technologiques de plus en plus sophistiquées. La suite du scénario nous amène à l’intérieur d’un vaisseau qui transporte des astronautes vers une lointaine destination et où un gigantesque ordinateur de bord programmé pour assurer le pilotage automatique et un certain nombre de fonctions vitales, pendant qu’ils sont plongés dans un sommeil artificiel, s’auto-émancipe et tente de prendre le commandement de l’expédition, préfigurant avant la lettre l’IA du 21ème siècle (1) dont les problématiques qu’elle soulève sont passées du champ de la science-fiction à celui de la réalité quotidienne.

Nous voici donc ici et maintenant. Hic et nunc, comme disaient les Romains. Et que voyons-nous, qu’entendons-nous ? Une Terre grouillante comme une fourmilière où des humains asservis aux exigences de la performance et de la productivité, parlent de plus en plus vite, lisent de plus en plus vite, pianotent de plus en plus vite sur les claviers de leurs ordinateurs ou de leurs smartphones, courent vers les arrêts de bus, les gares ou les stations de métro. Autrement dit, un monde en accélération constante. Jusqu’où ?

Les Grands Maîtres de cet ordre mondial qui vise à atteindre le plus petit hameau dans les brousses et les jungles les plus impénétrables, savent qu’il faut offrir des séquences réparatrices à l’immense armée des grouillots : des super stades et des méga salles de spectacle où ils peuvent expectorer leur stress en hurlant, des aliments hypercaloriques et hyper glucosés qui « calent », des boissons sucrées ou alcoolisées qui « énergisent », des drogues qui font oublier, du sexe à gogo, réel ou virtuel, des vacances pas chères ou à crédit et toutes sortes de bonnes choses régulées par les grandes industries de la société du bonheur : industrie de la bouffe, industrie du spectacle, industrie des loisirs, industrie du sexe.

Ombres à ce tableau bien ordonné : les petites natures qui craquent, font tache sur la nappe blanche et qu’il faut évacuer discrètement vers des établissements spécialisés ou les morgues. Burn out (en français : pétage des plombs), suicides variés (overdose de médocs ou de stups, pendaison, noyade, rails du métro ou du chemin de fer, défénestration, pruneau dans le caisson, saignée des veines, asphyxie au gaz de ville etc.). Ces invalides et ces morts constituent le pourcentage de perte statistiquement prévisible dans toute entreprise depuis la nuit des temps (des grands chantiers pharaoniques à la conquête spatiale en passant par les Croisades et les sports de l’extrême). Mais ils nous disent aussi qu’on joue dangereusement avec la capacité d’adaptation de l’humain à des conditions de son utilisation productive dont on semble vouloir repousser sans cesse les limites de tolérance.

Ce que nous décrivons ici ne relève pas du catastrophisme, mais de constats d’experts, notamment médicaux. Quoique les entreprises publiques et privées dont le management est ainsi ciblé, développent une forme de déni recourant à l’argument de causes exogènes telles que les problèmes de vie privée des salariés, une prise de conscience d’une morbidité inhérente à l’emploi se précise. Si elle ne s’accompagne pas d’une « fuite salutaire », c’est que les conditions d’une dépendance au travail sont réunies pour empêcher toute velléité d’évasion des captifs. Aux simples nécessités vitales du logement et de la nourriture s’est ajouté pour bien verrouiller la situation, le miroir aux alouettes du consumérisme et son encouragement par le crédit.

Cependant, on peut constater un « frémissement » annonciateur de comportements atypiques recherchant des voies de contournement s’écartant des « autoroutes de la fatalité esclavagiste ». Un reportage récent révélait qu’au Japon, longtemps considéré comme une « fourmilière humaine » docile, les générations montantes acceptaient de moins en moins de sacrifier la vie privée au travail et que des cabinets s’étaient spécialisés dans « l’aide à la démission » en offrant leurs service aux salariés lorsque leur employeur tente de faire obstacle à leur départ. La question est : assisterait-on a une évolution du rapport de force sur le marché du travail où il ne faut pas oublier que si le salarié a besoin d’un emploi, les entreprises ont aussi besoin de main d’œuvre qualifiée. Le fait-même que des employeurs s’efforcent d’empêcher des employés de démissionner en apporte la preuve.

Le bref tableau que nous venons de brosser décrit un état sociétal. Mais à la racine de cette problématique de la perpétuation d’un esclavage qui a évolué dans ses formes juridiques et physique, mais demeure invariant dans la composante psychologique du rapport « domination-soumission », est donc à rechercher dans le conditionnement du comportement individuel. C’est ce qui va nous amener à considérer le « lâcher-prise », non plus comme une technique de relaxation aux relents de New age sur fond de simulacres orientalistes de notions mal digérées et détournées de leur signification authentique, mais comme une philosophie de la libération des sens et du mental.



Comprendre l’emprise pour comprendre la réalité du lâcher-prise

Si l’on s’en tient à la sémantique, le lâcher-prise concerne l’action d’un individu consistant à cesser d’assurer sa prise sur une réalité physique, humaine, animale ou matérielle, ou bien sur une réalité d’ordre mental, moral ou psychologique qu’il accepte et qui conditionne sa pensée et son action.

Cette prise qu’on peut définir comme l’action de saisir, de prendre ou de s’emparer, se traduit donc par une emprise, c’est-à-dire une domination s’inscrivant dans la durée.

Or, si l’on poursuit l’approche sémantique, on constate, dans le cas de la domination sur autrui, que l’emprise est considérée comme le fait d’imposer une manière de vivre et de penser, d’indiquer à l’autre ce qu’il doit être et/ou devenir, et le chemin qu’il doit prendre pour y parvenir. C’est exactement ce que font les religions, les philosophies et les idéologies politiques, économiques et sociales qui, bien qu’ayant le plus souvent recours à la violence pour maintenir leur emprise, l’obtiennent à leur origine par la croyance ou l’intime conviction de leur véracité.

Allons plus loin et demandons-nous comment les « maîtres » des religions, des philosophies et des idéologies peuvent faire naître croyance ou intime conviction chez les peuples auxquels elles imposent leur vision du monde. Notre réponse sera sans ambiguïté : la religion en spéculant sur la mort, les philosophies et les idéologies en spéculant sur la vie.

Spéculer sur la mort (ou l’escompte sur la vie éternelle !)

En proposant son « pari stupide » (2), Blaise Pascal -qui n’était peut-être qu’un farceur pervers- a l’immense mérite de mettre à l’heure les deux aiguilles de l’illusoire mesure du sens de la vie : d’une part, il dénonce l’impossibilité de démontrer par la raison l’existence ou la non-existence de Dieu (comme a tenté de le faire Descartes) ; d’autre part il resitue la question dans la seule perspective qui justifie qu’on la pose et qui est l’interrogation sur l’au-delà de la mort. Car c’est bien là ce qui préoccupe l’homme depuis qu’il a pris conscience de son état de « mortel » : sachant qu’une vie n’est qu’un très éphémère compte à rebours séparant la naissance de la mort se perdant dans l’infinité du temps, il importe surtout de savoir de qu’on devient dans cette durée infinie qui suit la fin de la vie. C’est précisément à cette interrogation que répond la religion. Et là se présente l’alternative : croire ou ne pas croire, avoir ou ne pas avoir la foi. Sur cette alternative se fonde le fameux pari : mieux vaut parier sur la croyance, car si Dieu existe on a tout à y gagner, et s’il n’existe pas on n’a rien à perdre ! Bien vu, sauf que cet impeccable raisonnement ne pourrait tenir que si la croyance était affaire de volonté, de décision, de motivation s’appuyant sur l’intérêt. Ce que la croyance n’est pas, évidemment, et qui fait que ce pari est « stupide ». Pascal, lui, n’était pas stupide, donc parfaitement conscient du sophisme de son raisonnement, son objectif, en bon penseur réactionnaire, étant seulement de jeter le trouble dans les consciences libertines. En fin de compte, il n’avait pas tort, car c’est précisément sur ce trouble, entretenu à coup de menaces de damnation et de visions infernales, que s’est appuyée depuis vingt siècles la rhétorique ecclésiale. Et ça marche encore, aujourd’hui moins par crainte de la réalité de l’Enfer, que par besoin de donner un sens à la vie, surtout lorsqu’elle apparait absurde et cruelle. C’est le crédo quia absurdum attribué à Tertullien.

Dans le monde du 21ème siècle l’emprise des religions est avant tout d’ordre moral, conditionnant encore largement les modes de pensée et de vie des croyants. C’est sans doute un des ancrages mentaux auquel il est le plus difficile de convaincre les humains de lâcher prise.

Spéculer sur la vie (de la consolation au nouvel âge d’or, recettes pour tous les appétits)

A l’origine de la pensée spéculative il semble certain que se trouve la confrontation de l’homme aux réalités physiques du monde. Sa perception des éléments et des phénomènes naturels le conduit à s’interroger de façon de plus en plus ordonnée, articulant sa réflexion en passant du « comment » des constats au « pourquoi » des causes. Si les constats portent la marque d’un empirisme préfigurant l’approche rationnelle de la pensée scientifique, l’absence de moyens permettant d’accéder de la même manière aux causes, n’a pas découragé l’homo sapiens dans sa volonté de répondre au « pourquoi ». Dès lors la pensée humaine se scinde en deux branches : l’une, qualifiable de rationnelle et scientifique, qui développe les constats des réalités perceptibles et finit parfois par découvrir les logiques de certaines interactions (par exemple la chaleur du feu qui fait fondre le métal, durcir la terre ou rend comestibles des aliments), l’autre, irrationnelle, qui recourt largement à un imaginaire qui se consolide en croyances, lesquelles vont donner lieu à des  rites religieux et/ou magiques de tentative reproduction de l’enchainement logique de causes (supposées) et des effets (réels) : sacrifices humains ou animaux, danses sacrées, offrandes etc. Ces deux formes de pensée ont longtemps coexisté avec une tendance affirmée d’une prédominance de l’irrationnel toujours considéré comme le recours ultime lorsque la logique ordinaire de la rationalité semble ne plus fonctionner : par exemple, lorsqu’une conjoncture climatique compromet les récoltes et menace de famine, on se tourne vers les dieux ou Dieu, ou bien on en appelle au sorcier.

Avec la Renaissance la pensée scientifique s’émancipe et atteindra sa pleine autonomie au 19ème siècle où s’affirmera même un opposition frontale à la pensée religieuse au travers du scientisme athée. Mais cela n’empêchera pas les vieux réflexes irrationnels de réapparaitre à l’occasion. Lors de l’incendie de Notre-Dame de Paris en 2019, pendant que les pompiers luttaient contre le sinistre, des croyants se sont spontanément réunis pour adresser leurs prières au Ciel. Et combien ont sans doute été plus inquiets pour La couronne d’épine que pour l’orgue de la cathédrale ! Si l’édifice a été sauvé en quelques heures et restauré en cinq ans, on en a su gré aux sapeurs-pompiers et aux artisans des métiers, mais on n’a pas manqué non plus de prononcer de nombreuses fois le mot « miracle » comme si toute ces femmes et tous ces hommes n’avaient été que les bras de la Providence.

Bien que l’irrationnel religieux et magique ait donc continué de planer en permanence sur la pensée humaine, les philosophie et les idéologies, qu’elles l’aient intégrée ou non dans le fondement de leurs doctrines, se sont avant tout attachées à présenter des modèles de vie individuels ou collectifs ayant vocation à s’inscrire dans les réalités du quotidien.

Les modalités proposées sont très variées, mais toutes reposent sur un idéal à atteindre par une organisation de la société et l’adhésion à des valeurs morales. Les spéculations philosophiques et idéologiques ont ainsi contribué à structurer, parfois très solidement et durablement, les civilisations émergeant des approches primitives. L’apparition de l’écriture a incontestablement joué un rôle majeur dans cette évolution, à la fois comme support d’une sacralisation de la parole, et comme véhicule de sa transmission. A cet égard, nous vous invitons à méditer sur le fait que toute démarche de lecture expose à l’emprise de l’écrit : c’est le fondement-même de la propagande et on en voit plus que jamais les enjeux depuis que l’apparition des réseaux sociaux et de l’IA ont élargi et amplifié les modalités de formation de ce qu’on appelle fallacieusement l’opinion publique, car celle-ci n’est pas une sorte de synthèse de pensée individuelles autonomes, mais le produit de l’influence  rassembleuse  du « prêt à penser » sur des pensées individuelles en quête de ralliement à des idées en résonnance avec ce qu’on pourrait appeler leurs « pulsions mentales » et qu’elles présument « porteuses ». Ainsi se referme le piège de l’emprise des idées sur l’individu en déficit de culture et en abandon d’esprit critique.



Emprise et morale d’esclave

Après les développements qui précèdent, on s’attend sans doute à ce que nous imputions aux religions, aux philosophies et aux idéologies, l’entière responsabilité de l’emprise qu’elles exercent sur les individus. Or, il n’en sera rien, car nous considérons que le premier responsable des emprises qui font obstacle à la liberté de sa pensée et de ses actes est l’individu lui-même. En cela nous rejoignons ce qu’a pu dire Jean-Paul Sartre des « salauds » et des « lâches » dont la mauvaise foi se révèle dans le déni de leur libre-arbitre face aux choix possibles dans la contingence existentielle, comme s’il ignoraient les options qu’ils n’ont pas retenues (« je ne savais pas ») ou comme si de puissants déterminismes, plus ou moins irrationnels, les avaient forcés à la passivité (« je ne pouvais pas faire autrement », « c’était plus fort que moi », « on ne m’a pas laissé le choix », « j’étais jeune », « elle m’a fait perdre la tête » etc.). Car en définitive, pour le salaud et le lâche c’est toujours la faute de l’autre ou des autres. Il est même scandaleux que l’on puisse considérer comme circonstance atténuante d’un crime, la passion, la pression psychologique, l’obéissance à une autorité supérieure ou toute autre cause prétendue étrangère à la volonté du coupable.

Deux raisons motivent notre sévérité :

  1. Il existe des pensées philosophiques (par exemple l’épicurisme, le stoïcisme) et des voies de réalisation spirituelles (par exemple le bouddhisme) qui sont susceptibles de conduire au détachement, donc à une authentique libération des emprises, si on accepte les renoncements qu’elles impliquent.
  2. Il y a des individus qui ont réussi à échapper aux emprises par la pratique d’une ascèse personnelle et l’exercice constant de leur esprit critique et de leur libre-arbitre. Ainsi ont-ils été conduits à une réelle maîtrise de leur pensée et de leur action. S’ils l’ont pu en tant qu’humains, tout humain le peut.

Evidemment il s’agit là de démarches exigeantes qu’on n’entreprend pas sans efforts et sacrifices. Il y a un prix à payer pour parvenir au lâcher-prise ; mais le coût de ce prix, fait de privations et de ruptures, apparait à postériori bien relatif quand on a acquis la sereine maîtrise de soi-même.

Il est certain que sans que cela implique la renonciation à toute sociabilité, la forme qu’elle prend chez celui qui a lâché prise, ne répond plus à ses composantes ordinaires : c’est une sociabilité « à la carte » telle qu’évoquée dans notre article L’autisme heureux. C’est précisément le privilège que se refusent les « salauds » et les « lâches » en choisissant la facilité grégaire de la soumission à la normalité dominante qui rassure leur veulerie. Ce faisant, ils adoptent la morale d’esclave de tous les soumis : l’acceptation de l’asservissement en échange de l’illusoire confort social du gite et du couvert octroyé par les maîtres. C’est ainsi qu’on a domestiqué les animaux, garantissant au chien sa pâtée, au cheval son fourrage, condition complétée par ce qu’il faut de bâton et de fouet pour juguler tout réveil de dignité.

Le parcours type du « salaud » est rigoureusement encadré : d’abord le formatage scolaire du mental, longtemps complété chez nous par l’apprentissage des armes et sa rude discipline. Ensuite l’accouplement et la procréation, l’un justifiant l’autre, dans le cadre légalement et moralement réglementé du mariage qui impose fidélité du cœur et du corps, c’est-à-dire la castration psychologique et la frustration sexuelle. Dans le même temps, exercice d’une activité productive socialement acceptable et loisirs massifiés (sur le modèle antique des jeux du cirque) évitant le risque de choix individuels potentiellement « libératoires », donc ferments de tous les risques de rébellion. Cet encadrement institutionnel est complété par tout un arsenal technologique fallacieusement facilitateur et ludique : voyez comment on tient les chiens en laisse et les esclaves humains par les écrans de leurs smartphones qu’ils ne quittent pas des mains et des yeux.

Aujourd’hui, point de chaines et de fers, point de chiourmes ; la toute-puissance des maîtres des emprises n’a plus besoin de contraindre les corps parce qu’en leur apprenant à lire et à écrire, elle a formaté les esprits et les a modélisés conformément à ce qu’elle attend d’eux. Naguère encore elle réprimait pénalement les marginaux qui tentaient de se soustraire à la normalité ; maintenant elle les normalise en feignant de reconnaître leur droit à la différence : un bel exemple est le piège du « mariage pour tous » qui s’est refermé sur les gays et les lesbiennes, devenus des couples « comme les autres » !



La voie du détachement

Si la majorité des humains appartient au troupeau des « salauds » et des « lâches », il y a toujours eu des rebelles. Tantôt on a sauvagement réprimé leur révolte, comme pour les Communards, ces dangereux libertaires voulant substituer la mutualité horizontale à l’ordre vertical ; tantôt on a mis en œuvre l’enfumage soft masquant la menaçante profondeur de leur sape sous le lyrisme hypocrite d’une sanctification poétique comme ce fut le cas pour Rimbaud dont on a transformé la férocité d’impitoyable poète-pirate en pâtée pour précieu(x)ses ridicules et qu’on a tenté de panthéoniser, de surcroit avec Verlaine pour complaire aux LGBT.

Si la rébellion rimbaldienne a mieux résisté au temps que l’insurrection communarde, c’est qu’elle n’a pas choisi d’attaquer la bête immonde des emprises sur son terrain de prédilection, celui de la politique et des armes où se sont brisés les assauts des attaques frontales avec les armes de l’ennemi. On pourrait résumer cette dramaturgie en quatre mots : « subversion oui, révolution non ». 

On aura évidemment compris que si l’emprise est d’abord imputable à l’individu qui la subit parce qu’il l’accepte, le lâcher-prise qui en libère ne peut être d’abord qu’un acte individuel. Cette affirmation peut paraitre banale. Cependant, elle renvoie à un principe qu’un pseudo-progressisme a fait oublier et qui est tout simplement le libre-arbitre de l’humain qui le rend responsable de ses choix et de ses actes. L’appel à l’éveil de la « conscience universelle » cher à la seconde moitié du 20ème siècle et l’actuel courant porteur du wokisme, tablent sur la mauvaise conscience, ce que nous ne saurions nous-mêmes blâmer, s’agissant de la cible largement majoritaire des « salauds » et des « lâches ». Mais en visant des pensées et des comportements collectifs, et en plaçant leur propre combat dans un cadre collectif, ces activismes moraux collectivisent en quelque sorte la responsabilité des situations qu’ils dénoncent. Or, une responsabilité collective se ramène pour chacun à la responsabilité des autres qu’on peut d’ailleurs à bon compte transférer sur des entités telles que les Etats, des organisations, des entreprises, les institutions cultuelles et autres. Des mode de pseudo « engagement fort » très prisés des « salauds » et des « lâches » pour se donner bonne conscience, sont la signature de pétitions et/ou de chèques, voire leur présence dans des défilés ou, pour les célébrités, à leur participation à des manifestation publiques comme les galas dits « de soutien » à la cause du jour. Autant de postures qui se veulent honorables et leur valent l’admiration reconnaissante des imbéciles, mais qui ne les empêchent pas de continuer à se vautrer avec délices dans un consumérisme abject. On peut d’ailleurs présumer que lesdites postures sont le plus souvent conseillées par leurs conseillers en communication pour soigner leur image. Ainsi a-t-on vu récemment un couple princier se précipiter à Los Angeles en flammes, non sans qu’on ait alerté les chaines de télévision. Une star championne de l’écologisme économiseur d’énergie, a préféré, elle, prendre ses distances avec l’incendie, en s’embarquant avec sa famille dans un jet privé. Au moment où ces lignes sont écrites, les médias publient la liste des acteurs, chanteurs et autres « peoples » qui « se mobilisent » pour venir en aide aux sinistrés ! Depuis le début de la catastrophe on n’entend parler que de stars du showbiz, que ce soit comme victimes ou comme vedettes du protocole compassionnel. On eût aimé entendre aussi les voix des milliers d’anonymes qui, eux, ont réellement tout perdu, n’ayant pas un autre logement en Floride ou sur Central Park.

Mais la colère et le mépris ne doivent pas nous écarter du sujet de cet article qui n’est pas le recensement des emprises exercées ou subies (3), mais l’échappatoire salutaire du lâcher-prise qui ouvre la voie du détachement.

On peut, sans ironie, affirmer : vaste sujet ! Car si l’on ne réduit pas le lâcher-prise à une technique de relaxation, il faut bien le considérer comme un « art de vivre » touchant à tous les aspects de l’existence individuelle et de sa mise en situation dans l’existence collective que nous appellerons « existence sociétale ». Le lâcher-prise va donc s’appuyer sur des fondamentaux personnels et composer avec un environnement global.

Les fondamentaux personnels

Un des plus essentiels de ces fondamentaux personnels est évidemment l’esprit critique qui met à l’abri du risque facile d’emprise sur la pensée que facilitent aujourd’hui plus que jamais les technologies de la communication. Cependant, à supposer que votre décision de lâcher prise soit prise à l’instant, le réveil de l’esprit critique que vous allez activer, va vous permettre d’adopter un attitude de vigilance et de réflexion face aux informations qui vous sont récemment parvenues et celles qui vont vous parvenir à partir de maintenant. Mais qu’en est-il de toutes les influences, de tous les formatages qui ont conditionné votre pensée depuis au moins votre âge de raison ? Il vous faut donc accomplir un important travail d’introspection rétroactive susceptible de vous permettre de prendre conscience de la part des préjugés et de la désinformation dans les acquis culturels que vous n’avez vraisemblablement pas passés au crible d’une analyse cartésienne rigoureuse. Cela concerne aussi les opinions que vous avez fait vôtres et qui, sans relever nécessairement des préjugés ou de la désinformation, sont celles de tiers que vous avez adoptées par respect, sympathie ou confiance à l’égard desdits tiers ou tout simplement parce qu’elles vous « plaisaient », flattant peut-être vos propres préjugés.

L’invention de l’imprimerie et surtout l’apparition des premières « gazettes » a offert le « prêt à penser » dispensant du processus plus complexe et plus subtil de la formation, souvent difficile, de l’opinion personnelle. Les organes de presse, puis les stations de radio, puis les chaines de télévision et maintenant Internet et les réseaux sociaux, sont devenus les supports et les auxiliaires de la puissance de propagation des idéologies auxquelles d’habilles rhétoriques ou même le mensonge parviennent à rallier lecteurs, auditeurs, téléspectateurs et internautes qui croient « se faire une opinion » alors qu’on « fait leur opinion ». Inutile d’aller chercher dans l’histoire des exemples tels que celui de Goebbels, le très talentueux propagandiste du IIème Reich : les remous provoqués en ce moment par l’activisme idéologique d’Elon Musk et de son réseau X (ex Twitter), l’influence de la propagande imputée à la Russie de Poutine, ou celle prêtée au réseau chinois TikTok, témoignent de l’actualité d’une guerre des emprises faiseuses d’opinion.

Il est sans doute utile et peut-être nécessaire de s’informer ; mais est-il indispensable d’avoir une opinion sur tout ? Un certain terrorisme intellectuel s’efforce de nous en convaincre alors qu’il est légitime de ne pas avoir d’opinion lorsqu’il est impossible de s’en faire une librement. Il est assez rassurant que les divers sondages et enquêtes d’opinion font toujours apparaitre le pourcentage des « sans opinion » : c’est l’indice que le totalitarisme ne s’est pas encore imposé dans la communication ; pour combien de temps ?

Si le réveil de l’esprit critique relève d’une rééducation du mental, tout aussi importante est la restauration sensorielle qui consiste à redonner aux sens la place qui leur revient dans l’équilibre global de la personne, suivant la vieille maxime attribuée à Juvénal : mens sana in corpore Sano.

Actuellement, les sens sont particulièrement mis à mal dans la sphère sociétale. Dans les activités domestiques, dans l’emploi, dans les loisirs, dans tous les domaine du quotidien, les sens subissent pollutions et agressions.

Nous avons déjà évoqué le débit accéléré de la parole, les rythmes musicaux visant à l’hystérie, les projections hallucinatoires de lumières et d’images « affolant » la rétine, l’impératif de l’audition et de la lecture rapides. Il n’est pas un domaine sensitif qui échappe au détraquage ; la nutrition elle-même, ce qu’on appelait les « repas » ou la « restauration », a vu apparaître le concept de « fast flood ». Quant à la fonction olfactive, il semble qu’on ait voulu, sous prétexte d’hygiène ou de pseudo purification de l’atmosphère (par ailleurs hyper polluée par l’industrie !) diaboliser les odeurs et les chasser de l’environnement humain. Climatisation et réfrigération ont aseptisé les espaces qu’on appelle encore (cyniquement ?) « de vie ». Tel grand restaurateur au célèbre chapeau passe pour en travailler parce qu’il s’attache, à contrecourant de cette asepsie, à libérer des odeurs naturelles dans son établissement. Chez la plupart de ses confrères, on épargne soigneusement aux convives le désagrément des « odeurs de cuisines ». C’est le règne de « l’odeur du propre » qui au mieux est l’absence de toute odeur, au pire celle d’arômes de synthèse du genre pomme verte ou pinède. Est-ce vraiment l’idéal pour accompagner une blanquette de veau ? Mais il est vrai que ce plat ringard n’a plus sa place sur les cartes qui se respectent.

Trêve d’amertume sarcastique : nous affirmons que la restauration des facultés sensorielles participe à la réalisation effective du lâcher-prise, parce qu’il s’agit d’une réappropriation de son corps par l’individu. La disparition, la pollution ou la mutilation des perceptions sensitives, porte atteinte chez les êtres à la conscience de leur situation existentielle, diminuant considérablement leur réactivité aux emprises de tous ordres exercées par les agents de leur asservissement. Tel se profile un totalitarisme « soft » pour lequel les nouvelles technologies de la communication, en particulier, sont l’outil de prédilection. Supprimez la conscience sensitive d’être, et il n’y a plus d’être conscient !

Ce terrible constat nous conduit donc tout naturellement à évoquer les fondamentaux extérieurs à l’individu mais sur lesquels il peut assurer sa maîtrise.

Lieux et liens : les fondamentaux environnementaux

Vers la fin du 20ème siècle et le début du 21ème siècle, un maire de ville moyenne nous rapportait qu’il avait assisté avec d’autres édiles de plusieurs pays de l’UE, à une réunion d’information où des eurocrates distingués avaient esquissé ce que serait le territoire de l’espace communautaire à l’horizon de la moitié du nouveau siècle : accélération de la désertification rurale et disparition des anciens modes de production agricole, concentration urbaine dans des agglomération dont la taille critique se situerait entre 200000 et 500000 habitants, liaison ferroviaires rapides et réseau autoroutier reliant les dites agglomérations, diminution du nombre de régions et augmentation de leur taille, réduction significative des dessertes locales, développement des liaisons transfrontalières tendant à accompagner une plus grande intégration à un espace européen fédéral etc. Notre interlocuteur avait compris quel décalage existait entre les discours intra-nationaux hypocrites de politiques parfaitement informés de ces perspectives mais évoquant encore les vertus de la province et la défense de la paysannerie, et la réalité d’une déconstruction progressive de la territorialité traditionnelle, les transformation n’étant pas la résultante de libres choix induisant des mouvements naturels, mais la conséquence de situations de fait dissuadant la sédentarisation hors des grandes villes : suppressions d’écoles, suppression de lignes de chemin de fer, fermetures de centres de production. Ceux qui avaient misé sur les autoroutes pour désenclaver leurs fiefs s’étaient illusionnés : les autoroutes ne sont pas faites pour qu’on en sorte à la prochaine sortie parce qu’un panneau vous signale un monument ou un site remarquables, mais pour atteindre plus vite une destination « utile ».

Il est clair que les grands centres urbains multiplient et concentrent les risques d’emprises. Celles-ci sont d’autant plus fortes que la résonnance médiatique amplifie leur attractivité, créant une véritable dépendance qu’on pourrait qualifier d’addiction urbaine. En dépit des galères quotidiennes que vivent les franciliens, la plupart ne quitteraient pour rien au monde l’univers concentrationnaire dont Paris est l’épicentre ; on a pu le constater avec les réactions d’opposition et les manifestation de quasi désespoir lors des tentatives de délocalisation qui ne sont d’ailleurs plus à l’ordre du jour (4).

C’est donc une évidence qu’un environnement hors de la sururbanisation facilite le lâcher-prise ; d’une part avec une plus grande facilité de contact avec la vie animale et végétale et la possibilité d’immersion en pleine nature favorable au repos du mental et à la prise de recul, d’autre part avec une moindre sollicitation des vecteurs et agents d’emprise générateurs d’addictions.

Mais l’environnement ce sont aussi les autres. Le lâcher-prise et le détachement auquel il conduit n’impliquent absolument pas l’absence de lien social. Laissons aux mystiques la vie d’anachorète ; l’homme conscient ne fuit pas le monde, il y aménage sa place. La question des « autres » que beaucoup posent mal parce qu’ils n’ont rien compris à l’aphorisme de Sartre (L’enfer c’est les autres), ne saurait se réduire à l’alternative absurde « les autres ou personne ». La vraie question est : quelle nature et quelle qualité de lien vais-je établir avec les autres ?

Poser cette question c’est aborder l’altérité dans les perspectives d’une « philosophie de la rencontre » où rencontrer l’autre/les autres c’est rencontrer le monde dans la réciprocité des regards qui disent à chacun ce qu’il est aux yeux de l’autre. A cet égard nous ne pouvons mieux faire que de recommander la lecture de l’ouvrage de Martin Buber (1878-1965) ich und du (Je et tu).

Nous nous bornerons ici à affirmer tout simplement que les autres deviennent effectivement un enfer (et nous pour eux) lorsque le lien qui s’établit se ramène à la réciprocité d’un désir d’emprise qui pervertit la relation au sens propre de la « manipulation », consciente ou non (pulsion manipulatrice) : mensonge de l’apparence, faux-semblants, jugements, rivalité etc.

Celui qui s’engage sur la voie du détachement établira tout naturellement des liens fondés sur un double lâcher-prise, personnel et sociétal, garantissant un échange pacifié et paritaire qui intègrera les différences comme les ressemblances et pourra, le cas échéant, prendre une forme créative dans un (des) projet(s) commun(s).

Le détachement, une marche sereine et joyeuse vers la mort

Nous concédons qu’il est difficile, dans le contexte sociétal du monde occidental contemporain en particulier, de ne pas ressentir sans réticence, voire sans un réflexe de rejet, l’évocation du lâcher-prise et du détachement telle que nous venons de le faire. Surtout lorsque, de surcroit on peut se sentir visé par les termes de « salauds » et de « lâches » qui pour être un emprunt aux concepts sartriens que cette paternité permet de qualifier de philosophiques, n’en sont pas moins stigmatisants. La démarche que vous proposez, nous direz-vous peut-être, est triste, sans saveur et, en fin de compte, proche d’une forme de nihilisme qui n’assume pas sa réalité destructrice.

Nous respecterons votre droit à réagir et penser ainsi, mais nous ne nous engagerons pas dans un vain débat, car le développement argumentaire forcené et le prosélytisme sont incompatibles avec le lâcher-prise. Nous tenons simplement à témoigner du fait que notre démarche qu’on peut réprouver, a conduit beaucoup de ceux qui l’ont adoptée, en particulier au terme de leur existence -car cela n’est pas l’affaire d’un instant magique, mais le cheminement de toute une vie- à connaitre joie et sérénité.

Affirmation absurde ! Paradoxe provocateur ! les huées nous accablent… Pourtant on admet plus facilement la béatitude d’un mystique reclus qui atteint l’extase. Mais ne réfutons pas l’absurde, et même plaçons-le à la base de notre approche comme l’a fait Albert Camus dans Le mythe de Sisyphe. Pour notre part nous dirons simplement qu’il faut se situer à l’instant de la mort, conclusion de toute vie, pour réaliser à quel point, à ce moment-là, au seuil de l’éternité ou du néant, apparait l’absurdité de l’emprise et de l’accumulation. Oui, l’emprise et la pulsion d’accaparement, d’accumulation, loin de donner un sens à la vie, en nourrissent l’absurdité que révèle la mort ! Le lâcher-prise et le détachement révèlent, eux, la révolte et le refus qu’ils expriment de tomber dans le piège des luttes vaines. Ils nous permettent de cultiver avec bonheur et sans nous épuiser, le modeste jardin qui suffit à satisfaire nos appétits frugaux.



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NOTES





  1. L’histoire de l’lA commence dès la haute-Antiquité, en Egypte, au Moyen-Orient, en Chine, en Grèce. Elle relève alors de mythes évoquant des êtres fabuleux non humains dotés d’une pensée autonome ou des automates anthropomorphes. Ces mythes se perpétueront au Moyen-Age, à la fois dans la légende et dans la construction d’automates animés par de savants mouvements d’horlogerie, et ils intégreront au 19ème siècle les récits de fiction (par exemple Frankenstein, publié en 1818), tandis qu’apparaissaient les premières machines à calculer automatisées, ancêtres de la cybernétique. Ce n’est qu’au 20ème siècle qu’on emploiera officiellement l’expression « Intelligence Artificielle » et qu’avec le bond en avant des technologies du numérique elle sera perçue comme chargée de promesses et de menaces.
  2. Le pari de Pascal est un pari sophiste qui présente un raisonnement juste sur un postulat de départ totalement faux, à savoir que la foi pourrait faire l’objet d’un choix rationnel.
  3. Il peut être intéressant de se livrer introspectivement à un tel recensement personnel qui est de nature à révéler la quantité inimaginable a priori d’emprises que l’on subie ou qu’on exerce, souvent sans en avoir conscience.
  4. Le mouvement de « délocalisations » qu’a voulu déclencher la Première Ministre Edith Cresson en 1991 et qui est demeuré largement sans suite après avoir rencontré de vives critiques et de fortes oppositions, s’inscrit dans un débat récurent en France depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale. Alors que le pays est profondément marqué par le centralisme absolutiste de l’Ancien Régime qui constitue une dérive progressive de la féodalité, qui a atteint son apogée avec Louis XIV (L’Etat c’est moi !) et que le Ier Empire a repris à son compte, le pétainisme vichyssois a tenté, au nom de la primauté de la ruralité (« la terre ne ment pas »), sinon de décentraliser la France, au moins de la déconcentrer en s’appuyant sur les corps politiques et sociaux intermédiaires et en faisant renaitre les anciennes provinces.

C’est un penseur issu de l’intelligentzia vichyssoise, Jean-François Gravier, qui, en publiant en 1947 un ouvrage remarquablement documenté et argumenté, a relancé le débat dans un contexte devenu « républicain » : Paris et le désert français (Flammarion). La gauche revenue au pouvoir en 1981 après presqu’un quart de siècle de monopole gaulliste, a fait de la décentralisation un élément majeur de son programme, la présentant comme un gage de démocratie. Une partie du pouvoir local jusqu’ici détenu par les préfets représentant l’Etat dans les régions (créées en 1956) et les départements, est dévolue désormais aux assemblées territoriales, au risque de voir apparaitre de « grands féodaux ». Mais la France est difficile à décentraliser effectivement car outre une forte culture centralisatrice, l’aménagement de son territoire est un modèle centralisateur comme en témoignent sur les cartes de géographie les tracés de ses réseaux ferrés et routiers. Les grandes liaisons interrégionales sont alors inexistantes. A l’issue d’un premier quart du 21ème siècle, l’asphyxie parisienne et l’hypertrophie francilienne sont toujours des réalités témoignant de la difficulté du pays à modifier sa morphologie. Au demeurant, il faut aussi remarquer que les conceptions de la décentralisation ont toujours été marquées par le « parisianisme » de leur vision et le peu de prise en compte des réalités de la géographie physique et de l’histoire, comme en a encore témoigné le redécoupage régional de 2014 (gouvernement Vals) faisant passer le nombre des régions de 22 à 13.