Des géants ont-ils existé dans l’histoire de l’humanité et non pas seulement dans les récits légendaires ? Encore doit-on considérer que les légendes sont souvent ce qui reste du souvenir de réalités, transmis de générations en générations sur un temps long qui ne favorise pas la fidélité au récit initial.
L’intérêt de la question nous est apparu à la lecture d’un ouvrage paru en 1954 : L’Atlantide et le règne des géants, ayant pour auteur Denis Saurat et pour éditeur Denoël. Il a été réédité ensuite par J’ai lu dans sa collection L’aventure mystérieuse, bien connue des amateurs de pseudo-ésotérisme sensationnaliste, ce qui n’aurait pas dû plaider en sa faveur, a priori, auprès de lecteurs avertis contre toutes les « balivernes » véhiculées par ladite collection.
Ce qui nous a convaincu d’extraire cet ouvrage du lot abondant d’une paralittérature déroulant en ribambelle les délires soucoupistes, prétendument alchimistes ou magiques ou soi-disant inspirés par un hindouisme ou un bouddhisme mal digérés (à des années lumières intellectuelles d’un Guénon !), flattant le goût pour ce qu’on appelle aujourd’hui le complotisme, c’est la personnalité de l’auteur.
En effet, Denis Saurat n’était ni un journaliste issu de la presse dite « à sensation » (comme, par exemple, l’inénarrable Robert Charroux), ni un de ces autodidactes ignorantins s’étant érigés en « spécialistes » du « mystérieux » (comme le conducteur de bus Guy Tarade) (1). Né en 1890, Denis Saurat poursuit de brillantes études universitaires à la Sorbonne, à Lille, Londres et Glasgow. En 1919 il est reçu premier à l’agrégation d’Anglais et en 1921 il soutient une thèse sur la pensée de Milton. Il fut directeur de l’institut français de Londres et professeur au King’s collège. En 1940 il rejoint De Gaulle qui le charge en 1941 d’une mission en Afrique équatoriale française. Ce n’est pas le parcours d’un fantaisiste !
Denis Saurat est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages, en anglais et en français, dont la variété thématique témoigne d’une curiosité d’esprit et d’une capacité intellectuelle exceptionnelles qui expliquent sans doute ses « explorations » en marge d’un strict académisme universitaire ; par exemple ses études sur Victor Hugo et l’occultisme ou l’énigme historique des géants.
Traces géologiques et vestiges monumentaux
Au début de son ouvrage, Denis Saurat nous amène à Tiahuanaco, haut lieu de l’archéologie andine, à 15 km au sud du lac Titicaca, au nord de la Bolivie. Il écrit ceci : « Il y a quelque trois cent mille ans, une civilisation très développée, et très différente des nôtres était établie dans les Andes, à une hauteur de 3000 ou 4000 mètres au-dessus de l’océan Pacifique actuel. Mais l’océan d’alors montait à cette altitude sur les montagnes, et la civilisation de Tiahuanaco se situait au bord de la mer ».
Indépendamment de ce que Denis Saurat en infère ensuite, des traces géologiques, sous forme de dépôts sédimentaires, confirment la présence de la mer à cette altitude. Il s’agit d’une ligne de sédiments marins s’étendant sur environ 700 kilomètres depuis le lac Umayo au Pérou, jusqu’au sud du lac Coipusa, au sud de la Bolivie, à l’est de la frontière avec le Chili. La courbure de cette ligne montre qu’elle n’était pas horizontale par rapport à l’horizon, ce qui aura son importance dans les conclusions de Denis Saurat.
En ce qui concerne les vestiges monumentaux de Tiahuanaco, ce sont ceux de constructions cyclopéennes : blocs de grès de plus de 10 tonnes pour les fondations, monolithe de 3 mètres de haut de près de 9 tonnes creusé de mortaises dont on n’a pu découvrir la destination, portique de trois mètres de haut et 4 mètres de large d’un poids de 10 tonnes, dizaines de statues géantes dont l’une, sculptée dans une seule pierre de 20 tonnes, a 8 mètres de haut.
Depuis longtemps, quand elle ne comprend pas quelque chose, l’humanité s’est accommodée de l’explication par le miracle ou la magie. Les dieux et les sorcier(e)s font toujours recette, mais les grandes inventions des 19ème et 20ème siècles ont stimulé les imaginations et fait déferler la vague soucoupiste qu’on appelle maintenant ufologie, et les Extraterrestres sont devenu pour beaucoup de Terriens la clé universelle du décryptage des mystères et énigmes du passé et du présent.
Denis Saurat, esprit rationnel, a choisi, lui, la voie de l’hypothèse scientifique qui, même lorsqu’elle n’est pas orthodoxe repose sur la logique et présente une certaine cohérence. L’hypothèse qu’il présente est étayée par une théorie que la communauté scientifique ne prend pas au sérieux, mais qui, selon les propres terme de Saurat « s’est révélée d’une puissance explicative rare ».
Les lunes d’Hoerbiger (2)
Hans Hoerbiger (1860-1931) expose une histoire de la Terre qu’on peut résumer ainsi : à chacune des quatre ères qui constituent des étapes du développement terrestre marquées par des caractères propres aux trois règnes (minéral, végétal, animal), apparaissant à leur début et disparaissant à leur fin, a correspondu la capture d’un satellite (une lune) dont l’orbite s’est progressivement rapprochée de la Terre jusqu’à une proximité maximale entrainant sa chute sur notre planète. Ce sont les bouleversements entrainés par ces chutes qui expliquent, selon lui, les changements d’ère successifs.
Après chaque chute correspond une période sans lune, puis la capture d’un nouveau satellite et son rapprochement de la Terre qui, à partir d’une certaine distance, exerce une attraction provoquant une diminution de la pesanteur terrestre et favorise ainsi le gigantisme.
C’est ainsi qu’au cours de l’ère primaire sont apparu les végétaux géants dont l’enfouissement provoqué par la chute de la lune à la fin de l’ère a donné naissance aux énergies fossiles.
Au cours de l’ère secondaire (mésozoïque), ce sont les animaux géants (dinosaures, oiseaux et insectes géants) victimes ensuite de la chute de la deuxième lune et de l’aggravation consécutive de la pesanteur terrestre.
Durant la période de gigantisme de l’ère tertiaire apparaissent les premiers hommes, et ce sont des géants. Puis après la chute de la troisième lune et le cataclysme qu’elle provoqua (le Déluge ?), les géants survivants s’affaiblirent et l’espèce Sapiens, de plus petite taille et résistante aux nouvelles conditions climatiques se développa durant le quaternaire, bénéficiant de l’héritage des grands ancêtres, mais sans les avantages d’une gravitation allégée. On peut, par ailleurs, s’interroger sur les néandertaliens qui ont fini par disparaitre : de constitution plus robuste que Sapiens et avec un volume crânien plus important, n’auraient-ils pu être une branche dégénérée des anciens géants ?
Bien entendu, cette théorie bouleverse les estimations habituellement retenues pour dater l’origine de l’humanité ainsi que le niveau de civilisation des premiers hommes ; mais la science n’en est pas à ses premières remises en question et les découvertes les plus récentes tendent d’ailleurs à reculer de plus en plus cette datation. La tendance à dogmatiser les acquis provisoires qui a trop prévalu dans différentes disciplines, notamment l’archéologie, l’anthropoplogie et l’ethnologie, a retardé les avancées dans leurs sphères de compétence, les chercheurs hésitant à se mettre à dos les « papes » de ces domaines qui pourraient d’ailleurs tirer profit d’une relecture de Bachelard (sur ce thème, voir notre article Bachelard, la pensée libérée).
La confirmation par la Bible
L’incapacité à concevoir des interprétations ne s’inscrivant pas dans un entendement compatible avec notre contexte actuel d’existence, et les préjugés académiques n’acceptant que ce qui est conforme à cette compatibilité, ont imputé à l’ignorance, à la naïveté, à l’imagination, ou, au mieux, au symbolisme de leur signification, les termes du récit biblique. Ainsi en est-il des durées de vie des patriarches antédiluviens et postdiluviens.
De Adam (930 ans) à Lamek (777 ans) avec le record de Mathusalem (969 ans) ; puis de Noé (950 ans) à Réù (5ème descendant de Sem, 239 ans), ces durées sont pourtant significatives d’une concordance avec la théorie d’Hoerbiger. En effet, il est logique que les durées de vie d’êtres dont les organismes bénéficiaient d’une très faible gravitation terrestre, soit plus longues que celle que nous avons connu par la suite. Il est d’ailleurs flagrant qu’après une durée moyenne de 775 ans pour les patriarches antédiluviens, la moyenne tombe à 402 pour les six premiers patriarches postdiluviens. La baisse continue puisqu’ensuite on voit Abraham vivre « seulement » 175 ans, Isaac 185 ans, Joseph (fils de Jacob)110 ans, Moïse 120 ans. Il est probable que les tailles ont suivi la même tendance, se rapprochant progressivement de la taille moyenne de Sapiens en Europe il y a 5000 ans : 1,65 mètre, tandis qu’à la même époque vivaient encore les derniers descendants de géants, comme le confirme la découverte récente en Chine (village de Jaojia dans la province du Shandong au sud-est du pays) d’un squelette de 1,90 m (pour mémoire, la taille moyenne actuelle des Chinois est de 1,72m à 18 ans).
Le début de la Genèse nous rapporte donc le passage du tertiaire au quaternaire et un ou deux millénaires de règne des géants dont subsisteront quelques individualités devenues « remarquables » : Goliath ou Samson. Dans d’autres civilisations on retrouve les mêmes traces de gigantisme, par exemple en Grèce avec les Titans (entre autres Cronos, Atlas, Prométhée), les dieux et demi-dieux (tel Héraclès).
L’architecture cyclopéenne : fin d’une énigme ?
Jusqu’à présent on n’a pas résolu l’énigme que pose cette architecture. Quelle ingénierie a permis la taille, le transport et l’assemblage, y compris en hauteur, de pierres pesant parfois plusieurs tonnes ? Toutes les modélisations envisagées n’ont jamais été probantes car elles se fondent sur les moyens présumés de l’époque où l’on situe la construction de ces monuments. Faute d’imagination on se rabat sur les explications habituelles, telle que le recourt à l’inépuisable main d’œuvre des esclaves. Or, la théorie d’Hoerbiger et le raisonnement de Denis Saurat apportent une réponse simple sans avoir besoin d’évoquer d’hypothétiques extraterrestres dont on peut se demander quelle motivation aurait incité ces envoyés de civilisations capable de voyager dans les galaxies, à ériger des murs de pierre sur la Terre ! Quoiqu’avec un niveau technologique bien inférieur, si nous devions construire sur la Lune ou sur Mars, le ferions nous en assemblant des pierres ? Absurde !
Il suffit donc de prendre en considération, d’une part la taille et la force de géants, d’autre part une très faible gravitation terrestre en raison de l’attraction lunaire rapprochée, pour comprendre comment ont pu être transportés et assemblés des blocs pesant « aujourd’hui » plusieurs tonnes mais dont le poids ne devait être alors qu’aux alentours d’un ou quelques quintaux, charge tout à fait à la portée de géants dont la taille pouvait être de trois ou quatre mètres ou plus.
Rappelons, en effet, que le satellite se serait trouvé à 5 ou 6 rayons terrestres (soit 31855 km ou 38226 km) de la Terre (contre 60 pour la Lune actuelle, soit 382260km). Il est facile de comprendre l’incidence d’une lune dix fois plus proche que la notre sur la gravitation et le niveau des mers (Tiahuanaco présente encore les vestiges d’installations portuaires maritimes). On comprendra tout aussi facilement que la chute du satellite, a eu non seulement les effets sismiques dus à son impact, mais a provoqué, par cessation de son attraction, le reflux des eaux vers les plaines.
Intellectuellement plus développés que nous !
Alors que dans l’Antiquité les penseurs admettaient que des civilisations plus avancées aient pu exister avant la leur (par exemple lorsque les Grecs évoquaient l’Atlantide), notre intelligentzia moderne, imprégnée d’un humanisme triomphaliste boosté par les progrès scientifique des 19ème et 20ème siècles, ne conçoit l’histoire de l’homme que se déroulant sur une courbe ascendante continue, depuis le singe, ancêtre présumé, jusqu’au spécimen d’aujourd’hui qu’on aime bien représenter sous la figure de l’emblématique Einstein. Elle porte donc un regard condescendant sur les civilisations qui l’ont précédée ou sur celles qui lui paraissent en être des survivances ayant été, jusqu’à la colonisation, privées du rayonnement intellectuel de l’homme blanc européen. Certes, cette vision a subi quelques correctifs depuis un demi-siècle, mais pour la plupart de nos contemporains la représentation de la préhistoire correspond encore au stéréotype de « l’homme des cavernes », de même que l’image de l’Africain est demeurée longtemps celle qu’on trouve dans Tintin au Congo, la BD de Hergé magnifiant dans les années 1930 l’œuvre colonisatrice de la Belgique. Tout au plus concède-t-on aux néanderthaliens et aux premiers Sapiens, un savoir-faire « étonnant » (sous-entendu : « pour des sauvages ») dans la réalisation de certains outils ou le sens artistique dont témoignent des bijoux ou de fresques découverts par les archéologues. L’étonnement est d’ailleurs justifié lorsqu’on constate, au travers d’autres découvertes, qu’à cette même époque lointaine (plusieurs centaines de milliers d’années avant notre ère), on a aussi trouvé des traces de cannibalisme ; comme c’est le cas, par exemple, sur le site de Tautavel (au nord-ouest de Perpignan) où l’examen d’ossements humains a révélé un travail de dépeçage présentant les mêmes caractéristiques que celui effectué sur les gros gibiers.
Néanmoins, il ne semble pas venir à l’esprit de nos intelligences supérieures actuelles, qu’au sein d’une même société aient pu, comme chez nous aujourd’hui, coexister des groupes aux statuts sociaux très différenciés. Robert Charroux, qui a fait parfois des observations pertinentes lorsqu’il n’était pas obnubilé par son obsession ufologiste, le faisait déjà remarquer en suggérant que les « hommes des cavernes » n’étaient peut-être que des marginaux de l’époque dont les traces ont été conservées parce que les grottes ont résisté au temps, alors que les autres habitats, plus précaires, avaient depuis longtemps totalement disparus. C’est un peu comme si dans quelques siècles on retrouvait des graffitis dans des bunkers désaffectés squattés par des SDF.
Pour ce qui est de la vision « pan-humaniste » d’un homme en progression constante, notons pour l’anecdote que des études a priori sérieuses, montrent que depuis quelques décennies on assiste à une baisse mondiale du QI des générations montantes, accompagnée d’un appauvrissement du langage.
En tout état de cause, les preuves d’un développement intellectuel de haut niveau des géants sont sous nos yeux. Dès le milieu du 20ème siècle, sur les portiques monolithiques de Tiahuanaco on a déchiffré les éléments d’un calendrier tout à fait remarquable et, pour tout dire, bien mieux conçu que le nôtre ! Commençant à un solstice et divisé en solstices et équinoxe, il comporte douze mois faisant figurer le mouvement apparent et le mouvement réel du satellite lunaire. Voilà pour les connaissances scientifiques. Dans l’ordre artistique de ce développement intellectuel, Denis Saura insiste sur la qualité exceptionnelle de la statuaire : le polissage, l’harmonie des proportions, le rendu des expressions, la stylisation des formes. Cela témoigne, dit-il, au-delà de l’intellectualité, d’un incontestable développement spirituel.
Cela signifie aussi, lorsqu’on observe l’évolution de Sapiens durant le quaternaire, qu’il y a eu régression avec la dégénérescence puis la disparition des géants. C’est d’autant plus certain que le souvenir de cet « âge d’or » de leur règne a été transmis, sur tous les continents, par le corpus légendaire et religieux des peuples qui les évoquent comme des instructeurs et des initiateurs dont ils rappellent par des simulacres dérisoires, le rôle fondateur. Un des plus fameux et plus représentatifs de ces géants fondateurs est incontestablement Gilgamesh. Son épopée a fait l’objet d’un récit gravé sur des tablettes qu’on a retrouvées à Ninive, dans la bibliothèque d’Assurbanipal. Bien qu’on puisse les dater d’environ -3000, il n’est pas certain que le texte ne soit pas antérieur, car cette légende s’est répandue bien au-delà de la Mésopotamie. Présenté comme fils d’une déesse et d’un mortel, Gilgamesh est roi d’Uruk où après des débuts tumultueux et un parcours tourmenté, il achève son règne dans la sagesse. Si on en a fait un héros légendaire en lui donnant une importance exceptionnelle, c’est bien qu’on en a gardé un souvenir positif. Il serait donc un de ces « bons géants », par contraste avec les « mauvais géants » tels Goliath ou Druon Antigon (la terreur de l’Escaut).
Sans qu’on puisse être affirmatifs sur ce point, il semblerait que les mauvais géants aient pu être le produit d’une dégénérescence de la race après la chute de la troisième lune. Encore physiquement très forts, mais considérablement affaiblis, ils auraient été combattus par les Sapiens ordinaires dont certains, comme David ou Silvius Balbo seraient même parvenus à les vaincre. Peut-être, aussi, y eut-il parmi eux des adeptes du cannibalisme, ce qui expliquerait les ogres légendaires.
Faute d’une approche scientifique plus ouverte qui ne rejetterait pas avec mépris la théorie d’Hoerbiger et admettrait que les légendes et les croyances religieuses (Bible comprise) ne sont pas le pur produit d’imaginations fumeuses, mais peuvent avoir leur source dans des réalités historiques, on abandonne la recherche des réponses à notre questionnement légitime sur l’inexpliqué, aux tenants de la théorie des « Anciens Astronautes », laquelle ne serait d’ailleurs pas si éloignée de la vérité si l’on substituait au terme « extraterrestres » celui de « géants ».
Présence du gigantisme dans la mémoire des peuples et des individus
Les géants ne sont-ils qu’un mythe véhiculé par les croyances religieuses et les légendes, ou bien auraient-ils réellement appartenu à des temps ancestraux en les marquant si considérablement de leur présence, que leur souvenir se serait inscrit durablement dans une mémoire atavique dont les récits religieux ou légendaires ne seraient pas la source mais la manifestation ?
En énonçant cette hypothèse, nous entrons incontestablement dans la sphère spéculative où nous aurons la prudence -et la décence intellectuelle- de ne pas avancer trop au-delà dudit énoncé. Répondons simplement de la même manière par d’autres hypothèses pour expliquer la transmission mémorielle.
D’abord, l’hypothèse de la réincarnation individuelle. Dans l’inconscient de contemporains qui auraient vécu une incarnation à l’époque de la présence présumée de géants, se trouverait enfouie leur souvenir. Ensuite, l’hypothèse de l’inconscient collectif dont le mécanisme ne relève pas de réincarnations, mais de la transmission générationnelle, la communication du contenu mémoriel s’opérant par une translation de type télépathique entre les cerveaux des adultes proches et celui de l’enfant, avant et après la naissance.
Aussi fantastiques que soient ces hypothèses, elles offrent une explication à la prégnance d’un mythe présent sur tous les continents et dont il n’est pas inintéressant d’évoquer le contexte psychologique. En effet, on peut constater que l’évocation des géants s’accompagne d’un sentiment de nostalgie comparable à celui que suscitent l’exil post-édénique où la fin de l’Age d’Or. Dans toutes les traditions, faisait remarquer René Guénon, on observe l’expression du souvenir de « quelque chose » qui a été perdu (la disparition de l’androgyne et la séparation des deux moitié de l’humain originel dans Le banquet de Platon, les mythes de rois perdus, la parole perdue de la franc Maçonnerie etc.) et aussi d’un cataclysme ayant bouleversé le cours de l’histoire humaine (les déluges, la disparition de l’Atlantide, par exemple). Dans certaines traditions, comme la judéo-chrétienne, perte et cataclysme s’accompagnent d’une culpabilisation (la perte du Paradis est une punition, le déluge est la conséquence de la mauvaise conduite des hommes). Nul doute que ces « implants mythiques et/ou religieux » dans l’esprit des humains dès leur enfance, ont une influence sur l’orientation de la pensée et des sentiments. Dans le cas des géants, quoique leur disparition ne s’accompagne pas d’une culpabilisation, le « Sapiens ordinaire », plus petit et moins fort que « ces héros du temps jadis, ces hommes fameux » (Gén. 6, 4) a pu développer un complexe d’infériorité compensé par la conviction d’une supériorité de l’esprit évoquée par Hugo : « De voir d’affreux géants très bêtes Vaincu par des nains plein d’esprit ». C’est sans doute oublier (volontairement) que ces géants « très bêtes » étaient les descendants dégénérés du quaternaire des grands ancêtres du tertiaire dont nous avons vu les témoignages de leur supériorité intellectuelle. Est-ce ce complexe d’infériorité qui a constamment inspiré aux hommes l’érection de monuments dont la taille et les proportions dépassent largement les dimensions utilitaires ? On pourrait appeler cela « la pulsion babélienne ». Disproportions aussi dans certaines représentations du corps humain : la statue colossale de Néron qui a donné son nom au Colisée, le Colosse de Rhodes ou la Statue de la Liberté etc.
Nous terminerons cet article par une annexe qui est l’extrait d’un texte rédigé à l’époque où son auteur, qui est aussi celui du présent article, s’était essayé au genre « fantastique » en s’inspirant de ses rêve. Précisons que c’était bien avant qu’il découvre l’ouvrage de Denis Saurat.
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- Quelques titres représentatifs d’une certaine paralittérature
Robert Charroux (1919-1978) : Histoire inconnue des hommes depuis 100000 ans (1963), Le livre des secrets trahis (1965), Le livre du mystérieux inconnu (1969), Le livre du passé mystérieux (1943), Archives des autres mondes (1977)
Guy Tarrade (né en 1930) : Soucoupes volantes et civilisations d’outre-monde (1969), Les chroniques des mondes parallèles (1974), J’ai trouvé la piste des extra-terrestres (1980), Dernier secret ce Nostradamus (1999)
- Hoerbiger : Hörbiger Glacial-Kosmologie, Kayser, 1943. Voir aussi dans
Le matin des magiciens (Louis Pauwels et Jacques Bergier, Gallimard, 1960
Le palais des rois géants
(Extrait du récit Le Lecteur, écrit par l’auteur de l’article en 2007)
- Venez ! dit simplement le jeune homme. Et il ajouta : quand vous verrez sur notre passage les cinq merveilles de cette ville qui a été la capitale d’un empire puissant, vous comprendrez peut-être pourquoi elle m’est devenue insupportable aujourd’hui.
Ce fût une marche épuisante au milieu de ruines et de larges cratères remplis d’une eau boueuse. Des pans de façades jalonnaient des alignements de pierres et de briques, permettant d’imaginer la majesté des avenues disparues. Certains quartiers avaient mieux résisté au désastre qui s’était abattu sur la cité mais ils étaient désertés comme les autres.
- Hyacinthe, s’écria Marco, est-ce que vous voyez cette étendue qui pourrait nous faire croire à une des sorties de la ville ? Pas de ruines, seulement de l’eau et des troncs d’arbres déchiquetés ! C’était Le Double Jardin des Constellations. Des arbres magnifiques, des buissons luxuriants et des millions de fleurs reproduisaient au sol les constellations des deux hémisphères célestes. Une journée ne suffisait pas à les parcourir dans leur ensemble. Une des Cinq Merveilles.
Il leur fallut gravir une colline couronnée d’une enceinte fortifiée au centre de laquelle s’élevaient d’immenses tours carrées.
- Il y en a quinze, précisa Marco. Une autre des Merveilles.
Puis, ils redescendirent vers de plus bas quartiers par un boulevard hélicoïdal d’une largeur considérable. Les parcs en friche d’imposantes demeures dont les façades étaient éventrées et les charpentes effondrées, formaient une jungle à travers laquelle ils eurent du mal à se frayer un passage. Enfin, ils débouchèrent sur une place circulaire dallée de marbre et entourée d’arcades. Au milieu de cette place se dressait une fontaine monumentale que Marco présenta comme la troisième merveille. Les sculptures représentaient une vingtaine de chevaux figés dans les phases successives de figures de haute école.
La quatrième merveille était une nouvelle colline recouverte de hauts bâtiments construits en rang sur d’immenses dalles qui étaient autant de degrés dont les avancées en terrasse constituaient les toits des rangées inférieures. Perçant ces rangées, le croisement complexe de volées de marches formait un tentaculaire dédale d’escaliers dont les volutes des rampes forgées évoquaient les coulées d’un métal en fusion. Au pied de cette colline, une cascade se déversait dans un grand bassin où quelques longues barques à fond plat étaient encore amarrées, reliées à des anneaux par des cordages. D’un des côtés du bassin partait un canal qui contournait la colline avant de disparaître dans un tunnel.
- Prenons une des barques, dit Marco, et laissons-nous emporter par le courant du canal.
Sans un mot, Hyacinthe défit le nœud du cordage, libérant l’embarcation où le jeune homme avait déjà pris place. Lorsqu’ils pénétrèrent dans le tunnel, le jour finissait.
- Il nous faudra toute la nuit avant de nous retrouver à l’air libre à la sortie de la ville, déclara Marco. Nous pouvons en profiter pour dormir.
Le soleil levant les réveilla.
- Regardes ! cria Marco. La cinquième et dernière merveille !
Hyacinthe était stupéfait. Sur la rive gauche du canal, éclairées par les premiers rayons, des murailles gigantesques leur masquaient le ciel. Elles étaient percées d’ouvertures qui devaient être d’une hauteur considérable mais paraissaient modestes vues du sol. La construction s’étendait sur plusieurs hectares.
- Je n’ai jamais rien vu d’aussi fantastique, s’extasia Hyacinthe.
- C’est le Palais des Rois-Géants, dit Marco. Je le regretterai longtemps mais il devra aussi se perdre dans l’oubli, comme s’est perdue la renommée de temps fameux où éclatait ici la gloire de l’Empire. Mais quel témoin muet il fût pour nous qui en avons parcouru les salles grandes comme des stades et hautes comme des tours, le cœur battant et l’âme exaltée. Je vous assure que dans un grand silence que troublait à peine nos pas respectueux, nous parvenait par l’intermédiaire de je ne sais quel sens, l’écho d’immémoriales présences.
Je me souviens en particulier d’une pièce vaste comme une place et qui avait dû être une chambre car on y voyait un lit six fois plus grand qu’un lit d’aujourd’hui, entièrement taillé dans des blocs de pierre parfaitement assemblés. Nous n’avons pas osé nous en approcher mais je vous jure que j’ai entendu le souffle régulier d’un être endormi. Dans d’autres parties de ce palais cyclopéen, des plaintes ou des râles, un brouhaha, des chocs métalliques ou encore des rires terrifiants semblaient provenir des murs. Certaines nuits y éclataient des orages sans que l’on vît d’éclairs et sans averse.
Marco évoqua ensuite les chroniques transmises par la tradition et dont le contenu se perdait peu à peu dans des récits de plus en plus insignifiants, consacrant à jamais la perte des paroles essentielles. Lorsqu’il cessa de parler, le Palais des Rois-Géant était derrière eux et le canal se dirigeait vers un nouveau tunnel. Ils regagnèrent la terre ferme, abandonnant la barque que la bouche noire engloutit.
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