Argument
Le 20ème siècle, après avoir vu s’effondrer les grands empires continentaux et coloniaux européens, a consacré l’échec du fascisme et du communisme. C’est donc sur ce tas de ruines que le 21ème siècle inaugure un millénaire dont les premières décennies achèvent de dissiper les illusions idéologiques sur fond de menaces cataclysmiques.
Les USA ne pouvant plus extérioriser aussi impunément qu’autrefois hors de leurs frontières la violence qui a sous-tendu leur hégémonie, en reçoivent le choc en retour au cœur-même de leur société décadente.
Les pays occidentaux, notamment ceux de l’UE, en trahissant les principes-mêmes dont ils se réclament, révèlent que leur système de gouvernement est intrinsèquement pervers.
Les nations d’Orient (Moyen-Orient, Eurasie, Extrême-Orient), en dépit des idéologies et croyances qui occupent le niveau visible de leur substrat culturel, ont, pour la plupart, conservé en profondeur l’essence d’une tradition immémoriale où pourront être puisées les substantifiques et solides valeurs qui, alliées au meilleur des acquis scientifiques et technologiques actuels, pourraient soutenir, au-delà de bien des contingences néfastes de ce siècle, le démarrage d’un nouveau cycle historique renouvelant totalement la vision du monde et la manière d’y vivre.
Tel est le point de départ du propos que développera cet article.
Un peu d’histoire
Un des fondements de la République telle qu’elle s’est établie en France et qui a servi de modèle dans la plupart des pays occidentaux, est la souveraineté du peuple qui repose sur le concept de volonté générale, laquelle s’exprime par le suffrage universel qui détermine en particulier la désignation des représentants de la nation (députés, sénateurs) et des collectivités territoriales (conseillers régionaux et départementaux, conseillers municipaux) « mandataires de la volonté générale » lorsque cette dernière ne s’exprime pas directement pour la désignation d’un élu (par exemple, en France, le Président de la république) ou pour l’adoption d’un texte de loi ou d’un traité par référendum.
Un autre fondement de la République est la séparation des pouvoirs. En France, députés et sénateurs forment le Parlement, détenteur du pouvoir législatif, c’est-à-dire le pouvoir de faire les lois (celles qu’il propose ou celles que le pouvoir exécutif soumet à son approbation). Le pouvoir exécutif est conféré à un gouvernement formé de l’ensemble des ministres chargés dans les divers domaines de l’action publique, avec les moyens institutionnels dont ils disposent (administration civile, armée, police, gendarmerie, établissements publics spécialisés), de l’exécution des lois qu’ils complètent par des textes réglementaires (décrets, arrêtés). L’ensemble des moyens du gouvernement constituent les services de l’Etat, une partie demeurant auprès des ministres (services dits centraux), une autre partie agissant auprès des collectivités territoriales (services extérieurs) sous l’autorité des Préfets, représentants territoriaux de l’Etat. Enfin, mentionnons un troisième pouvoir, le pouvoir judiciaire, indépendant des deux autres, formé des magistrats. Le pouvoir judicaire est chargé de sanctionner le respect de la loi et des règlements, ce qu’on appelle « rendre la justice ».
On voudra bien nous pardonner la tonalité un peu scolaire de ces rappels qui évoquent un cours d’instruction civique, mais cela est nécessaire pour éclairer la suite de notre propos.
Si l’on date de 1792 (Ière République) l’avènement de la République, on pourra constater que durant les 230 ans qui ont suivi, les régimes qui se sont succédés (dont 163 ans seulement de république), monarchistes ou républicains, ont constamment oscillé entre deux pôles qui s’opposent sur un axe vertical où l’on peut déplacer un curseur : en bas l’autocratie, point de départ, en haut la démocratie. Observons le curseur.
De septembre 1792 à octobre 1795 la France est dirigée par le Comité de Salut Public de sinistre mémoire (c’est la période dite de La Terreur). En fait, c’est une dictature qui inaugure la Première République et c’est même une régression par rapport à la monarchie constitutionnelle de 1791.
Avec le Directoire (1795-1799), le curseur se déplace légèrement vers le haut car deux assemblées flanquent les cinq directeurs d’un exécutif collégial.
Avec le Consulat (1799-1804) et Bonaparte Premier Consul, s’amorce une tendance nette à l’autocratie que confirme en 1804 la proclamation de l’Empire.
1815 voit la restauration de la monarchie qui dans une première période (règne de Louis XVIII, roi intelligent et avisé conscient des changements irréversibles des vingt-six années précédentes) peut être qualifiée de libérale. Dans une seconde période (règne de Charles X, roi borné, réactionnaire et revanchard) le curseur redescend et tente d’aller si bas qu’une révolution (juillet 1830) met fin au règne de Charles X.
En devenant « roi des Français », Louis-Philippe d’Orléans dont le père surnommé Philippe Egalité avait voté la mort de Louis XVI, imprime une ligne résolument libérale au nouveau régime. On a pu le qualifier de « roi bourgeois » et son règne consacre effectivement le triomphe d’une bourgeoisie financière et commerçante sur fond d’industrialisation naissante et de développement de l’urbanisation. Le curseur remontait assez haut quoiqu’on eût été encore loin de la démocratie. En 1847 une crise économique souleva un mécontentement que surent exploiter les républicains. Au début de 1848 Paris s’insurge, le roi fuit en Angleterre et la IIème République est proclamée.
Le curseur remonte sensiblement, mais pas pour longtemps. On sait comment le Prince Louis-Napoléon Bonaparte, neveu de Napoléon Ier, fut élu Président de la République (avec 5,4 M de voix contre 1,8 M pour le total des trois autres candidats) et comment, fort de sa popularité (pour laquelle la nostalgie des heures glorieuses du Premier Empire joua sans doute), il enterra la République par un coup d’Etat que les électeurs approuvèrent par 7M de voix contre 650000 ! Le curseur redescendait, surtout de 1851 à 1860 (période appelée l’Empire autoritaire) avant de remonter légèrement de 1860 à 1870 (période de l’Empire libéral). La défaite de Sedan mit fin au IIème Empire. Après la Commune de Paris puis la tentative avortée d’une restauration monarchique, la France se dote en 1875 d’une constitution républicaine qui demeurera en vigueur jusqu’à 1940, soit 65 ans ! Le curseur remonte plus haut qu’il n’a jamais été, quoiqu’on soit encore loin d’une perfection démocratique. Il monte encore un peu plus en 1936 avec les mesures sociales du Front Populaire.
C’est la guerre et la déroute française de juin 1940 qui mettent fin à cette longue période républicaine. Le 10 juillet 1940, le Parlement, dans un contexte de traumatisme national et d’instrumentalisation de la situation par Pierre Laval, donne les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain. C’est le Régime de l’Etat-Français (le terme République disparait) appelé aussi Régime de Vichy, ville qui en fut le siège : le curseur chute brutalement vers l’autocratie jusqu’en 1944 (débarquement des forces alliées en Normandie et en Provence, c’est La Libération).
Puis ce fut la IVème République ; le curseur remonte au niveau qu’il avait atteint sous la IIIème République, et même un peu plus si l’on tient compte des nouvelles mesures de protection sociale et du vote des femmes.
Un putsch militaire à Alger le 13 mai 1958 entraine le retour au pouvoir du général De Gaulle (1er juin 1958) et l’adoption d’une nouvelle constitution fondant la Vème République (référendum le 28 septembre 1958 avec approbation à 79,25% des voix et promulgation le 4 octobre 1958). L’affaiblissement sensible de la représentation nationale et une pratique d’emblée marquée par le pouvoir personnel, font redescendre le curseur qui, en ce qui concerne le fonctionnement institutionnel, dans sa lettre et dans son esprit, n’est plus jamais remonté, s’aggravant même à plusieurs reprises. Il est certain que les politiques, tous pouvoirs confondus, n’ont jamais fait grand cas du peuple souverain (voir notre article Imposture démocratique et illusion électorale), mais à partir de 1958 ce mépris s’affiche assez insolemment.
Coups d’Etat, modes d’emploi
Un rapide survol des 230 ans que nous venons de rappeler, fait apparaitre quatre dates où l’équilibre entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif ainsi que le respect le l’indépendance du pouvoir judiciaire ont été remis en cause par des coups d’Etat qui ont en commun d’avoir reçus une large approbation du peuple qu’ils privaient pourtant de tout ou partie de sa souveraineté : le 18 brumaire an VII (9 novembre 1799) qui consacra le pouvoir dictatorial de Bonaparte et annonçait l’Empire ; le 2 décembre 1851 qui vit le prince-président Louis-Napoléon Bonaparte mettre fin à la IIème République en en violant la constitution puis instaurer un mois plus tard le IIème Empire où il régna sous le nom de Napoléon III ; le 10 juillet 1940 où le Parlement, amputé d’une partie de ses membres mais à une très large majorité accorda les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain ; le 13 mai 1958 où un putsch militaire et un « comité de salut public » prennent le pouvoir à Alger, permettant à De Gaulle de manœuvrer de telle sorte que tout en ne désavouant pas les insurgé , il se présente comme seul capable de sauver le régime républicain et d’éviter une guerre civile.
Dans ces quatre cas on retrouve, à peu de choses près, les mêmes ingrédients, notamment la crainte et/ou la lassitude du peuple, le recours à la manipulation de l’opinion, voire au mensonge pur et simple, l’intervention « providentielle » d’un leader auréolé d’un acquis glorieux (pour Napoléon III son acquis était sa parenté qui le faisait hériter de la gloire de l’oncle !). Quoique différant dans le détail des modalités, ces coups d’Etat suivent un même schéma général. On ajoutera qu’il est compréhensible que dans des circonstances exceptionnelles (qui étaient au moins celles de 1940 et de 1958), on adopte des mesures exceptionnelles ; encore faudrait-il que le cadre légal ainsi que la durée d’application en soient préalablement définis. La République romaine avait pris cette précaution en prévoyant la possibilité d’une dictature de six mois au maximum avec une mission précise. Si on connait l’exemple fameux de Cincinnatus qui remplit sa mission en 16 jours (gagner la guerre contre les Eques) avant de retourner à la culture de ses terres, on sait moins que César fut quatre fois dictateur (de fin -49 à début -44) pour des périodes de plus en plus longues dont la progression témoigne de ses intentions : 11 jours, 1 an, dix ans, à vie ! Cet abus lui fut fatal, ainsi qu’à la république.
Double déni de démocratie
Nous pensons qu’on peut parler de déni de démocratie comme on parle de déni de justice. C’est la faute commise par les gouvernants lorsqu’ils ne respectent pas les principes que nous avons présentés comme étant les foncements de la République : la souveraineté du peuple et la séparation des pouvoirs. La souveraineté du peuple peut être remise en cause, que ce soit par des forfaitures avérées ou tout simplement des pratiques institutionnelles permettant de la contourner en ne violant ni la constitution, ni la loi ; la séparation des pouvoirs est elle-même remise en cause lorsque la constitution adoptée et/ou son interprétation ne permet pas un respect effectif et complet de cette séparation.
La constitution de la Vème république est à cet égard un modèle du genre. Largement approuvée par le peuple dans des circonstances exceptionnelles où la menace putschiste et la lassitude des conflits coloniaux ont joué un rôle essentiel sur une opinion toujours encline à se jeter dans les bras d’un « sauveur », cette constitution qui affaiblit le pouvoir législatif mandataire de la souveraineté populaire et renforce très sensiblement le pouvoir exécutif dont la personnalisation dans son chef frôle la monarchie élective, non seulement n’a pas été remise en cause après la présidence de De Gaulle, y compris par François Mitterrand qui s’était opposé à son adoption et en avait constamment critiqué la pratique (voir son ouvrage Le coup d’Etat permanent), mais ses modifications successives en ont renforcé la dérive monocratique. C’est d’abord l’élection du Président de la République au suffrage universel (approuvée par référendum le 28 octobre 1962 avec 62,25% des voix), rappelant fâcheusement celle du prince Louis-Napoléon en 1848, puis l’adoption du quinquennat qui, logiquement conforte l’autorité présidentielle en évitant le risque de cohabitation puisqu’il ne peut plus y avoir d’alternance législative en cours de mandat présidentiel (ce qui fut deux fois le cas durant les deux septennats de F. Mitterrand : gouvernement Chirac 1986-1988 et gouvernement Balladur 1993-1995).
On observera que dans tous les pays de l’UE ce sont les chefs de gouvernement, responsables devant les pouvoirs législatifs (Premiers ministres, Présidents du conseil, Chanceliers) qui sont les représentant de leur pays. En France c’est le Président de la République : c’est lui qui préside le Conseil des ministres sans être responsable devant le Parlement car c’est le Premier ministre qui n’est que « le premier des ministres » qui sert, le cas échéant de « fusible » ! La constitution fait du Président le « chef des Armées », mais c’est uniquement la pratique qui lui a attribué le « domaine réservé » des Affaires Etrangères, c’est-à-dire le champ de la politique extérieure du pays. Détenteur du pouvoir de dissolution de l’Assemblée Nationale, des pouvoirs de l’article 16 rendant possible un état d’exception suspensif de droits, le président français, hormis les dictateurs, est dans le monde, USA compris, le chef d’Etat ayant le plus de pouvoirs.
Tandis que la dérive autocratique s’est précisée en France, les institutions européennes qui n’étaient au départ que l’encadrement d’une coopération économique ( la CECA, Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier créée par le traité de Paris en 1951, puis la CEE, Communauté Economique Européenne, créée par le traité de Rome en 1957) , ont tendu de plus en plus à déborder du cadre économique pour devenir le cadre d’une alliance animée d’ambitions politiques fédéralistes se traduisant par des transferts de souveraineté, y compris dans des domaines régaliens (voir par exemple les accords de Schengen qui suppriment les frontières entre Etat membres) en dehors de tout contrôle par les souverainetés des peuples concernés. En effet, les institutions européennes assurent la primauté (et pour certains aspects, le monopole) d’un pouvoir exécutif mêlant politique et technocratie, face à un pouvoir législatif de façade amputé des initiatives essentielles à la réalité d’un pouvoir législatif, telle que la proposition de loi. Le dispositif institutionnel de l’UE est le suivant :
-le pouvoir exécutif repose sur trois organes ; le Conseil Européen qui réunit les chefs des pouvoirs exécutifs des Etats membres et qui est présidé à tout de rôle par l’un d’entre eux tous les six mois, le Conseil de l’UE qui réunit sur des questions particulières les ministres concernés des Etats membres ; la Commission Européenne, véritable gouvernement de l’UE composée de représentants des Etats membres appelés commissaires désignés pour cinq ans, le président de la commission étant désigné par le Parlement Européen. Dotée d’importants moyens bureaucratiques, cette commission techno-politique évoque ce qu’on a parfois appelé un gouvernement synarchique.
-le pouvoir législatif repose sur le Parlement européen dont les députés sont élus pour cinq ans au suffrage universel dans les Etats membres qui disposent d’un nombre de sièges proportionnel à leur poids démographique. Le Parlement ne dispose pas de l’initiative législative, il n’a pas compétence dans les domaines de la politique étrangère et de la sécurité et il n’a pas le contrôle des recettes du budget de l’Union. Il doit partager avec le Conseil l’adoption des normes élaborées par la Commission. Bien que les députés se rassemblent dans des groupes politiques transnationaux, il ne s’en dégage pas nettement une majorité ou une opposition.
Face à ce dispositif les citoyens ne s’y trompent pas : ils ont compris que c’est la Commission qui est le siège du pouvoir et que tout contrôle réellement démocratique de l’UE leur échappe. Privés de l’exercice de leur souveraineté, leur désintérêt se manifeste par une forte abstention lors de l’élection des députés au Parlement.
Voilà pourquoi, on peut parler en France d’un double niveau, national et européen, de déni démocratique.
Un Président « en guerre » quand il n’y a pas la guerre, et « pas en guerre » quand il s’y engage sans la déclarer !
16 mars 2020 : Nous sommes en guerre ! Ce jour-là Emmanuel Macron s’adresse aux Français dans une allocation solennelle au cours de laquelle il martèle au moins six fois ce leitmotiv : Nous sommes en guerre ! Sur le fond il n’y a pas lieu de discuter les mesures prises dans le contexte d’urgence sanitaire. Elles étaient certainement nécessaires. En revanche, sur la forme on peut s’interroger sur la pertinence d’une dramatisation, alors qu’on s’attendrait davantage, de la part du chef d’Etat d’un pays évolué dont les citoyens ne sont pas des déficients mentaux incapables de comprendre la gravité d’une pandémie, à un discours alliant pédagogie et fermeté rassurante, plutôt qu’à une tonalité propre à alarmer les plus émotifs. La sèche énumération des mesures prises renforçait le climat de guerre voulu par le Président : fermeture des frontières, des lieux publics, des écoles, interdiction des rassemblements de plus de dix personnes, renfort de l’Armée, confinement et couvre-feux. Résultat : avant l’entrée en vigueur de « la guerre » les commerces étaient dévalisés dans les rayons des produits alimentaires de longue conservation ou d’hygiène ! Certains ne doivent toujours pas avoir épuisé aujourd’hui leur stock « de guerre » de pates, riz et papier hygiénique !
Nous ne succomberons pas à la tentation complotiste, mais on ne peut s’empêcher de penser que de la part d’un homme dont l’intelligence et la maîtrise des sentiments sont reconnus, il ne s’agit pas d’un dérapage sous l’effet de l’émotion mais d’un choix délibéré. Peut-être pour mettre à profit la situation en se présentant en chef de guerre et s’assurer au travers de mesures limitant les libertés d’une « reprise en main » du terrain après l’épisode peu glorieux des Gilets jaunes ? Ce pouvait être aussi la volonté de tester l’obéissance civique et, dans la durée, les limites de sa résistance à la coercition ?
Printemps 2022 : Nous ne sommes pas en guerre ! [Avec la Russie qui vient d’envahir l’Ukraine]. A plusieurs reprises le Président éprouve le besoin de le rappeler, insistance aussi suspecte que celle du soignant qui répète trop « ça ne fera pas mal ! ». Car au fil des semaines et des mois du conflit, on constate deux choses : d’une part, au-delà de l’aide humanitaire et logistique initiale, notre aide devient militaire et s’amplifie (armements et munitions) ; d’autre part les sanctions économiques frappant la Russie ont pour effet de nous imposer une économie de guerre. Les pays de l’UE ne sont pas victimes d’attaques militaires en représailles à leurs sanctions, mais leurs finances et leurs économies sont frappées par des dégâts collatéraux considérables. Cela vaut bien le bombardement d’usines, de centres d’approvisionnement ou de réseaux de transports ! Alors, si cela n’est la guerre, comment doit-on appeler cette situation ?
Nous pensons, d’ailleurs, que cela devrait être l’occasion d’engager une réflexion sur la définition de la guerre, tant la nature des conflits a changé depuis les derniers que nous avons connus sur le sol européens il y a plus de soixante-quinze ans alors que les textes constitutionnels, notamment l’article 35 malgré de récentes modifications, s’appuie encore sur des notions obsolètes, en particulier un concept de guerre qui, outre sa redéfinition, ne devrait être qu’une modalité à l’intérieur de celui, plus large tout en étant plus précis d’engagement militaire, lequel, d’ailleurs ne recouvrirait pas seulement l’engagement de forces militaires sur un terrain, mais s’appliquerait aussi, comme dans le cas de l’Ukraine actuellement, à la fourniture de moyens militaires à un belligérant. Autrement dit, il conviendrait, dans le respect de la souveraineté nationale, que tout engagement militaire, sauf urgence dans le cas d’une agression, fasse l’objet, préalablement, d’un débat et d’un vote au Parlement.
Certes, il y a les mandats pouvant être donnés par l’ONU et l’application des traités ; mais cela n’exclut pas le débat parlementaire. Pour mémoire rappelons que l’engagement des forces françaises dans la Première guerre du Golfe consécutivement à l’invasion et à la tentative d’annexion du Koweït par l’Irak en 1991 et au mandat donné par l’ONU, a fait l’objet le 15 janvier 1991, préalablement à son déclanchement, d’un message du Président de la République aux Chambres et d’une déclaration du gouvernement (Michel Rocard étant Premier ministre) suivie des interventions des représentants des groupes parlementaires et d’un vote (523 voix favorables, 43 contre). Or dans le cas des sanctions de l’UE et des fournitures d’armements et de munitions à l’Ukraine, il n'y a eu ni mandat spécifique de l’ONU, ni application d’un traité et les conséquences pour les peuples européens (et indirectement aussi pour de nombreux pays africains et du Moyen-Orient) sont considérables.
Du reste, dans cette affaire ukrainienne, s’il y a une autre preuve que nous sommes en guerre, c’est que nous subissons également une « communication de guerre », c’est-à-dire un cocktail d’intox, de désinformation, de mensonges et de grotesques contradictions. Ainsi en est-il des « informations » sur la santé de Poutine et sur la réalité de la situation militaire sur le terrain. Les médias eux-mêmes avouent que se déroule une guerre de la communication entre les belligérants. Mais que penser de la communication des Occidentaux ? On nous dit que la Russie est en train de perdre la guerre, que l’Ukraine va peut-être reconquérir les territoires occupés par les Russes et même récupérer la Crimée ; mais dans le même temps on nous dit que notre liberté est menacée (Macron explique que les sacrifices qui nous sont imposés sont le prix de la liberté), que les Russes pourraient s’attaquer à d’autres pays (belle performance pour une armée qu’on dit par ailleurs défaite !).
Pendant qu’on nous laisse espérer la fin de Poutine vaincu par un coup d’Etat ou un cancer, la grande Bretagne a frisé l’insurrection, l’Allemagne est déstabilisée, l’Italie va peut-être choisir la voie crypto-fasciste et la France va découvrir la « sobriété » et « la fin de l’abondance » dans un amalgame de causalités entre guerre en Ukraine et conséquences de la sécheresse.
L’exercice de la souveraineté
Il est certain que la souveraineté du peuple repose sur les institutions et leur fonctionnement ; mais l’exercice de la souveraineté ne se limite pas au droit de vote, surtout si l’on considère les imperfections du système électoral (voir notre article déjà cité). Une des conditions essentielles de l’exercice de la souveraineté tient aux moyens qui sont donnés au peuple de comprendre les enjeux sur la nature desquels il lui est demandé (quand on le lui demande !) de se prononcer. A force de mettre dans la tête des gens que cela est très complexe et que la politique est affaire de professionnels, on a dérivé vers une oligarchie de fait et une abstention croissante des électeurs ; les politiques sont devenus des sortes de tuteurs ou curateurs en matière de citoyenneté !
Si les enseignants gardaient pour eux les connaissances au motif de leur complexité, on n’aurait plus qu’à fermer les écoles ! Alors, faut-il fermer les bureaux de vote parce qu’on présume les électeurs incapables de comprendre la géopolitique, les ressorts du fonctionnement économique, voire les réalités du problème migratoire ? N’appartient-il pas à l’Etat de faire preuve de volontarisme et de pédagogie dans une information permanente des citoyens ? Certains médias (presse écrite, télévision, sites Internet), au travers de documentaires, de reportages, de débats qui permettent d’accéder aux informations nécessaires et d’en « décomplexifier » la matière, le font avec efficacité. Malheureusement, le battage d’autres médias, pour des raisons principalement liées au profit, draine l’intérêt du public vers les « séries », les jeux et les spectacles ne semblant avoir pour but que la crétinisation des masses.
Une fois de plus, force est de constater qu’à la base de tout il y a l’école, c’est-à-dire l’enseignement (primaire, secondaire et supérieur). Or, la France se singularise par un très mauvais bilan de son enseignement. Les causes en sont multiples, mais comparativement aux pays qui obtiennent les meilleurs résultats, on peut constater qu’en France on n’accorde, ni à l’enseignement, ni aux enseignants, la considération nécessaire (salaires médiocres des enseignants et dévalorisation du métier, cadre et organisation scolaires ne favorisant ni l’étude, ni la sérénité, ni la santé, ségrégation sociale de fait etc.). A ce sujet on relira avec profit notre article Bachelard, la pensée libérée.
Nous en revenons aussi à notre attachement obsessionnel au concept de dimension et d’identité communautaires (voir nos articles Mythe impérial et réalités communautaires et Refondation). Pour évoquer deux grands pays européens de taille comparable à la France, l’Allemagne et l’Italie où les grandes régions et leurs sous-ensembles provinciaux ont des identités fortes et une importante autonomie dans beaucoup de domaines, les régions françaises, surtout depuis la réforme Vals, ne sont que des amalgames de départements.
Mais comment s’étonner de cela quand on a compris que nos gouvernants (et pas seulement E. Macron, bien qu’il soit un champion du genre) sont acquis au mondialisme négateur des identités communautaires ? On doit, hélas, conclure qu’on ne peut qu’espérer que les catastrophes prévisibles résultant de l’ultralibéralisme industriel, commercial et financier, ainsi que le choc en retour d’un développement technologique que d’autres sauront utiliser à de meilleures fins, conduiront à l’effondrement d’un système monstrueux qui méprise l’homme et la nature au profit d’une extrême minorité d’oligarques et de profiteurs.
L’éternel retour et le printemps de la Tradition
Retour au ton scolaire ! Cependant, cette fois il ne s’agit pas d’instruction civique, mais de cosmologie.
La terre tourne sur elle-même en 24 heures autour de l’axe des pôles. Cette rotation a pour effet la course apparente du soleil de son « lever » à l’est à son « coucher » à l’ouest, ainsi que l’alternance des jours et des nuits.
Par ailleurs la Terre tourne autour du soleil durant une année (365 jours, 366 tous les quatre ans) ; l’effet combiné de l’orbite elliptique de cette trajectoire et de l’inclinaison de l’axe des pôles (23°26’) entraine la succession des saisons.
Enfin, l’observation astronomique ayant conduit depuis l’Antiquité à baptiser douze constellations d’étoiles fixes formant par projection autour du soleil une bande circulaire de 360 degrés appelée Zodiaque (du grec Zôdiacos = roue de vie), le soleil à son « lever » se trouve successivement (tous les trente degrés) dans chacune de ces douze constellations (l’astrologie appelle « signe de naissance » la figure emblématique zodiacale où se trouve le soleil à la naissance de l’individu : bélier, taureau, gémeaux etc. elle la divise d’ailleurs en trois « décans » de 10 jours).
Mais ce n’est pas tout. On a aussi observé dès l’Antiquité, que le déplacement apparent du soleil sur le zodiaque, ne le ramenait pas tout à fait au même point à la fin de chaque cycle annuel dont le début est fixé conventionnellement à l’équinoxe de printemps, d’où l’appellation de point vernal pour désigner ce point. Ce déplacement du point vernal est appelé précession des équinoxes. La durée du parcours du point vernal dans chaque signe du zodiaque est de 2150ans (que certaines traditions appellent grand mois), le parcours entier du zodiaque s’élevant donc à 25800 ans (que certaines traditions appellent grande année).
Il y a donc quatre cycles : le cycle journalier (rotation de la terre sur elle-même), le cycle saisonnier de quatre fois trois mois), le cycle annuel (rotation de la terre autour du soleil), le cycle solaire de parcours d’un signe du zodiaque (2150 ans) et le grand cycle solaire de parcours entier du zodiaque (25800 ans). Tous ces cycles sont héliocentriques ; mais il existe aussi un cycle lunaire qui a servi d’horloge astronomique dans certaines civilisations et dont nous connaissons au moins les effets avec les marées et certains phénomènes météorologiques ou biologiques.
Cependant, il faut mentionner une tradition astrologique dont les formes dégénérées font encore le bonheur des charlatans et entretiennent la crédulité des sots, mais qui mérite d’être plus sérieusement prise en considération lorsqu’on l’aborde au travers de l’approche symbolique de l’ésotérisme traditionnel. Un des fondements de la pensée qui en a résulté est le constat du « retour » ou « recommencement » induit par la nature même de tout cycle, ainsi que la corrélation qu’on peut établir entre les cycles cosmologiques et les biocycles du vivant terrestre, à commencer par celui de l’homme. Les mystères de la naissance et de la mort, le constat de l’ascension, de l’apogée et du déclin entre ces deux extrémités de la vie dans le règne animal et le règne végétal en sont le point de départ ; mais les développements interprétatifs se sont appliqués à de nombreux domaines (agriculture, élevage, traitement des maladies, architecture etc.) où ils nous apparaissent malheureusement aujourd’hui dans des formes dévoyées ou dégénérées qui entachent leur crédibilité.
En fait, on commence à reconnaitre maintenant la probabilité qu’il ait existé des types de civilisations fondées sur un tel mode de connaissance dont les aléas de la transmission alliés à l’usure du temps et, le cas échéant, à des catastrophes naturelles, ont provoqué la disparition quasi complète dans leurs formes authentiques. Mais deux choses sont certaines. D’une part, il est clair que si le cycle « naissance-développement et apogée-déclin-mort » régit la vie humaine, animale et végétale, il régit aussi les œuvres de l’homme : Nous autres, civilisations, savons maintenant que nous sommes mortelles (Paul Valery en 1919) ; d’autre part, s’il a existé des civilisations fondées sur des connaissances que la tendance à imputer à une vision religieuse du monde tout ce que nous disons « primitif » incline à qualifier de « science sacrée », son cycle de vie doit remonter à une époque si reculée qu’il serait plus approprié de parler de « grand cycle précédant notre cycle historique » plutôt que d’époque primitive.
Aussi, de manière plus spéculative, peut-on imaginer que si ce cycle de vie d’une civilisation s’inscrit à l’intérieur d’un plus grand cycle en incluant plusieurs successifs (comme, par exemple, celui d’une ou plusieurs fois le parcours intégral du point vernal, soit au moins 25800 ans), il y aura vraisemblablement une forme de retour à la naissance d’un type de civilisation, non pas identique, mais comparable dans ses fondements essentiels : c’est la vision qui allie l’éternel retour à la perpétuelle évolution, « le nouveau qui englobe l’acquis dans le renouvellement » (voir aussi notre article Bachelard, la pensée libérée).
Or, à bien des égards on peut penser que l’ampleur de l’actuelle rupture que vit la société planétaire est peut-être le signe d’une telle fin de « grand cycle ». Que pouvons-nous percevoir de ce qui pourraient être les premiers fondements d’un nouveau grand cycle ?
Ce qui advient et ce qui revient
Dans une vision linéaire du temps, un point de rupture est marqué par une nouveauté qui invalide ce qui la précède : il y a un avant irrémédiablement « mort », et un après qui s’y substitue. Dans une vision cyclique, la rupture allie la nouveauté (ce qui advient et qui est en fait le produit d’une longue évolution durant le cycle qui s’achève) au retour (ce qui revient du commencement de ce cycle au début du nouveau).
S’il y a une chose qui peut sembler assez claire aujourd’hui, c’est ce qu’on pourrait appeler « le retour du réel ». En quelques années, les sociétés de l’hémisphère nord qui s’étaient complu dans des débats idéologiques et doctrinaux, tandis que l’hémisphère sud était confronté aux réalités de la pauvreté, de la malnutrition, des maladies et des conflits armés, ont découvert à leur tour les menaces des grandes pandémies, les conséquences catastrophiques du changement climatique et les effets directs ou induits, ravageurs pour tout le monde, d’une « vraie guerre » continentale. Le temps n’est donc plus à la spéculation, mais à l’adaptation pour survivre : se protéger des virus et empêcher leur transmission, gérer le risque de pénurie d’eau, de sources d’énergie et de matières premières, assurer l’autosuffisance, faire face à la menace d’explosion sociale engendrée par la paupérisation et les flux migratoires etc. Le chantier est immense. Pour n’évoquer que le changement climatique, face à la fonte des glaces et à la montée des eaux maritimes sur les côtes et à la sécheresse engendrée par le réchauffement à l’intérieur des terres, aux méga incendies, aux tornades, aux cyclones et au crues fluviales, il faut repenser l’agriculture, l’élevage et la pêche, repenser l’urbanisation et l’architecture, repenser l’alimentation ; bref : tout repenser ! Et non pas idéologiquement, spéculativement, mais pragmatiquement en se « coltinant » au réel.
A chaque crue de rivière dévastatrice nous nous extasions comme des imbéciles devant un pont romain qui a résisté ou la sagesse des Anciens qui n’avaient jamais construit dans les zones ravagées par le tsunami fluvial, oubliant que si leurs voix n’étaient pas étouffées par les intérêts odieux des mafias politico-financières, des scientifiques et des ingénieurs honnêtes (non vendus aux puissances du profit à tout prix) pourraient apporter les réponses à ce qui ne relève ni de miracles ni de fatalité ou de l’ire des dieux, mais du mépris du réel et de l’adoration du veau d’or du matérialisme libéral. Ah ! On en découvre des choses, avec le retour du réel ! Par exemple la débilité des constructions « pied dans l’eau » (mais devenues « tête sous l’eau »), le crétinisme du tourisme de masse qui transforme des hordes d’idiots en millions de clones d’Attila, la criminalité écologique des privilégiés qui prennent un jet à Paris pour aller prendre l’apéro à Cannes etc. etc. etc.
Repenser c’est changer de perspective pour penser. Le retour au réel doit faire redécouvrir les pensées traditionnelles au-delà d’un manichéisme qui les oppose à la modernité. Car ce qu’on appelle tradition, et qui n’est pas l’usage ou l’habitude, ne concerne dans le développement temporel que ce qui touche à certains principes intangibles régissant le mode de pensée. Lorsqu’on observe les pensées archaïques on impute souvent à tort la manifestation de ces principes à la religion, à la superstition, à un légendaire dont on ne décrypte pas toujours le symbolisme, alors que la source de ces croyances et pratiques relève d’une connaissance pertinente du rapport au réel. On peut prendre l’exemple du rapport à la nature, auquel nous sommes aujourd’hui plus sensibilisés. Dans un documentaire récent sur la foret amazonienne, on voyait des bucherons colombiens offrir un sacrifice végétal à une divinité forestière avant d’abattre des arbres, afin, disaient-ils de s’assurer de son accord avant de procéder à l’abattage d’arbres, car il ne fallait pas abattre n’importe quels arbres et de n’importe quelle façon. Cela pouvait surprendre de la part d’hommes qui n’avaient rien de primitif dans leur apparence (ils étaient vêtus comme n’importe quel bucheron européen, utilisaient une grande tronçonneuse, possédaient des téléphones portables et s’étaient déplacés avec un véhicule tout-terrain). Répondant aux questions sur la raison de leur pratique, ils ont expliqué qu’il fallait respecter la nature, sous peine de déclencher des conséquences graves ; ils déploraient d’ailleurs la déforestation sauvage, désignant des troncs abattus qui n’auraient pas dû l’être. Notre culture scientifique et nos moyens technologiques nous font comprendre les mêmes impératifs sous d’autres formes. A certains égards, il y a donc maintenant de nombreuses coïncidences entre l’évolution de la science et ce que nous apprend l’anthropologie des pensées traditionnelles. C’est la rencontre de ce qui revient par la voie de la tradition et le mécanisme cyclique, et de ce qui est advenu du fait de la lente mais permanente progression du savoir « laïcisé ».
Il reste à s’interroger sur la source initiale de la connaissance des principes transmis par les cultures traditionnelles. Ce que l’on découvre aujourd’hui à ce sujet, de commun à de telles cultures qui se sont manifesté dans des lieux de la planète dispersés les uns par rapport aux autres, semble confirmer l’intuition guénonienne d’une Tradition primordiale qui aurait en quelque sorte essaimé et dont les formes adaptées à l’espace et au temps auraient été soumises à l’évolution cyclique jusqu’à l’étape de déclin, donc d’affaiblissement progressif, jusqu’à une quasi disparition ne laissant subsister que des fragments de connaissance chez une minorité d’initiés. On peut prendre l’exemple de la géométrie (étymologiquement et littéralement : mesure de la Terre) qui est à la base de la tradition maçonnique opérative conservée par les corporations de Compagnons. La géométrie traditionnelle comporte notamment la connaissance de la proportion régie entre autres par le nombre d’or (qu’on représente par la lettre grecque Phi= 1,618, à ne pas confondre avec PI= 3,14 qui détermine le rapport entre le diamètre du cercle et la circonférence. Ce n’est pas l’arithmétique qui régit la science traditionnelle des proportions, mais le tracé ou art du trait. Nous ne pouvons pas nous y attarder ici, mais disons que la pratique du tracé peut être à la base d’une ascèse favorisant un mode de pensée.
Outre le retour au réel et la redécouverte « éclairée » de la tradition dans le cadre de tout ce qu’il y aura à repenser dans un panel de domaines affectés par des ruptures majeures, le champ de ce qu’il faut repenser s’étend également au mode de pensée. Il n’y a pas fatalement contradiction irréductible et opposition entre la rationalité du retour au réel sur la base de notre acquis scientifique et technique, et le recours à l’intelligence intuitive et à la pratique du symbolisme interprétatif. C’est en rejetant un tel type de pensée que l’Occident moderne s’est fourvoyé dans le dévoiement de systèmes ne respectant ni les individus, ni la nature, avec les conséquences que révèle un terrible choc en retour. Comme l’avait aussi pressenti Guénon, l’Orient, quoiqu’en grande partie occidentalisé, a mieux préservé, en profondeur sinon en surface, des liens essentiels avec les principes traditionnels fondamentaux. C’est ce qui fonde notre conviction qu’au-delà d’une approche géopolitique marquée précisément par les critères de la pensée occidentale moderne et de son insupportable prétention universaliste (qui a déjà inspiré ses crimes coloniaux et qu’elle exerce maintenant dans sa vision du droit international), l’Orient eurasiatique (incluant un bloc continental de Pékin à Lisbonne et la partie du Proche et Moyen-Orient qu’avaient déjà intégrée l’Empire d’Alexandre et l’Empire Romain) pourrait devenir à l’horizon du 22ème siècle la puissance planétaire majeure. Le Japon, quant à lui, devrait choisir entre sa tradition et sa capitulation définitive devant l’hégémonie des USA. L’Amérique dite latine, du Mexique à la Patagonie, sous la surface de sa christianisation est encore profondément imprégnée des traditions amérindiennes, d’ailleurs en cours de réveil ; les populations autochtones de la Polynésie, malgré la maltraitance occidentale, ont aussi préservés leurs traditions ; l’Afrique dite « noire » pourraient voir les siennes se réveiller après des siècles d’asservissement colonial, de conversions forcées et de corruption post-coloniale. Au total, la carte culturelle du monde de la seconde moitié du 21ème siècle pourrait être bien différente de ce qu’elle est encore aujourd’hui !
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