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Mythe impérial et réalité communautaire

Géopolitique de la fabulation versus gravitation des équilibres anthropologiques
7 juillet 2020 par
Simon Couval

L’histoire n’a pas en elle-même un sens qui forcerait à reconnaître quelque déterminisme imputable à une transcendance (comme le suggèrent les messianismes et plus généralement toute croyance religieuses) ou à une implacable logique qui serait inscrite dans la mécanique du développement sociétal (version matérialiste du messianisme qu’illustre notamment le marxisme).

Si l’histoire n’a pas un sens résultant d’un déterminisme religieux ou matérialiste, elle a un cours tracé par l’enchainement des faits. Hormis les facteurs extérieurs imprévisibles et impondérables tels que les cataclysmes, les modifications climatiques ou les grandes pandémies, les faits sont l’œuvre de la pensée et de l’action de l’homme. Bien qu’il puisse souvent apparaitre chaotique et soumis à des incertitudes, le cours de l’histoire, qui échappe au déterminisme, obéit néanmoins à des déterminations impulsées par les pensées dominantes et les actions majeures qu’elles inspirent. Ecartant les péripéties auxquelles se réduisent sur le très long terme des millénaire les grands événements considérés comme tels dans le court ou moyen terme de quelques décennies ou de quelques siècles, tout recours à l’observation historique pour expliquer des enjeux contemporains, ne doit donc pas se contenter de remonter la chaine des causalités jusqu’à des repères trop récents (par exemple la Révolution Française, la Renaissance ou la fin de l’Empire Romain), mais ne pas hésiter, si nécessaire, à partir des origines-mêmes de l’humanité. Evidemment, il est clair que dans le recul qu’impose une telle perspective, on ne saisit que les grands traits du cours historique : c’est un fleuve qu’on regarde depuis l’espace, à une très haute altitude. Si l’on pense que, ce faisant, la réalité de beaucoup de faits majeurs échappe à l’observation, on se trompe. C’est, au contraire, après avoir saisi les déterminations essentielles du cours sur longue période, qu’on va pouvoir acquérir une complète signification de ces faits, jusqu’aux plus immédiats de l’actualité présente, en ne se bornant pas à des causalités qui ne sont souvent qu’intermédiaires.

Voilà pourquoi, recourant à une vision historique « adoctrinale » qui n’observe que les faits, celle-ci constituera l’ossature d’une thèse qui mériterait un ouvrage, mais que j’ai condensée dans le présent article.

A cette ossature il faut ajouter, pour la pleine compréhension de ladite thèse, la consistance de quelques brefs éléments d’ordre philosophique et anthropologique.

Tout d’abord, deux cailloux qui ont constamment gêné la marche qui a débuté avec l’homo erectus, du moins dès l’instant où Sapiens en a pris progressivement conscience : l’inéluctabilité de la mort et l’origine animale de l’espèce humaine.

Alors que son intelligence, émergeant de plus en plus des brumes de sa fonction cérébrale, a confronté l’homme à la brutale réalité de sa situation existentielle, son refus d’en accepter la trop déprimante représentation, l’a conduit à opposer à la froide intelligence, la force consolatrice de l’imagination. C’est ce rôle « défensif » de l’imagination que Bergson nomme « la fonction fabulatrice ». Celle-ci est à la base, voire à l’origine-même de la religion : la vie éternelle, la résurrection de la chair à la fin des temps (qui borne l’effrayante perspective de temps sans fin, tandis que le géocentrisme borne le tout aussi effrayant infini de l’univers), comme négation de la mort ; la création directe de l’homme par la divinité (et à son image !) comme négation de l’animalité.

Le point suivant consiste à comprendre en quoi la fonction fabulatrice a pu impacter les visions géopolitiques et l’anthropologie. Il s’agit simplement d’observer que cet imaginaire a très vite inspiré des mythes que des transferts ont fait passer de la religion à l’art (voir Nietzsche et l’origine de la tragédie) dans toutes les formes d’expression (sculpture, architecture, musique, danse, poésie, chant etc.), puis à ce qu’on pourrait appeler « la justification fondatrice de l’organisation territoriale et son évolution », autrement dit les fondements des pouvoirs politique, économique, militaire, lesquels demeurent inévitablement lié à la source des transferts par l’allégeance à l’autorité spirituelle. Or, si au fil du temps la perception des origines mythiques s’estompe jusqu’à faire oublier la prégnance de la fonction fabulatrice devenue plutôt « euphémisation » dans la dimension sociétale qu’observera l’anthropologie (le terme euphémisation est du philosophe Gilbert Durand), il n’en demeure pas moins que c’est celle-ci qui est devenue le moteur historique de ce qu’on appelle la civilisation, comme je propose de le démontrer.

Si le titre de cet article oppose cette dynamique au mouvement gravitationnel des équilibres anthropologiques, c’est que j’entends par ces-derniers les rapports qui s’établissent entre les membres d’une communauté et entre des communautés, sur les bases « naturelles » de la parenté, de l’identité géographique, de l’alliance d’intérêts, entre autres ; mais aussi sur les bases tout aussi naturelles de leurs inverses que sont les inimitiés, les rivalités, les heurts d’emprises etc. Ces rapports ne sont pas redevables à des visions mythiques, mais à des mécanismes primaires où dominent des instincts et des facteurs psychologiques élémentaires comparables à ceux qui régissent la plupart des sociétés animales, lesquelles d’ailleurs participent avec la flore à la gravitation des équilibres anthropologiques sous la forme de ce que la lucidité devrait considérer comme un « partenariat » au sein d’un écosystème englobant les trois règnes. Et c’est précisément cette ancestralité animale qui déplait tant à l’homme civilisé mais qui continue malgré lui à régir bien de ses comportements, qui assurera peut-être son salut s’il écoute les voix de sa profondeur, face à la folie fabulatrice qui atteint aujourd’hui son paroxysme et une dangerosité accrue par les moyens technologiques sur lesquels elle a assuré son emprise. Le fond salvateur de l’animalité humaine, si elle est assumée et maîtrisée, est susceptible, comme l’ont été les mythes, de transfert dans les formes évoluées d’une organisation sociale compatible avec la nature de l’homme et les réalités d’une Terre et d’un univers qu’aucun mythe ne pourra contraindre.

De la préhistoire on connait les hypothèses qui se fondent sur l’archéologie et qui ont pu être complétées, jusqu’à ce que la civilisation occidentale les atteigne et les dénaturent, par l’observation de groupes humains vivant encore dans une sorte de paléolithique prolongé (organisation tribale, chasse, pêche, cueillette) ou dans un néolithique primitif (agriculture et élevages rudimentaires).

Avec la Haute-Antiquité, pour laquelle on dispose de sources archéologiques plus fiables et de premiers écrits, on assiste à la naissance des cités qui ont marqué une étape importante dans le développement de l’organisation sociale. Chez les plus évoluées apparaissent l’écriture, le droit et ses premières codifications (telles que le fameux Code d’Hammourabi).

Quoique la cité demeure longtemps l’unité de base de l’organisation territoriale, on voit assez rapidement apparaitre des ensembles plus étendus (on pourra retenir les termes de cités-Etats et de royaumes) résultant de conquêtes par des groupes dominants ayant à leurs têtes des chefs charismatiques rassemblant dans leurs personnes la tri-fonctionnalité religieuse, politique, militaire. Certains d’entre eux font l’objet d’une mythification héroïque qui perdure au-delà de leur mort : la fabulation originellement religieuse opère là ses premiers transferts en touchant aux fondamentaux de l’organisation institutionnelle. Le phénomène atteint sa peine mesure avec les empires. L’empire peut être considéré, dans sa dimension territoriale comme une forme hypertrophiée du royaume, mais il se caractérise aussi par le fait qu’il ne limite pas ses ambitions de conquête à des objectifs de proximité, faisant souvent de la conquête la raison-même d’une politique qui se traduit une extension permanente de son espace vital.

L’histoire a connu un certain nombre d’empires et, parmi eux, plusieurs types d’empires. Ainsi pourrait-on opposer L’empire, au demeurant éphémère, d’Alexandre Le Grand, à l’Empire Romain qui dura cinq siècles. Le premier n’avait pas été doté des moyens institutionnels susceptibles d’assurer le contrôle de l’immensité des territoires conquis, tandis que le second fut un modèle d’organisation politique, militaire, économique, logistique. A cet égard, l’empire d’Alexandre est emblématique d’une fabulation et d’une mythification impériales, reposant sur une épopée militaire qui ne semble pas avoir eu d’autre objectif que sa poursuite, et sur le pouvoir personnel hautement charismatique d’un roi mythifié par la démesure même de cette épopée. Cet empire n’a pas laissé de traces nombreuse, profondes et durables de l’hellénisme contrairement à l’empire romain qui a doté l’Europe d’un modèle juridique et culturel romano-hellénique ayant traversé les siècles jusqu’à nos jours.

Notons encore pour clore ce survol, que la découverte de l’Amérique et les explorations de l’Afrique Noire et de l’Asie, ont ouvert la voie à une forme d’empire qu’on pourrait qualifier de « colonial ». Cependant, à ce point d’un très bref survol historique, il n’est pas dans mon propos de risquer de m’égarer dans le recensement des empires et encore moins dans la casuistique de leur typologie. Ce que je souhaite mettre en lumière, c’est, à travers une succession d’avatars, la persistance d’un mythe impérial fondé notamment sur l’idée que l’expansion territoriale est profitable aux peuples, voire qu’elle obéit à un sens de l’histoire lui conférant une nécessité historique. Ces présupposés refusent de prendre en compte des réalités fondamentales, notamment les particularismes qui se sont formés au fil du temps et dont les caractères qui les définissent ont traversé les siècles d’autant plus facilement qu’ils ne résultent pas d’un folklore superficiel, mais s’inscrivent dans un environnement global. Les populations qu’ils concernent, quelles que soient les adaptations successives aux contingences qui ne remettaient pas en causes leurs fondamentaux, développent, le cas échéant, des résistances naturelles aux annexions, fusions, centralisations, uniformisations, fédérations, qu’on pourrait regrouper sous le terme de « dynamique impérialiste ». Celle-ci ne peut donc inscrire sa domination dans la durée qu’en effaçant ces particularismes.

Si l’on observe le cas de la France, on constate l’emprise progressive de cette dynamique qui commence vers la fin du Moyen-Age lorsque la monarchie absolue centralisatrice et unificatrice prend le relai de la féodalité. Si dans le rituel du sacre des rois de France on conserve, réduit au symbole, le principe électif (les grands vassaux tiennent la couronne au-dessus de la tête du roi avant que l’évêque la pose sur celle-ci), dans la réalité toutes les tentatives desdits grands vassaux de rappeler « qu’ils font le roi », et de réaffirmer leur pouvoir, sont impitoyablement réprimées : Louis XI met fin aux ambitions de Charles le Téméraire (1477), Henri III fait assassiner le trop puissant Duc de Guise (1588), Mazarin mate la Fronde et les grandes familles qui en avaient pris la tête (1653). Cet échec de la tentative de grands vassaux de « reprendre la main » marque la fin de la féodalité. La République issue de la Révolution, puis l’Empire renforcent la tendance en substituant les départements aux provinces et en réprimant les poches de résistance (Vendée, Bretagne, en particulier). Avec Napoléon, « fabulateur » majeur et constructeur de son propre mythe, la France devient la base de lancement d’un vaste mais éphémère empire européen que tiendront en échec, motivés par leurs propres impérialismes, l’Angleterre, La Russie et la Prusse.

Car la dynamique impériale s’est emparée de l’Europe tout entière : l’Angleterre consolide son empire colonial, la Prusse, après le Piémont qui a réalisé l’unité italienne (1860) met à profit sa victoire et l’effondrement du IIème empire français, pour fonder un empire allemand. La France elle-même, redevenue républicaine, se construit un empire colonial en Asie et en Afrique ; Grace à l’école obligatoire, elle achève l’unification linguistique du pays.

Après le double désastre de deux guerres mondiales (la première ayant disloqué trois empires : allemand, austro-hongrois et russe) qui voit l’avortement de la prétention italienne à un empire colonial, puis la chute du IIIème Reich, c’est le temps de la décolonisation et de la fin des empires auxquels la colonisation avait donné naissance. A propos de la colonisation, un extrait d’un ouvrage paru en 1937 (soit moins de dix ans avant le coup d’envoi de l’ultime rébellion algérienne qui conduisit à l’indépendance) témoigne du degré d’aveuglement que peut atteindre la fabulation lorsqu’elle suscite la représentation d’un désir mythique ôtant toute perception des réalités : « La France a […] compris qu’il lui restait à perfectionner son œuvre, à faire de ces six millions d’Algériens qui vivent maintenant sous son drapeau, et dont le nombre ne cesse de croitre, six millions de Français véritables, ayant notre culture, nos goûts nos meurs et toute notre civilisation. […] la France ne serait plus la France si elle ne désirait pas faire de l’Algérie une province française. Pour […] qu’il n’y ait plus d’Algérie française, il faudrait qu’il n’y ait plus de France ! » On dira peut-être qu’il faut replacer une telle pensée dans le contexte d’une époque. Certes, ladite époque ne manquait ni de fabulations, ni de mythifications ; mais cela n’avait pas empêché des esprits plus rationnels, donc plus lucides, de démonter le mythe colonial, d’en dénoncer les erreurs et d’en annoncer l’inéluctable échec. Ce fut le cas de l’anthropologue et sociologue Gustave Lebon dès le XIXème siècle ou de l’écrivain René Bazin au début du XXème.

Repliées sur le continent, les puissances européennes tentent alors de réaliser par les alliances et les traités, ce qu’elles avaient échoué à réaliser par la force : la construction d’une Europe unie. L’élan fabulateur est donc mis au service de la vision mythique d’une Europe rivale des USA. Partant avec les six membres signataire du Traité de Rome (Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, République Fédérale Allemande), cette Europe fut d’abord un espace économique de libre-échange, qu’on nommait d’ailleurs communément Le Marché Commun. Durant les décennies 1970 et 1980, le nombre de membre passa à neuf puis à douze avec l’entrée du Danemark, de l’Espagne, de la Grèce, de l’Irlande, du Portugal et du Royaume-Uni. La fin du XXème siècle marqua un tournant après la disparition de l’URSS. L’obsession fabulatrice du quantitatif (territorial et démographique) censé accroitre la force de l’union, précipita l’adhésion de quinze nouveaux membres dont dix issus de l’ex-Europe de l’Est libérée du joug communiste. De plus, s’affirma la volonté de donner à l’Europe économique une dimension politique : avec le Traité de Maastricht (1992), la communauté économique européenne devient l’Union Européenne (UE). En 1999 onze pays membres créent l’union monétaire de la « zone euro », rejoints par six autres entre 2001 et 2015. Il restait, pour s’acheminer vers une souveraineté fédérale, à doter l’UE d’une constitution. Le projet échoua face au rejet des Français et des Néerlandais qui, consultés par référendum, opposent un NON catégorique au projet (respectivement 54,68% et 61,6% des voix). C’est un coup d’arrêt à l’ambition impériale.

L’affaiblissement de l’Europe encourage la manifestation de résistances qui ravivent certains particularismes : en Italie la Ligue du Nord revendique l’autonomie, voire l’indépendance de la Padanie (de padan, adjectif correspondant au Pô et regroupant les provinces riveraines), en Espagne c’est la Catalogne (où la revendication a pris en 2019 une forme insurrectionnelle), au Royaume-Uni l’Ecosse et en France la Corse demeurent attachées à leurs identités. Dans certaines de ces résistances (notamment la Padanie et la Catalogne) il y a une convergence des valeurs ethnoculturelles et des intérêts économiques de régions riches. On ne peut exclure totalement que dans un contexte de crise majeure déstabilisant les forces politique, ces résistances pourraient tenter de passer à une phase plus active de leurs revendications.

Cependant, l’échec institutionnel de la construction européenne et les résistances d’une partie des populations, n’empêche pas la poursuite du mouvement d’effacement des particularismes. La forme en est d’autant plus insidieuse qu’il s’agit d’une uniformisation de fait des genres de vies et qu’il peut prendre les apparences trompeuses d’une mise en valeur desdits particularismes. Ainsi la réciprocité d’importation et d’exportation de produits par la grande distribution dilue les spécialités locales dans un vaste espace continental qui les délocalise de fait : quand un produit est partout et s’intègre à un ensemble de produits venant de partout, il ne participe plus à un particularisme et une certaine ambiguïté peut même entacher sa provenance (on fabrique en Italie un très bon fromage sous l’appellation « camembert » celle-ci n’ayant pas été protégée. Après tout on fabrique bien du risotto français !). Les populations elles-mêmes ne sont plus « locales », du fait de la mobilité de l’habitat (il y a une émigration et une immigration intérieures dues aux choix climatiques et aux impératifs de l’emploi). Néanmoins, ces modifications des genres de vie et cette mobilité des populations n’auraient qu’un impact limité si elles ne favorisaient pas chez les citoyens l’absence de perception de l’intérêt qu’il y aurait pour eux, indépendamment le leur origine ethnoculturelle et de l’éclectisme de leurs goûts, à comprendre que leur appartenance, permanente ou provisoire à une entité politico administrative d’une taille propice à un contrôle législatif réel et à une administration de proximité, constituerait une garantie de leur propre liberté et une réalité de leur citoyenneté.

L’enjeu n’est donc pas dans un retour impossible aux anciennes structures et aux anciens genres de vie qui relèverait lui aussi de la fabulation en tant que Nième avatar du mythe de l’Age d’Or (c’est, par exemple, la vision islamiste du Califat). Ce qui importe réellement c’est de constater qu’en dépit d’échec locaux tels que celui de L’Europe, le processus impérialiste c’est poursuivi jusqu’à la monstruosité mondialiste. Initiée par des alliances et des traités tels que l’Organisation Mondiale du Commerce (1991), la mondialisation s’est affirmée dans un contexte d’interdépendance croissante, de délocalisations, d’émergence de nouvelles puissances (Chine, Inde), d’emprise monopolistique de multinationales et du jeu d’un pouvoir financier dont le décryptage échappe aux populations.

En fait, beaucoup de choses échappent aux populations des Etats modernes, mais elles n’en ont qu’une conscience vague, acceptant trop facilement que « cela leur échappe », ne s’efforçant pas d’accéder à des informations indépendantes des pouvoirs, documentées et fiables. Le consumérisme, le crédit, la surestimation événementielle des compétitions sportives, les jeux, la « politique spectacle », l’illusion électorale, entre autres, agissent comme autant d’opiums détournant l’attention des citoyens des vrais enjeux.

Malgré un fort taux d’abstention électorale qui traduit plus une lassitude qu’un rejet, la grande majorité des citoyens croit encore à l’efficience des suffrages ; alors qu’il n’existe actuellement aucun mouvement politique proposant une critique radicale du système et que les alternances politiciennes ne font apparaitre les différences entre les partis qu’à la marge de leurs programmes.

Il y a longtemps maintenant que les idées ont supplanté les faits et que leur mise en œuvre contre nature s’efforce d’y faire plier les réalités. Les hommes aiment les idées parce qu’elles contiennent toujours la promesse de transformer les réalités qui les laissent insatisfaits. En les projetant dans le futur de leur réalisation, les idées entretiennent le déni de leurs petites misères intimes, de leurs vains désirs, de leurs échecs, de leurs couples à la dérive, de leurs enfants décevants. Et les idées se développent et se consolident dans les idéologies qui crédibilisent la fabulation en lui offrant de corpus de systèmes structurants.

Le titre de cet article oppose « mythe impérial » et « réalités communautaires », autrement dit la fuite en avant vers le « toujours plus grand, toujours plus uniformisé » opposée aux communautés circonscrites dans les limites permettant aux citoyens de choisir leur gouvernance et de contrôler leur destin. De telles limites n’excluent pas les alliances et les échanges, voire la mise en commun de ressources dans les domaines qui la nécessitent : c’est ce que je nomme « gravitation des équilibres » car aucune communauté ne peut prétendre survivre en autarcie.

Le mythe impérial a engendré une géopolitique qui a commencé avec les royaumes de l’Antiquité pour aboutir à la monstrueuse mondialisation d’aujourd’hui. C’est un mythe séduisant qui joue sur le pire des instincts humains, le désir d’emprise, et sur la croyance dans la vertu du gigantisme qui rendrait fort. La récente crise du coronavirus a révélé la fragilité des géants et les effets pervers des délocalisations qui, plus que les transferts institutionnels de souveraineté ont démontré les conséquences de l’extrême dépendance de nations qui se disent « grandes » : rupture d’approvisionnement de l’industrie en composants, pénurie de fournitures sanitaires etc. Quant à l’Europe, on a pu ressentir ce qu’a eu symboliquement de tragique la brutale fermeture des frontières nationales.

Le système mondialiste ultra-libéral et les géopolitiques qu’il suscite est déjà responsable de dégâts considérables, écologiques, sociaux, économiques. A défaut d’un sursaut citoyen dans les prochaines années, la fuite en avant vers le pire s’amplifiera. Des propositions telles que celles que présente cet article pourront paraitre utopiques et dérangeantes par l’ampleur des remises en cause collectives et individuelles qu’elles sous-tendent. Il faut néanmoins être conscient que si on ne les accepte pas, le système qu’elles dénoncent finira quand même par imploser, produisant un séisme beaucoup plus redoutable que la secousse d’un sursaut citoyen. J’emprunterai donc les mots de la fin au titre d’un ouvrage publié dans la décennie 1970 par un pionnier de l’écologie : L’UTOPIE OU LA MORT. …

JUNIUS

Juillet 2020

Henri Bergson, Les sources de la morale et de la religion

Frédéric Nietzsche, L’origine de la tragédie

Gilbert Durand, Les structures anthropologiques de l’imaginaire

Lucien Jerphagnon, Histoire des grandes philosophies

Mircea Eliade, Histoire des croyances et des idées religieuses

Michel Rostovtseff, Capitalisme et économie nationale dans l’Antiquité

Edmond Demolins, Comment la route crée le type social

Clément Alzone, L’Algérie

Gustave Lebon, L’homme et les sociétés ; La civilisation des Arabes

René Dumont, l’utopie ou la mort

>Articles, études et rapports divers sur le projet de constitution européenne de 2005

Théodore Kaczynski, le manifeste d’Unabomber

Youssef Hindi, géoéconomie du coronavirus, Chine vs USA