Au fil des articles rédigés pour Tempête, et dès le premier d’entre eux (Mythe impérial et réalités communautaires), nous avons affirmé de manière constante la nocivité des idées lorsqu’elles prétendent s’opposer aux réalités.
Le mythe de la croissance continue qui sous-tend les dynamiques impérialistes des blocs géopolitiques, ainsi que l’hyper-libéralisme économique, industriel et commercial qui induit entre autres le développement métastatique des mégapoles et la massification intensives des transports aériens et terrestres générateurs d’une pollution écocidaire, révèlent toute leur dangerosité à travers leurs conséquences sur les équilibres naturels de la planète, comme en atteste maintenant le dérèglement climatique.
Impérialisme et croissance, comme toutes les idées qui s’emparent des esprits, inspirent des doctrines donnant naissance à des systèmes de pensée qui se cristallisent dans des croyances et s’imposent dogmatiquement. Les réalités, elles, relèvent de l’observation objective : on ne croit pas à une réalité, on l’observe, on la constate ; c’est la base de la méthode scientifique.
Partant de cette approche, notre affirmation se prolonge dans la certitude que le 21ème siècle, au travers de crises majeures, verra l’idéal impérialiste et le dogme de la croissance mis en échec par le choc en retour des forces inhérentes au « réel naturel » terrestre et humain (voir nos articles Le mur quantique de l’histoire et Après les trois morts de Dieu, une nouvelle philosophie de l’être). Cette fin d’un monde bâti sur l’illusoire devra préluder à une refondation de la vie individuelle et collective C’est précisément le thème de la réflexion qui suit.
Evoquer la vie individuelle et collective, c’est définir des activités, des comportements et un cadre territorial.
Les activités et les comportements
Pour ce qui est des activités, il est clair qu’elles devront exclure toutes celles qui ont conduit, tant à la destruction des écosystèmes et au dérèglement climatique, qu’à la dégradation de la santé (physique et psychique) des individus et à la qualité de vie des personnes et des collectivités. Il n’est pas possible d’en opérer un recensement complet dans le cadre d’un simple article, tant elles sont malheureusement nombreuses. A titre d’exemples, et donc de manière non exhaustive, nous citerons : l’agriculture productiviste et les industries agro-alimentaires recourant à des produits nocifs tels que les pesticides, certains conservateurs et exhausteurs de goût ; l’élevage intensif et l’alimentation animale (avicole, bovine, porcine ou piscicole) à base d’ingrédients dénaturants comme certaines farines ou les apports en hormones ; les surfaces commerciales concentrationnaires incitant au consumérisme non raisonné ; l’importation de fruits et légumes à contre saison (venant de l’hémisphère opposé) ; les lieux et les modes de travail générateurs de troubles psychiques, en particulier le stress ; les transhumances quotidiennes entre domicile et lieu de travail ; l’encouragement à l’endettement ; le tourisme de masse etc. etc. etc.
S’il n’est pas souhaitable qu’une régulation doive recourir à la coercition (hors l’interdiction des produits et des pratiques présentant une dangerosité immédiate), il est en revanche indispensable que s’opère une révolution culturelle amenant à la prise de conscience individuelle de la nécessité de modifier les comportements.
Utopie, n’est-ce pas ? En effet, malgré pas mal de signaux d’alerte, il est probable que la majorité de la population n’est absolument pas prête à renoncer aux activités et aux comportements écocidaires. Sur un territoire aussi privilégié que l’a été jusqu’ici l’Europe de l’ouest industrialisée, s’est développé un mode de vie « confortable ». Ni l’eau, ni l’électricité ne sont rationnées, la circulation automobile n’est soumise à aucune autre contrainte que les règles du code de la route, on trouve dans les grandes surfaces de distribution une diversité et une abondance de produits qui vont du nécessaire et de l’utile jusqu’au superflu ; les achats irrationnels, voire compulsifs, sont courants. « Faites-vous plaisir » semblent dire les sorciers du consumérisme, dispensateurs d’une publicité ensorcelante. Ce qui, il y a encore quelques décennies, était encore perçu comme « facilité », est considéré comme un droit pour tous. Prendre de « vraies vacances » ce n’est pas aller à la campagne, à la montagne ou au bord de mer ; c’est quitter le pays, aller sur d’autres continents. Que tous ces déplacements dégagent des milliers de tonnes de gaz toxiques ne semble pas atteindre beaucoup de consciences. Mais les plus à blâmer ne sont pas les citoyens que la lâcheté et les mensonges des gouvernants ont trop souvent le front de culpabiliser. Pourtant, qui, pour ne donner qu’un exemple, a encouragé le choix du diesel ? C’est aussi sur des chaines dites « nationales » qu’on diffuse sous prétexte d’indiscutable prouesses technologiques, des reportages faisant l’éloge d’une monstruosité telle que le calamiteux Concorde, avion supersonique (toujours plus vite !) hyper polluant, hyper bruyant, accessible à une seule minorité de privilégiés pendant que « la France d’en-bas » se satisfaisait de pouvoir lancer son stupide cocorico, fière sans doute d’avoir apporté sa quote-part par l’impôt à cette entreprise fatalement déficitaire : un fracassant échec financier et une fin sans gloire pour ce colosse aux pieds d’argile qu’une simple pièce détachée d’un avion ordinaire (hypothèse retenue) a suffi à tuer ainsi que 113 humains (100 passagers, 9 membres d’équipage, 4 personnes au sol).
Tout dans le comportement des gouvernants montre qu’ils ne se sentent pas prioritairement comptables de la santé et de la vie des citoyens ainsi que de l’avenir de la planète, mais d’abord des résultats économiques et financiers de l’effroyable compétition mondiale dans laquelle sont engagés tous les Etats et qui est devenue une machine infernale incontrôlable les condamnant à une fuite en avant inavouée.
Alors, oui, appeler à substituer un autre modèle au mode de vie acquis qui conduit au désastre, est une utopie. Empruntons à René Dumont, « père » oublié de l’écologie française, le titre d’un de ses ouvrages : L’utopie ou la mort. Car pour tenter de convaincre ceux qui refusent l’utopie salvatrice, il faut affirmer qu’il n’y a pas d’autre alternative que la mort. Hélas ! L’expérience prouve que les panneaux indiquant « Attention ! Danger de mort ! », assortis du crane et des os entrecroisés, sont peu dissuasifs. Il se trouve toujours des imbéciles pour passer outre.
Le cadre territorial
Dans une perspective de refondation, le cadre territorial de la communauté citoyenne doit permettre de trouver un équilibre entre diversification et cohésion. La taille-même de ce cadre doit offrir par sa limitation une maîtrise citoyenne de la vie collective collective tout en ne favorisant pas le repli et les risques de rivalité entre communautés. La taille critique d’une communauté de base (premier échelon territorial) nous semble pouvoir s’évaluer à quelques milliers d’habitants (au maximum 10000), ce qui correspond au village ou à une petite ville. A partir de ce cadre de base, on peut concevoir, d’une part un réseau économique et culturel de communication et d’échanges, d’autre part un dispositif plus politique de niveaux de représentation dans des cadres territoriaux successifs : pays (au sens traditionnel d’ensemble se situant entre canton et département et dont l’identité est fondée sur des caractères géographiques, historico-culturels, économiques, parfois idiomatiques ; par exemple : pays d’Othe, Pays de Caux, pays d’Auge, Thiérache, comté de Nice etc.), départements (sur la base de leur circonscription actuelle moyennant quelques modifications), provinces (surtout pas les régions du découpage de 2016, mais des ensembles correspondant à des réalités naturelles et humaines). Ensuite, c’est la nation. On atteint un niveau de souveraineté au-delà duquel on risque de s’engager dans la dynamique impériale (voir nos articles Mythe impérial et réalités communautaires et Le Félibrige).
Pour ce qui concerne les villes, il conviendrait d’abord d’en limiter le développement et d’organiser leur découpage en « quartiers » qui seraient l’équivalent des villages comme premier niveau de souveraineté et de participation citoyenne. Les circonscriptions supérieures, selon la taille des villes, correspondraient aux pays et aux provinces. Dans les centres actuels des villes, souvent historiques et riches en patrimoine, ces niveaux communautaires devraient trouver leurs marques assez facilement. Le Paris intramuros d’avant les décennies destructives des années 1960 à nos jours qui en ont chassé l’artisanat, la petite industrie et les classes moyennes et populaires, au profit d’activités tertiaires sans âme et d’un effet « vitrine » à usage touristique, présentait un tel potentiel dont il ne reste malheureusement pas grand-chose. Pour les quartiers nouveaux et les banlieues, créées artificiellement au 20ème siècle, l’exercice serait plus difficile et plus coûteux, car il conviendrait de repenser totalement la taille et l’architecture des habitations et de créer des pôles d’activité ayant un rôle identifiant et fédérateur. Ce pourraient être, par exemple, des infrastructures dédiées au sport, des campus scolaires ou universitaires ou des bases de loisirs.
Ce dispositif à cinq niveaux peut paraitre atomiser le territoire. En réalité, grâce aux cohésions sur lesquelles repose chaque niveau supérieur, il assure un maillage solide de solidarités humaines et économiques garantissant une vraie démocratie. C’est la dévitalisation des communautés de base au profit de centres de décision toujours plus éloignés de la population qui explique en partie l’absentéisme électoral croissant, alors que les conseils consultatifs de quartiers mis en place par beaucoup de villes moyennes connaissent un réel succès. Il est clair, d’ailleurs qu’aux différents niveaux de représentation, les délégués élus (terme que nous préférons à celui, trop discrédité, de députés) devront avoir des mandats impératifs évitant la dérive oligarchique actuelle (voir notre article Imposture démocratique et illusion électorale. De même, il ne faudra pas perdre de vue que devrait être respecté pour chaque niveau territorial sa souveraineté dans le cadre légal qui aura été défini. Rien ne justifie, au nom d’un abus des principes d’unité et d’égalité, qu’on uniformise les réglementations applicables à des domaines d’intérêt strictement local. Cela ne s’oppose nullement à des coopérations et au développement de projets communs à plusieurs territoires ou même au niveau national, voire international.
Il est évident qu’il s’agit là d’une vision géopolitique respectueuse des réalités naturelles et humaines. Bien entendu, les idéologues de la dynamique impériale développeront toutes sortes d’arguments pour la discréditer. Depuis longtemps (en fait, depuis la fin de la féodalité et la naissance de la monarchie absolue), ils se sont employés à éloigner de plus en plus les citoyens des centres de décision, suscitant d’ailleurs, à l’époque où le peuple réagissait encore, les révoltes sporadiques de provinces ayant constamment manifesté leur méfiance, parfois leur hostilité, à l’égard du pouvoir étatique. Ce fut surtout le cas dans celles du Midi où se mêlait à la fois le vieil antagonisme des pays de langue d’oc (voir l’article Le Félibrige) et le souvenir des violences des conflits religieux (répression du catharisme et du protestantisme).
Pour ce qui est de la nécessaire gouvernance des territoires, et à tous niveaux, ni verticalité, ni construction pyramidale, mais horizontalité des strates territoriales et deux principes fondamentaux : participation citoyenne et collégialité de la gestion.
La folie quantitative
Un des facteurs ayant contribué aux dérèglements qui ont frappé la nature et les individus, est certainement ce qu’on peut appeler la folie quantitative, cette obsession stupide du « toujours plus » : plus grand, plus vite, plus haut etc. Le mythe de la croissance continue, absurdité suicidaire, était déjà dénoncé par quelques sages dès la décennie 1970 (voir le Club de Rome, et Rapport Meadows,1972). On pourrait même dire que la croissance continue est un non-sens scientifique car on ne peut pas contenir l’infini dans le fini. Cela n’a pas empêché les chantres de la croissance d’entretenir le mythe, engrangeant leurs profits immédiats en laissant le soin aux générations à venir d’affronter des échéances inévitables.
La folie quantitative a également atteint le rythme des activités, allant jusqu’à affecter des fonctions telles que le langage : lecture et écritures rapides accélèrent la communication et densifient l’information, soumettant les individus à un stress permanent. Loin de dénoncer les causes des atteintes graves au métabolisme imputables aux conditions de vie et de travail imposée par la folie quantitative, la grande majorité des médecins adhèrent de fait au système en « soignant les symptômes » par le recours aux antidépressifs, aux somnifères et autres drogues qui enrichissent l’industrie pharmaceutique.
Il n’est pas possible dans le cadre limité de cet article, d’aborder un débat sur la démographie. Bornons-nous à constater que la démographie exponentielle des dernières décennies, se combinant avec la désertification rurale, la concentration urbaine et le déplacement du peuplement vers des zones estimées à tort ou à raison plus attractives, a engendré une adaptation générale à sa progression. En prenant le seul exemple de la consommation alimentaire, on a vu se développer une agriculture et un élevage intensifs, la multiplication et l’hypertrophie des grandes surfaces commerciale, le tout au mépris total du vivant végétal, animal et humain. Même des instances devenues conscientes de la nocivité de certaines pratiques, telles que les institutions de l’UE, subissent les effets schizophréniques de leur écartèlement entre les « bonnes intentions » et la logique de la mondialisation qui profite à des multinationales parfois criminelles. L’exemple des pesticides est terrifiant comme l’a révélé un récent documentaire de l’émission Thema sur la chaine Arte : L’UE interdit l’usage de certains pesticides sur son sol, mais pas leur production et leur exportation ; ils vont donc être vendus à des pays moins « regardants » (par exemple le Brésil) qui exportent ensuite leur production imprégnée de pesticides vers les pays de l’UE ! Il faut quand même savoir que ces pesticides qui, outre leur présence dans les aliments, font l’objet d’épandage à proximité et même au-dessus de zones habitées, sont responsables chaque année dans les pays utilisateurs, de dizaines de milliers de morts et de handicapés, y compris de jeunes enfants.
Face au monde de la folie quantitative qui s’est emparée des pays dits développés, des hommes demeurés proches des réalités naturelles au rythme apaisant desquelles ils vivent sereinement, nous rappellent à la raison. Dans une séquence récente de l’excellente émission Des trains pas comme les autres, un namibien (Afrique australe) voyageant dans le wagon d’un train avançant lentement après son départ à une heure très approximative (on ne dit pas « à telle heure », mais « entre telle heure et telle heure environ »), demandait au reporter, le sympathique Philippe Gougler, comment étaient les trains en Europe. Ce dernier lui parla des lignes à grande vitesse, du TGV dépassant les 300km/h ; le namibien, nullement admiratif lui dit : « mais quel plaisir y a-t-il de voyager dans ces conditions où on ne peut même pas profiter du paysage » ? L’archaïque individu parlait de plaisir ! Qui, chez nous, peut évoquer les autoroutes, les lignes ferroviaires à grande vitesse ou les aéroports en termes de plaisir ? Pas davantage en faisant ses achats dans un hypermarché ou en regagnant un appartement dans un grand ensemble de banlieue. Le monde de la folie quantitative est celui de l’utilitarisme, de la productivité, du rendement, de l’efficacité. Un monde d’où se dégage une infinie tristesse qui se lit aussi sur les visages des heureux bénéficiaires du progrès. Alors, conscient du risque anxiogène et de dépression, les maîtres du système recourent au vieux « truc » du pain et des jeux, dispensant le minimum vital aux plus démunis et offrant l’antidote fallacieux, d’ailleurs générateur d’énormes profits, d’exutoires ludiques et sportifs où l’hystérie tient lieu de joie et l’illusion virtuelle de quelque chose qui ressemble à la vie.
Il est clair que dans le système qui a conduit à tous les dérèglements, le monde a subi un emballement qui n’est plus maîtrisable. La dynamique implacable du quantitatif et l’interdépendance mondialiste des entités politico-économiques ne permet à chacune aucun ralentissement sous peine de faillite. Dans l’apaisement général qui pourrait suivre l’implosion dudit système, on pourrait redécouvrir que la course folle au « toujours plus » n’est absolument pas une nécessité, encore moins un impératif vital. On pourrait adopter un rythme de vie conforme aux réalités naturelles et au métabolisme des individus. Pourquoi, par exemple, pour certains transports, ne pas développer à nouveau la navigation fluviale et la circulation hippomobile ?
Un monde vulnérable
Le monde du 21ème siècle est vulnérable. D’abord par les conséquences naturelles de deux siècles de développement contre-nature, comme le démontrent les épisodes catastrophiques du dérèglement climatique. Ensuite par la nature des technologies qui régissent le fonctionnement des activités vitales, notamment dans le domaine de l’énergie, de la production et de la distribution, des transports, des flux du tertiaire, de la sécurité. Des études scientifiques qui ne relèvent pas de la fiction, ont présenté des scénarios inquiétants qui alertent sur les impacts que pourraient avoir, soit des phénomènes d’origine spatiale (par exemple liés à l’activité solaire ou à des incidents galactiques), soit le recours à des cyber-attaques dans le cadre de conflits. A une plus petite échelle, on a vu quelles inquiétudes avait fait naitre le risque de méga-bug lors du passage à l’an 2000 : ce n’était pas seulement un problème de PC, mais de dysfonctionnement de tous les systèmes asservis à l’informatique ; par exemple la distribution de l’eau, le fonctionnement des chaudières, le contrôle de la navigation aérienne ou ferroviaire etc.
En considérant ces « scénarios-catastrophes », on réalise qu’une société telle que celle du début du 19ème siècle, donc avant la révolution industrielle, l’électricité, la transmission sans fil et évidemment l’informatique, avait plus de chances de limitation des dégâts et de survie, que celle du 21ème siècle ! Cela ne veut pas dire qu’il faut renoncer à tous les acquis de deux siècles de progrès scientifique et technique, mais qu’il faut en évaluer ceux de leurs facteurs qui sont susceptibles de créer des situations de vulnérabilité, et imaginer les parades adaptées, en application de ce qu’il est maintenant convenu d’appeler le principe de précaution, lequel ne doit pas fatalement entrainer des freins ou des interdits, mais exige la mise en place, d’une part de dispositifs d’alerte, d’autre part de mesures de substitution et de sauvegarde telles que le stockage de certains matériaux, la maintenance opérationnelle de dispositifs de substitution plus traditionnels, voire l’entretien d’un cheptel plancher d’animaux de trait. On aurait tort de traiter par la dérision ces réflexions qui relèvent du simple bon sens.
Le lien fédérateur
Une communauté, surtout lorsqu’on veut lui conférer une souveraineté, doit être composée de membres ayant en commun (c’est le sens-même du terme communauté) la conscience de leur appartenance solidaire au groupe qu’ils forment sur un territoire donné. Il faut donc qu’il existe entre ces membres un lien fédérateur, en quelque sorte « justificatif » de cette appartenance.
Comme nous l’avons évoqué dans des articles précédents, notamment Mythe impérial et réalités communautaires, il est probable qu’historiquement les premières communautés se sont constituées sur la base du sang, sous la forme tribale ou clanique de familles élargies ou d’alliance de familles. On retrouve d’ailleurs la survivance de ce lien dans certaines ethnies et/ou certains territoires qui l’ont perpétué en marge des formes modernes de regroupement social (cités et nations par exemple). On peut observer cette survivance dans des régions d’Afrique, chez les berbères et dans le monde arabe, en Corse, en Sicile, en Ecosse et, finalement dans un assez grand nombre de pays sous des formes plus ou moins affirmées. Des organisations de type patriarcal et hiérarchisées comme les maffias siciliennes et calabraises sont construites sur ce modèle. On pourrait ajouter que des sociétés appartenant au paléolithique prolongé (chasseurs, absence d’agriculture et d’élevage) ou de tradition nomade induite par la transhumance du bétail, privilégient le lien du sang faute de stabilité territoriale.
En ce qui concerne l’époque présente et les décennies à venir, la probabilité d’importants déplacements de population résultant de divers facteurs, notamment le dérèglement climatique et les conditions géopolitiques, doit être prise en compte. Il s’agit d’en rendre compatibles les conséquences (hétérogénéité ethnoculturelle) avec un impératif de réalité qui est le rapport de l’individu au sol. On a trop tendance à oublier que si les espèces animales, contrairement à celles qui appartiennent au règne végétal, n’ont pas de racines physiques, elles n’en dépendent pas moins fortement du sol : la territorialité est inhérente à leur existence. Le comportement des animaux en témoigne, certains allant jusqu’à opérer un marquage de territoire. Pour l’espèce humaine l’appropriation du sol est la base de la propriété (être propriétaire est encore un objectif pour beaucoup malgré la relativité des avantages qui en résultent, mais c’est l’héritage inconscient d’une société naguère rurale qui n’a adopté que récemment des comportements de mobilité, voire de néo nomadisme (voir notre article Un néo nomadisme pour le 3ème millénaire ?) que sous les nécessités de l’emploi ou l’attrait discutable de zones géographiques jugées plus agréables. C’est ce qu’on pourrait appeler l’immigration intra-nationale.
Quoi qu’il en soit, le paramètre du sol nous semble incontournable. La compatibilité que nous évoquions peut alors reposer sur le fait que les populations déplacées (d’origine extra ou intra-nationale) font élection d’un territoire d’accueil où ils s’agrègent à la population autochtone qui elle-même s’y trouve par la naissance ou par choix antérieur. La taille limitée des circonscriptions territoriales que nous avons imaginées (villages, pays, quartiers), le voisinage non concentrationnaire, la complémentarité des activités, sont des facteurs favorisant la solidarité territoriale. Mais ce n’est pas suffisant : Dans une société évoluée, surtout multi-ethnique et multiculturelle, le lien essentiel qui doit se substituer aux agrégations archaïques de type tribal ou clanique fondées sur le sang, nous semble devoir être constitué par l’adhésion à un contrat social commun à tous les niveau territoriaux et complété, le cas échéant par des clauses locales respectant le principe de hiérarchie des textes (voir notre article Le contrat social pour tous).
L’heure de vérité
L’heure de vérité n’en finit pas de sonner. Mais qui veut entendre ce tocsin annonçant qu’il risque de se transformer en glas ? Qui veut voir les signaux qui s’allument les uns après les autres ? Il ne peut pas y avoir de vérité quand perdurent l’enfumage des illusions, les mensonges éhontés, les engagements non tenus. Donc, l’heure sonne, mais la vérité n’en finit pas d’arriver. On évoque des échéances qui pourraient être celles d’une rédemption ou celles de la damnation :2030, 2050, 2100… Mais la réalité quotidienne, au rythme du compte à rebours, est celle de la persistance de l’emballement quantitatif. Le monde est devenu un œdème, un abcès, une métastase. Et les agents pathogènes responsables de cette obstination dans des erreurs létales, auront beau jeu de nous traiter de prophètes du malheur dont l’avenir démentira le propos. Mais toi, lecteur, qu’en penses-tu ?
JRP