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Jacques Delors

Un fossoyeur de l’Europe
22 mars 2024 par
Simon Couval

Après deux guerres mondiales et la décolonisation, les grands Etats européens affaiblis, devenus économiquement et militairement dépendants des USA, ont compris la nécessité de construire un nouvel espace européen, pacifique et coopératif. Cela commença avec la CECA (1), puis la CEE (2). Les bénéfices qu’en tirèrent les membres de ce traité pour leurs industries, leurs agricultures, leurs commerces, encouragèrent la perspective d’une consolidation plus politique de cette guilde d’Etats. Une Europe était possible, respectueuse des histoires, des cultures et surtout des souverainetés des Etats. C’était ce que De Gaulle appelait « l’Europe des Nations ». Puis la bascule s’est produite avec l’arrivée au pouvoir de dirigeants pan-européens rêvant d’une Europe fédérale (tel Giscard d’Estaing en France). On dériva alors vers une forme insidieuse de supranationalité au travers d’un fonctionnement technocratique où, sous l’influence de grands commis réputés pour leur expertise, les gouvernements des Etats, en approuvant les orientations et l’appareil normatif de la Commission Européenne (3), s’engagèrent dans un processus d’abandon des souverainetés nationales. On voit aujourd’hui, notamment avec la révolte des agriculteurs et le ras-le-bol d’entrepreneurs tenaillés par l’eurocratie, où cela nous a conduit : à l’euroscepticisme et peut-être bientôt au rejet de la construction européenne. Il y a les aspirations souverainistes populaires qui expliquent l’attrait des partis dits « populistes », plus ou moins crypto-nationalistes ; mais il y a aussi la tendance grandissante des Etats membres de l’UE à faire « cavaliers seuls » dans des domaines aussi sensibles que l’énergie, l’agriculture, l’immigration, la guerre en Ukraine, entre autres. Autrement dit, à avoir voulu trop d’Europe, c’est-à-dire une Europe supranationale faisant fi des souverainetés nationales (qui, rappelons-le, reposent sur le suffrage universel, c’est-à-dire le peuple), on risque de ne pas avoir d’Europe du tout, faute de solidarité et de coopération suffisantes entre Etats. C’est pourquoi, alors que sa mort récente a vu se multiplier les dithyrambes officiels, nous ne nous joindrons pas à cet hommage, car nous estimons que Jacques Delors, technocrate emblématique qui n’a jamais été un politique (toujours « nommé », jamais élu), en ayant mis son talent, certes très grand, au service de la construction d’une Europe impossible, a été le fossoyeur d’une Europe possible.

  1. Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier, créée par le traité de Paris en 1951
  2. Communauté Economique Européenne, créée par le traité de Rome en 1957. L’UE, Union Européenne, lui succède en 1992 (traité de Maastricht)
  3. La Commission Européenne est l’organe exécutif des institutions communautaires européennes. Contrairement au Parlement Européen, ses membres ne sont pas élus au suffrage universel, mais nommés par les Etats membres.