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L’honneur des petits pois

24 avril 2024 par
Simon Couval

Les imbéciles se reconnaissent, entre autres, au front avec lequel ils assènent des affirmations gratuites sur des sujets qu’ils ne connaissent pas. L’un d’eux, trouvant une inspiration rageuse dans le décret du 5 avril 2024 autorisant la publicité pour les livres à la télévision a émis cet aphorisme : « On ne vend pas des livres comme des petits pois ». Ne dialoguant pas avec les imbéciles, je n’ai pas l’intention d’engager une polémique avec lui. Mais je tiens tout de même à présenter quelques remarques à l’intention de ceux qui seraient tentés de penser « il a bien raison ».

D’abord, une question : pourquoi les petits pois ? Parmi tous les produits dont la pub télévisée assure la promotion en nous gavant de spots assaisonnés de rêve, d’érotisme ou, plus rarement, d’humour, pourquoi avoir choisi un légume dont je vous mets au défi d’évoquer une référence publicitaire télévisuelle ? Sans doute parce qu’il fallait connoter l’affirmation d’un certain mépris que l’imbécile de service n’a pas osé associer à la voiture -encore trop aimée des français- ou au café qui a trop de fidèles, surtout dans sa version expresso dont le nom-même renvoie à une Italie mythique sur fond de Colisée ou de baie de Naples. Moi, en tous cas, je n’ai jamais vu de pub pour les petits pois à la télé. Cela n’empêche pas les gens de goût d’acheter des petits pois, car ils en connaissent la saveur et les exceptionnelles qualités diététiques, notamment par leur richesse en oligoéléments. Ce légume a ravi Louis XIV dont on n’ignore pas le raffinement gastronomique et dont une des jeunes maîtresses, Mademoiselle de Fontanges, donna son nom à une recette de petits pois préparés avec oseille et cerfeuil. Je rappellerai aussi la délicieuse purée Saint Germain et la sublime « crème Ninon » qui se prépare avec des petits pois et un subtil dosage de champagne, de sherry, de citron et de crème fraîche ! Tels sont les petits pois qui accompagnent aussi magnifiquement une escalope ou une côte de veau en l’agrémentant de leur saveur propre réhaussée de l’acidité de feuilles de laitue finement lacérées et de quelques petits oignons pas trop vinaigrés.

Après avoir défendu l’honneur des petits pois que le propos d’un imbécile ne saurait leur faire perdre, abordons maintenant le fond du problème : la pub pour les livres à la télévision qui a provoqué une éruption cutanée dans le monde de l’édition. Cela peut être navrant, en effet, de voir les livres rejoindre la cohorte de la production charcutière, des burgers et des pizzas, autrement dit le panel peu ragoûtant du pire de la grande cavalerie agroalimentaire. Mais la faute à qui, Chers Editeurs (et particulièrement les plus gros d’entre vous) qui dans la recherche d’un profit sacrifiant la culture, avez depuis trois quarts de siècle inondé le marché du livre des produits d’une sous-culture littéraire faisant croire à un public alphabétisé mais jugé par vous incapable d’accéder à la « vraie littérature », qu’un livre c’était « ça » ? Je ne m’attarderai pas à expliquer comment vous avez « fabriqué » des auteurs et même des « best Sellers ». Certes, je connais la rengaine de vos excuses : « Il faut bien vendre beaucoup de médiocre qui rapporte pour pouvoir éditer un peu de qualité qui n’est pas rentable ». Possible, mais quand on met le doigt dans l’engrenage de la course aux tirages, il faut assumer les conséquences du processus et admettre que le jeu de la concurrence s’applique à tout objet qui entre sur un marché. Il y a un marché du livre, et la publicité, tous supports confondus fait partie des outils des producteurs. Pourquoi le livre échapperait-il à la publicité télévisée ? Pour conserver la fiction élitiste de sa nature alors qu’on joue sur le populaire ? Et puis, n’y a-t-il pas déjà une forme de publicité qui ne dit pas son nom quand des auteurs sont invités sur le plateau de certaines émissions télévisées et bénéficient de la promotion de fait de leurs ouvrages ? Ces présences ne sont certainement pas dues à la seule initiative des animateurs et il doit bien y avoir des contacts préalables entre les éditions et les chaines, ce qui d’ailleurs n’a rien de répréhensible, cela faisant partie des règles du grand jeu du marché.

En fin de compte, je ne sais pas trop ce qu’il faut penser de ce débat déclenché par de décret du 5 avril 2024. Ce qui m’a mis en colère c’est qu’un imbécile a porté atteinte à l’honneur des petits pois.



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