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Merci Monsieur Finkielkraut !

24 avril 2024 par
Simon Couval

Les faits : dimanche 31 mars Alain Finkielkraut est l’invité de Benjamin Duhamel dans l’émission BFM Politique. Il parle du conflit israélo-palestinien, mais il est brusquement interrompu par son interlocuteur qui annonce un flash spécial : On a découvert des ossements du petit Emile ! Plus question de la guerre au Moyen-Orient et du philosophe académicien. Et disons-le franchement quand on connait les mœurs médiatiques : évidemment ! Finkielkraut n’est pas content et le montre. Il dit simplement : « alors je m’en vais ? »

A partir de là se déchaine, non pas une polémique, car pour cela il faudrait un minimum de raisonnement, mais le déferlement sur Finkielkraut d’un flot de caca nerveux nauséabond stigmatisant son crime de lèse-média : minable, sans-cœur, inhumain, ferme ta gueule, dégage connard etc. Dès le lendemain l’intéressé s’est expliqué, estimant que l’information ne méritait pas la suspension de l’émission et donnait l’exemple de LCI où un entretien avec Manuel Bompard à la même heure avait été poursuivi jusqu’au bout, ajoutant : « sur LCI, on n’est pas sans cœur, on est poli ». Et de s’étonner de la priorité absolue donnée à une information qui n’apporte rien dans l’immédiat sur les circonstances de la mort de l’enfant : « avec ce qui se passe dans le monde, je suis étonné ».

Il est étonné, mais pas nous ! On a déjà vu récemment, avec Lola puis Lina, l’aubaine que constituent les faits divers suscitant horreur et angoisse, pour ces médias-vautours qui s’en repaissent jusqu’à polir l’os événementiel. Qu’ils n’en sachent pas plus que les téléspectateurs ne les gêne pas : ils sont experts en montage de mayonnaise, pouvant pendant des jours brasser le vide informatif de leurs « émissions spéciales ». D’abord on rappelle les faits en boucle, images comprises ; ensuite, faute d’éléments probants, on émet des hypothèses sans hésiter à jeter la suspicion sur les innocents et à rendre la vie intenable dans tout un village. Pour cela on nous présente sur le plateau une belle brochette de « spécialistes », avocats, anciens magistrats, policiers, psychologues, plus ou moins complices, plus ou moins dupes de cette macabre mascarade, ou simplement piégés.

Dans l’affaire Lina on a vu comment tel de ces types s’est acharné par insinuation à jeter la suspicion sur le petit ami de la victime ; dans l’affaire Emile presque tout le monde a failli y passer, depuis un jeune fermier jusqu’à des membres de la famille, en particulier le grand-père. Moins on a d’information, plus il faut « imaginer », communiquer à vide pourvu que ça fasse de l’audience. Peu importe qu’on n’ait rien à dire, l’important est d’être le premier à le dire ! Voilà pourquoi il fallait vous éjecter, Monsieur Finkielkraut : le crane du pauvre enfant ne disait encore rien et ne dirait peut-être jamais rien, mais annoncer les premiers sa découverte et brasser ce vide en continu pendant plusieurs jours dans le jus répugnant du bavardage spéculatif, était plus important que vous entendre parler de la guerre au Moyen-Orient.

Et on ose vous accuser d’indécence alors qu’on n’a pas cessé d’ignorer volontairement le vœu des parents d’Emile d’éviter tout tapage médiatique, qu’on s’est permis sur la base de rien d’imaginer les pires scénarios, qu’on se fiche comme d’une guigne d’entraver éventuellement le travail des vrais enquêteurs, qu’on n’a de cesse de flatter la meute des débiles téléphages sous perfusion permanente de sérum émotionnel, de plus en plus gâtée et même gavée par les peoples qui évitent si talentueusement à leurs cerveaux de se poser les question qui risqueraient de leur donner la migraine.



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